Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/04/2018

Une bobine de fil bleu...en poche

"- Connaissant maman, dit-elle, elle aurait refusé une intervention chirurgicale, de toute manière.

- C'est vrai. Sa première directive était, en gros, de l'abandonner sur une banquise au moindre ongle incarné."

La quintessence de la famille heureuse, les Whitshank ?Oui, mais au prix de petits arrangements avec la réalité, de secrets si profondément enkystés qu'on semble les avoir oubliés. Mais tout ce qu'on veut dissimuler inconsciemment, remonte toujours à la surface. Aussi quand la famille se réunit autour de la matriarche qui semble avoir quelques petits soucis avec sa mémoire, tout ne va pas se passer comme prévu.
Anne Tyler évoque avec empathie dans ce roman des thèmes qui nous concernent tous à un moment donné: la sensation dans une fratrie nombreuse de n'avoir pas reçu toute l'attention espérée, le devenir des parents âgés.

anne tyler


Si j'ai beaucoup aimé la partie contemporaine de ce récit et la volonté de ne pas expliquer à toutes forces le comportement de chacun des personnages (celui du fils rebelle en premier lieu ), la volonté d'en faire des personnages à multiples facettes plutôt que de les figer en quelques stéréotypes, les retours en arrière soudains  m'ont déstabilisée. Le charme était brisé .Dommage. Bilan en demi-teintes donc.

14/04/2018

Assez de bleu dans le ciel ...en poche

"Selon toute vraisemblance, je suis un mari, un père, un citoyen, un enseignant, mais à la lumière je suis un déserteur, un imposteur, un voleur, un tueur. Je possède une certaine apparence en surface, mais je suis sillonné de trous et de galeries en dedans, comme une falaise de calcaire."

Dès la première scène, on est ferrés.Nous sommes dans un coin paumé d'Irlande en 2010. Un homme, Daniel, jauge du regard un intrus potentiel porteur de jumelles et d'un appareil photo. Son épouse sera plus expéditive (et plus efficace): elle tire deux coups en l'air. Exit l'intrus.maggie o'farrell
Qui est cette  recluse  entendant bien garder sa tranquillité ? Cette femme, subtilement folle, aux dires de son époux, nous le découvrirons progressivement est Claudette,  une ancienne star du cinéma , mystérieusement disparue avec son fils des années auparavant. Elle a refait sa vie avec Daniel et tout va pour le mieux mais, son père étant au plus mal, Daniel doit rentrer aux États-Unis. L'occasion pour lui de renouer avec  un passé douloureux qui l'entraînera en grande-Bretagne sur les traces de son premier amour Nicola. Mais l'intransigeante Claudette supportera-t-elle  les omissions de Daniel ?
Assez de bleu dans le ciel bénéficie d'une construction virtuose, alternant les points de vue et les époques, pour mieux brosser par petites touches le portrait de ces personnages qui nous deviennent très vite proches et attachants. Une manière supplémentaire d’entretenir la tension , ou plutôt les tensions, qui font que jusqu'à la dernière ligne nous avons le cœur qui bat , nous demandant si le roman va se terminer comme nous l'espérons. Une analyse subtile des sentiments et une écriture élégante font de ce roman une pure réussite !

Et zou sur l'étagère des indispensables !

13/04/2018

Des hommes sans femmes ...en poche

"En l'espace d'un instant, dès que vous êtes un homme sans femmes, les couleurs de la solitude vous pénètrent le corps. Comme du vin rouge renversé sur un tapis aux teintes claires. Si compétent que vous soyez en travaux ménagers, vous aurez un mal fou à enlever cette tache. Elle finira peut être par pâlir avec le temps, mais au bout du compte elle demeurera là pour toujours, jusqu'à votre dernier souffle. Elle possède une véritable qualification en tant que tache, et, à ce titre, elle a parfois officiellement voix au chapitre. Il ne vous reste plus qu'à passer votre vie en compagnie de ce léger changement de couleur et de ses contours flous."

