16/08/2014
Chambre 2
"J'assiste à la naissance d'une mère. C'est presque plus émouvant que la naissance d'un enfant."
Quand on passe dans le couloir d'un hôpital, on entr'aperçoit des fragments de vie, et l'on se sent un peu gêné, un peu voyeur. Rien de tel dans le roman de Julie Bonnie où Béatrice nous fait partager son quotidien, parfois émouvant, parfois douloureux, dans une maternité.
Mais plus qu'une galerie de portraits de mères en devenir, c'est aussi le récit d'une tentative de normalisation d'une femme, la narratrice qui, quittant le monde du spectacle où elle mettait en scène son corps , affronte une réalité où la nudité, si elle est prise maintenant au sens figuré, est beaucoup plus cruelle : "Douze heures dans la chair humaine, nue dans la neige, nue dans le feu, nue quand il est vital de se couvrir."
Les souvenirs de son passé artistique ne sont en rien enjolivés mais s'opposent néanmoins à un quotidien où la violence et le silence s'imposent aux corps des femmes. Une écriture puissante et charnelle. Un grand coup de cœur !...
20:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : julie bonnie
Une certaine idée du bonheur
""Il s'agira d'un ouvrage sur les fins heureuses comme possibles actes de résistance dans la littérature américaine. Une autre façon de dire la vérité par rapport au trope culturel dominant qu'est la tragédie.""
Tracy, sur le point d'obtenir sa titularisation dans l'université new-yorkaise où elle enseigne, trouve quand même le temps d'être l’oreille attentive de sa meilleure amie, tout en envisageant la rédaction d'une thèse sur le bonheur dans la littérature américaine. Car oui, elle aime les livres pour échappatoire qu'ils offrent et pas seulement pour le plaisir de les décortiquer.
La rencontre de George (nan, pas lui, un autre !) devrait couronner ce qui s'annonce comme une vie parfaite mais l'emballement du jeune homme risque de tout faire capoter.
En effet, ici, ce qui compte n'est pas la rencontre mais tout ce qu’elle va chambouler dans la vie affective d'une héroïne et qu'elle n'accepte pas d'emblée comme étant acquis.
Mêlant roman universitaire (intrigues (un peu trop ) machiavéliques à la clé) et romance (l’héroïne est à la fois "nouée comme un bretzel", intelligente et drôle), Une certaine idée du bonheur est un pavé de 535 pages qui se dévore en un rien de temps, même si, comme moi on a largement plus de trente ans !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : rachel kadish
15/08/2014
Un monde sans moustiques ni cafards est-il possible ?
"Pisseuse, tsé-tsé, de l'olive, des pluies, ou tout simplement domestiques, les mouches agacent, nuisent et parfois effrayent."
Si, comme moi, les moustiques vous ont, de la tête aux pieds, généreusement accordé plein d'étoiles et vous manifestent une affection sans pareille, la question posée par Denis Bourguet et Thomas Guillemaud dans cet opuscule de la collection Les Petites Pommes du savoir ne vous laissera pas indifférent.
Si nous cherchons à protéger les insectes qui nous sont utiles, nous voulons, au contraire, éliminer, radicalement ou pas, ceux que nous jugeons, à tort ou à raison nuisibles et ce avec des moyens variés, mais jamais sans conséquences . Les auteurs donnent des exemples précis et évoquent de manière la guerre que nous menons depuis longtemps contre les insectes jugés nuisibles. Le vainqueur n'est d'ailleurs pas forcément celui auquel on s'attend, les insectes ayant une grande capacité d'adaptation !
Parfaitement structuré, avec des textes explicatifs et argumentatifs clairs (glossaire et bibliographie à l'appui), en principe destiné aux enfants (mais pas que) ce document expose de manière limpide et nuancée nos trois types de relations aux insectes et les conséquences qui en découlent.
Une belle réflexion, nuancée, et pleine d'informations ,qui nous permet d'envisager les moustiques d'un autre œil...
57pages, à glisser dans la poche sans hésitation !
Pour la route, un t'ite chanson.
De rien.
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : denis bourguet, thomas guillebaud
14/08/2014
Le chien-chien à sa mémère
"J'exerçais le métier de journaliste-chômeur. Être journaliste-chômeur, c'était avoir été par exemple secrétaire de rédaction, puis avoir déposé sa plume pour ne pas remettre sa "copie" à la censure et vivre de l'air du temps. Ce métier était honorable. des confrères ont été décorés pour cela.Mais il interdisait le luxe des pommes de terre. Et il faisait maigrir..."
Peut-on acheter d'occasion, sans jamais l'avoir feuilleté, sur la seule fois d'une étiquette coup de cœur dans la vitrine d'une librairie inconnue et fermée ? Oui.
Bon, j'avoue le titre et la couv' ont aussi joué.
Il ne sera pas question que de chien-chien ou de mérote à chats dans les nouvelles d'André Baillon. On y rencontre en effet tout un univers de petites gens , prostituée par défaut comme la si gentille Nelly Bottine qui ne put devenir bonne sœur parce qu'elle avait un enfant, "pauvre bougre "de soldat allemand en butte à la vindicte des passagers d'un tramway bruxellois lors de la première guerre mondiale. Toute une humanité pour laquelle on sent la grande empathie de l'auteur, toujours prêt à se mettre contre ceux que Brassens appelait "les braves gens' qui "n’aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux."
On pense parfois au réalisme d'un Maupassant mais aussi à l'humour noir d'un Vian quand Baillon dénonce l'absurdité de la guerre. L'humour est souvent acide aussi, pointant les défauts avec acuité, y compris ceux du narrateur ! Quant à la réalité, elle s'emballe parfois quand un pot de fleurs, dans un effet "boule de neige", vient par sa seule présence incongrue, entraîner des conséquences inattendues !
Ne pas rater la présentation éclairante de Bérengère Cournut à la fin du recueil.La vie d'André Baillon(1875-1932) est à elle seule un roman poignant et tragique .
Le chien-chien à sa mémère, André Baillon, Finitude 2013, 131 pages qui filent sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, nouvelles belges | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : andré baillon
13/08/2014
Le bonheur n’est pas un sport de jeune fille
« Décidément, les établissements cinq étoiles attirent de drôles d’oiseaux. »
Un microcosme en apparence fort tranquille, en l’occurrence un établissement de thalassothérapie huppé, va être le théâtre de nombreux bouleversements, quiproquos, révélations tragi-comiques.
Premier roman, Le bonheur n’est pas un sport de jeune fille ne maîtrise pas toujours sa narration, mais sait rendre ses personnages vivants, même s’ils frôlent parfois la caricature, en particulier dans leurs dialogues. A trop vouloir mélanger la farce et l’émotion, voire ajouter une touche de surnaturel, l’auteure perd en efficacité et c’est dommage.
Le bonheur n'est pas un sport de jeune fille, Elise Tielrooy, Belfond 2014.
Lu dans le cadre du prix Confidentielles clic
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : elise tielrooy
12/08/2014
Le silence de Saida
" Saida avait compris peu à peu qu'elle avait reçu pour mission de commettre des actes dont les autres étaient incapables."
Risto , pour cause de crise familiale, abandonne sa femme et sa maison, enfourche son vélo pour renouer avec son enfance, sur la côte finlandaise.
Il s'installe dans la vielle maison de sa grand-mère Saida, celle qui l'avait élevée mais dont il s'était éloigné à cause de la jalousie de son épouse. Là, vivant avec le strict minimum, il va découvrir, en même temps qu'un grand pan de l'histoire de son pays, les secrets d'une femme hors du commun, Saida.