Sept nouvelles,dont la dernière donne son titre au recueil, où il est effectivement de veufs, de divorcés, de célibataires, avec des statuts plus ou moins flous: comment appeler celui qui apprend la mort de son ancienne amante par le mari de cette dernière ? haruki murakami
Au fil des textes,l'onirique se fait de plus en plus présent, les situations sont à la fois ancrées dans le réel mais se laissent aussi progressivement envahir par le fantastique: une Shéhérazade prend soin de diverses façons d'un reclus dont les motifs de l'enfermement sont laissés à notre imagination ; des serpents envahissent un jardin et conduisent un tenancier de bar à reconnaître enfin  qu'il a été blessé par l'attitude de sa femme. Le fantastique culmine enfin dans les deux derniers textes "Samsa amoureux"où Murakami s'approprie le texte de Kafka en inversant la proposition initiale: "Lorsqu'il s'éveilla", il s'aperçut qu'il était métamorphosé en Grégor Samsa et qu'il était allongé sur son lit." Quant à la nouvelle éponyme, elle semble donner les clés des autres textes et le narrateur nous confie :"(il y a toujours, sur le parcours de mes promenades, des jardins qui abritent une statue de licorne)".
Avec une extrême sensibilité et beaucoup de pudeur, sans oublier quelques pointes d'humour, Murakami nous entraîne dans son univers si particulier où il est question de musiques, de mélancolie, et de femmes bien sûr. Et zou sur l'étagère des indispensables !

 

L'occasion de découvrir l’œuvre de Murakami pour ceux qui ne la connaitraient pas encore.

 

 Magnifiquement traduit du japonais par Hélène Morita,

12/04/2018

Les vieux ne pleurent jamais...en poche

"C'était une forme de sagesse , sans doute, que proposait Janet, continuer de prétendre au titre, refuser ce jugement  sur nous-mêmes que tant d'attitudes insidieuses envers nous relayaient  pourtant."

Judith Hogen ne se satisfait pas des maigres occupations, stéréotypées et moutonnières, offertes aux personnes âgées  aux États-Unis. Découvrant incidemment une photo ,notre héroïne décide qu'il est temps de renouer avec un passé  français qu'elle voulait aboli. céline curiol
Elle part alors pour son pays natal, là où habite l'homme de la photo.
Réflexion à la fois enjouée, acérée et pleine de bienveillance sur le temps et l'identité, Les vieux ne pleurent jamais est un roman où l'on retrouve avec plaisir le style précis, poétique et imagé de Céline Curiol.
Des scènes très très drôles- la visite de l'usine de glaces Ben & Jerry d'un troupeau de personnes âgées, cornaqué par une jeunette survoltée-  est un morceau d'anthologie- alternent avec la découverte d'un parcours de vie dont nous découvrons au fur et à mesure les fêlures.
Si j'ai été moins enthousiasmée par la partie française, un peu convenue à mon goût, il n'en reste pas moins que Judith Hogen et sa fantasque voisine ont de la ressource !

Un bon moment de lecture ! 324 pages piquetées de marque-pages.

08/04/2018

La cartographe...en poche

"et se cacher dans une petite mort prudente pendant des heures et des heures, qui ne paraissent que des secondes lorsqu’on se réveille."

Pas d'effets de manche, de nouvelles à chute dans ce recueil de Tove Jansson. Tout y est empreint de subtilité et  de très fines observations. A l'instar du dessinateur de la nouvelle "Le loup" qui observe un animal sans rien faire et ne le "croquera" en quelques traits que peut être des années plus tard quand il en aura saisi l'essence , Tove Jansson va ici à l'essentiel .tove jansson
On ne se lasse pas de la lire et de la relire, tant son écriture est précise et fait souvent la part belle à un humour teinté de noir. Si vous avez aimé son précédent recueil L'art de voyager léger, précipitez-vous sur celui-ci. Et c'est en poche !

de la même autrice: clic.

tove jansson

 

22/03/2018

Sofia s'habille toujours en noir

"Elle m'avait dit un jour qu'elle avait un seul et vrai talent, celui de savoir reconnaître le moment où les choses s'achèvent."