Alternant passé et présent, le roman de Leena Lander rend particulièrement vivants ses personnages. Il ne s'agit pas ici d'une reconstitution historique empesée mais d'un récit plein de sentiments, dont tous les acteurs nous deviennent proches. L'auteure fait la part belle aux femmes de ce pays, qui ont obtenu, bien avant les françaises, le droit de vote et rend hommage à celles qui ont su traverser beaucoup d'épreuves ,dont celle de la guerre civile de 1918 qui divisa la population finlandaise, à la suite de la révolution russe et de la première guerre mondiale.
Même si comme moi vous n'appréciez pas spécialement les romans historiques, vous serez sensibles, j'en suis sûre, à ce portrait riche et sensible d'une femme qui alliait douceur et caractère. un bon moment de lecture !
Le silence de Saida,Leena Lander, traduit du finnois par Jean-Michel Kalmbach, Actes Sud 2014,398 pages prenantes.
Du même auteur:clic
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : leena lander
11/08/2014
Grosses joies
"Vous préférez croire en une manifestation surnaturelle, vous préférez croire que les choses peuvent être différentes de ce qu'elles sont habituellement; qu'elles peuvent se dilater de façon assez irraisonnée pour que la réalité se modifie..."
"Flaque de beurre, rabot électrique" (titre d'une nouvelle du recueil), une juxtaposition étrange, tout à la fois quotidienne et décalée à l'image de l'univers si particulier et réjouissant de Jean Cagnard.
Nous sommes dans un monde en apparence banal, le nôtre, mais où la poésie parvient à se nicher au détour d'une phrase, à moins que ce ne soit une touche d'humour noir. Là, le temps peut s'étirer, une chute durer plusieurs jours, pour mieux observer tout ce qui se joue dans cet événement. On prête attention à l'infime :"Dans la rue, on entend une mouche uriner contre la patte d'un berger allemand.",aux sentiments fugaces, "Et puis la femme se resservit un verre pour fracasser la mollesse qui s'installait."
Il règne dans ces nouvelles une atmosphère étrange, "L'acte de vente des parcelles devait contenir une clause qui interdisait aux acquéreurs d'habiter leurs habitations , à moins d'y vivre de façon égyptienne (momifiés).",et un héros doit s'enfoncer dans la forêt pour se trouver "un visage d'homme terriblement vivant, un visage qu'il était allé chercher dans la matière du monde.", une héroïne troquer ses yeux contre des huîtres pour préserver son amour. Comme si la nature pouvait seule nous aider à vivre intensément, loin d'un univers étriqué..
Vous connaissez mon amour des métaphores et de la poésie qui se glisse au cœur de la prose : ici je me suis régalée ! Et tant pis pour ceux qui n’aiment pas les nouvelles, car ils perdent une belle occasion de découvrir un auteur hors-normes qui clôt son recueil en rendant un bel hommage à "la passion des truites pour la littérature." !
Grosses joies, jean Cagnard, Gaïa 2014, 155 pages piquetées de marque-pages !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jean cagnard
10/08/2014
Prix des bouquineuses 2014
Participer à un jury de lectrices ? Bien sûr ! Surtout quand c'est très gentiment demandé par Aurélie, que je remercie au passage !
Ne connaissant ni les ouvrages en lice, ni leur nombre exact, les surprises allaient être nombreuses et ce n'était pas pour me déplaire !
En plus, cerise sur le gâteau ,j'ai découvert que Brize fait aussi partie du jury !
Pour en savoir plus, clic !
La sélection :
- Muette - Eric Pessan (Albin Michel)
- Gary tout seul - Sophie Simon (JC Lattès)
- L'été des lucioles - Gilles Paris (Héloïse d'Ormesson)
- Grand chasseur blanc - Denis Parent (Robert Laffont)
- Madame de Néandertal, journal intime - Pascale Leroy et Marylène Patou-Mathis (Nil)
- Une part de ciel - Claudie Gallay (Actes Sud)
- J'ai rencontré quelqu'un - Emmanuelle Cosso Merad (Flammarion)
- Rien de personnel - Agathe Colombier Hochberg (Fleuve Noir)
- Le bonheur n'est pas un sport de jeune fille - Elise Tielrooy (Belfond)
- Le bal des pompiers - Jérôme Bellay (Cherche Midi)
- Mon nom est Dieu - Pia Petersen (Plon)
- La blancheur qu'on croyait éternelle - Virginie Carton (Stock)
- Entre mes mains le bonheur se faufile - Agnès Martin-Lugand (Michel Lafon)
Ma main s'est aussitôt tendue vers le roman de Virginie Carton, sur lequel je lorgnais depuis un petit moment !