Alors que sa mère se rêve à l'horizontale -sur elle plane l'ombre de Sylvia Plath- Sofia est d'emblée dans la verticalité, la lutte. Ainsi, enfant, perdue dans un magasin flanque-telle une gifle à sa mère pour la peur qu'elle avait eue, ou bien affirme avec aplomb dans une rédaction qu'elle ne connaît pas son père, manière de signaler à ce dernier qu'il est trop souvent absent de la maison.paolo cognettti
Ce caractère bien affirmé et la manière dont Sofia évolue, nous les découvrons au fil de chapitres où elle ne tient pas forcément le rôle principal, dans une chronologie bousculée qui ne perd pourtant jamais son lecteur en route et éclaire -ou laisse volontairement dans l'ombre, certains aspects de sa vie. Au lecteur de combler les vides à son gré.
Ce portrait-mosaïque, fait aussi la part belle à  la mère et la tante de Sofia, personnages hauts en couleur, chacune à leur façon. Vite, faites-vous une nouvelle amie, découvrez Sofia !

Paolo Cognetti, Liana Levi Piccolo 2018, 213 pages aux mille tonalités qui filent sur l'étagère des indispensables !

Traduit de l'italien par Mathilde Bauer.

15/03/2018

Pouvoirs magiques...en poche

"Ce qui n'apparaît pas sur les photos, ce sont ces choses vues et entendues chaque jour, qui n'impriment aucune pellicule mais pénètrent le fond de l'âme et s'y déposent, la tapissent."

Née à la fin des années 60, Cécile nous raconte  sa vie, celle d'une fille souriante (cela exaspère certains), joyeuse, pleine de vie et d'entrain. Il y a les parents, hauts en couleurs, issus de milieux sociaux différents leur union chaotique, la grande sœur Catherine, admirée par Cécile mais qui va progressivement s'éloigner de sa cadette au grand désarroi de celle-ci. Les rôles que nous imposent insensiblement la famille, la société, mais toujours cette volonté de rompre, de faire un écart pour mieux se retrouver.cécile reyboz
Cécile Reyboz nous livre ici une autobiographie voilée (au sens où un roue peut l'être), jamais ennuyeuse, toujours savoureuse (la description de sa remise du prix de la Closerie des Lilas est hilarante!), qui évite tous les écueils du genre et nous entraîne à sa suite entre émotion et pudeur dans une lecture effrénée ! Dévoré d'une traite !

09/03/2018

Un avenir...en poche

"Quittez cet endroit, me direz-vous , mais j'ai laissé passer le moment où c'était encore possible, a dit la femme, dans la plupart des cas, nous laissons passer ce moment."

Paul, malgré un "rhume colossal" parcourt les 300 kilomètres le séparant de la demeure familiale, pour vérifier  qu'un robinet a bien été purgé. C'est en effet le prétexte qu'a trouvé son frère Odd- qui lui a annoncé par courrier qu'il disparaissait pour un certain temps- pour le faire revenir à la maison .
Bientôt la neige va bloquer Paul qui aura ainsi tout le loisir de revenir sur son passé et de reconstituer progressivement l'histoire de sa famille, une famille haute en couleurs !véronique bizot
"Cascade narrative" annonce la quatrième de couverture et c'est tout à fait cela. On se retrouve embarqué dans un récit où les identités se constituent par petites touches, souvent par paires qu'on devine potentiellement interchangeables, où les destins se jouent à peu de choses, évoluent de manière surprenante et où les lieux et les moyens de transport (parfois saugrenus) jouent un rôle essentiel ...La boucle sera bouclée mais nous serons entre temps passés des paysages alpestres enneigés aux terrasses monégasques sans oublier un petit détour par la Malaisie.
Il faut accepter de perdre ses repères pour embarquer dans le récit de Paul et le laisser décanter pour mieux le savourer.

08/03/2018

La daronne...en poche

"Nous étions entre nous, appartenant au grand flou des classes moyennes étranglées par ses vieux. C'était rassurant."