06:00 Publié dans Je l'ai lu !, romans français | Lien permanent | Commentaires (12)
La blancheur qu'on croyait éternelle
« Chez lui, l’affectif l’emportait souvent sur le pratique. »
Mathilde n’ose pas devenir chocolatière car elle est trop diplômée et décevrait son exigeante et envahissante mère.
Lucien, pédiatre, vit dans le même immeuble que Mathilde mais il va lui falloir des mois pour rencontrer sa jolie voisine à deux cents kilomètres de chez lui, tant le monde des sextos et autre facebook lui est étranger.
Joliment scandé par des citations de chansons et de films, La blancheur qu’on croyait éternelle crée un univers douillet où les personnages principaux évoluent à leur aise, en total décalage avec leur époque. En effet, ces trentenaires célibataires se sont donné comme figures tutélaires pour lui Jean-Louis Trintignant et pour elle Romy Schneider (celle des « Choses de la vie », pas Sissi !) Maladroits et touchants, malmenés par leurs prétendus amis, ils peinent à trouver place dans les années 2000 qui leur demeurent totalement étrangères.
Virginie Carton instaure une complicité immédiate et durable avec son lecteur qui se régale à voir les occasions manquées, à repérer les clins d’œil musicaux et cinématographiques (Bande originale pour ne rien manquer à la fin), nous gratifie même de bonus très drôles et d’une guest star surprise. Seul petit bémol : ses personnages principaux semblent parfois un peu trop candides. Une comédie romantique qui remplit parfaitement son contrat, nous divertir avec élégance et finesse.
La blancheur qu'on croyait éternelle, Virginie Carton, Stock 2014, lu dans le cadre du prix Confidentielles .
05:55 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : virginie carton
09/08/2014
Le livre d'un été
"Le vent soufflait sans relâche. Il soufflait toujours sur cette île, tantôt d'ici, tantôt de là. Un sanctuaire pour qui avait du travail, un jardin sauvage pour qui grandissait, et sinon, une succession de jours et le temps qui passait."
Sur une île finlandaise, une grand-mère atypique (elle fume en cachette, crapahute quand elle perd sa canne ou fait un petit malaise), son fils veuf et la fille de ce dernier, la petite Sophie, passent des vacances estivales.
Cette succession de textes courts est centrée sur la relation entre la grand-mère (attentive sans être intrusive ,très fine) et sa petite fille, le père n'étant qu’une silhouette qui ne prend jamais la parole. Au fur et à mesure, se brosse le portrait d'une vie qui pourrait être idyllique mais où il faut savoir s'adapter aux tempêtes, aux constructions intempestives qui gâchent la vue; une vie très attentive aux odeurs, à la nature et au temps qui passe.
La grand-mère parvient toujours à désamorcer, en les contournant, les crises de toute puissance ou de chagrin de Sophie et cette complicité nourrit le récit.
Ce pourrait être banal, c'est tout simplement délicieux, plein de charme, de tendresse et de délicatesse. L'écriture, en apparence très simple, est lumineuse, pleine de malice .Mon coup de cœur estival, tout piqueté de marque pages !
Le livre d'un été, Tove Jansson, Livre de poche 2014, 167 pages à lire plus d'un été !
L'avis de Clara , vainqueure haut la main de la course pour dénicher ce livre !
Hélène, elle aussi conquise !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : tove jansson