A part une brève parenthèse de bonheur marital, on ne peut pas dire que la vie de notre narratrice ait été marquée par la joie de vivre. Lasse d'être employée au noir par l’État comme interprète judiciaire, de n'avoir ni sécu ni retraite en vue, lasse d'avoir bossé pour  payer les études de ses filles, puis maintenant pour l'EPHAD de sa mère, elle saisit l'opportunité de se glisser dans un monde qu'elle connaît bien pour le suivre via des écoutes téléphoniques : celui du trafic de drogue.hannelore cayre
Et là, elle revit, jonglant avec la langue qu'elle connaît depuis l'enfance, "la langue d'avant Babel qui réunit tous les hommes", à savoir l'argent. Elle endosse avec jubilation l'identité de La daronne, délicieusement amorale, fustigeant notre société et ses hypocrisies. Usant d'une langue tour à tour soutenue puis argotique, "elle, au contraire, avait l’œil émerillonné de celles qui aiment le biff", Hannelore Cayre se régale visiblement à ponctuer son récit de remarques vachardes et délicieuses à nos yeux de lecteurs: "Je me suis très mal conduite avec lui, mais il faut dire que son honnêteté à toute épreuve en faisait un sacré boulet."
Enfin, une héroïne en colère, amorale et qui ne trouve pas son salut dans l'amooouuuur, voilà qui fait bien fou ! (Plein de femmes fortes d'ailleurs dans ce roman , chacune dans leur genre !).

28/02/2018

mémoire de fille ...en poche

"Ce récit serait donc celui d'une traversée périlleuse, jusqu'au port de l'écriture. Et, en définitive, la démonstration édifiante que, ce qui compte, ce n'est pas ce qui arrive, c'est ce qu'on fait de ce qui arrive. Tout cela relève de croyances rassurantes, vouées à s'enkyster de plus en plus profondément en soi, au fil de l'âge mais dont la vérité est, au fond ,impossible à établir."

Récit dont Annie Ernaux s'aperçoit a posteriori qu'il est "contenu entre deux bornes temporelles liées à la nourriture et au sang, les bornes du corps.", récit longuement différé tant a été violente la honte ressentie en cet été 58 , l' épisode évoqué de manière elliptique dans d'autres textes , Mémoire de fille  le raconte et comble ce vide.annie ernaux
Il s'agit de sa première nuit avec un homme, H., dont elle s'entichera, qui la rejettera,entraînant aussi les sarcasmes violents des autres moniteurs de la colonie où Annie Ernaux- alors Duchesne - fait l'expérience de ce qu'elle croit être la liberté.
Cette violence physique qui lui est faite, cette violence verbale aussi, elle est,en 1958, dans l'incapacité d'en prendre conscience et la retournera contre elle, essayant de se rapprocher le plus possible, tant physiquement  que socialement, de la jeune institutrice blonde que lui a momentanément préféré H.
Cet épisode, elle a voulu à toutes forces l'oublier, mais ce n'est que deux ans plus tard, grâce à la lecture  de Simone de Beauvoir qu'elle pourra mettre des mots sur ce qui lui est arrivé.
Ne possédant pas les codes sociaux, voulant à tout prix masquer son inexpérience, Annie Duchesne accumule les erreurs pour un comportement féminin qui, dix ans plus tard, deviendra acceptable, voire normal.
Se basant sur ses lettres, sur des photos, Annie Ernaux remonte le temps et interroge l'acte d'écrire : "Mais à quoi bon écrire  si ce n'est pour désenfouir des choses, même une seule, irréductible à des explications de toutes sortes, psychologiques, sociologiques, une chose qui ne soit pas le résultat d'une idée préconçue ni d'une démonstration, mais du récit, une chose sortant des replis étalés du temps et qui puisse aider à comprendre -à supporter-ce qui arrive et ce qu'on fait."
Le travail de mémoire est mené avec acuité et sans complaisance, Annie Ernaux se désignant comme "la fille de 58", "cette fille", "Elle" dans un distanciation nécessitée par les décennies qui se sont écoulées. Mémoire de fille est un récit nécessaire où se lit l'inscription du corps féminin dans une réalité sociale et historique, ainsi que le destin d'une jeune femme qui semblait tracé d'avance. Un texte sans concessions, qui marque profondément son lecteur.
Et zou sur l'étagère des indispensables !