14/10/2022
l'enfant parfaite...en poche
"Roxane souffrait d'une anxiété de la performance. La réussite scolaire semble être le modèle familial des Blanchard et la jeune fille tentait désespérément de s'y conformer. "
Fille de parents divorcés, Roxane a toujours joué un rôle de facilitateur entre eux et réussi à l'école avec aisance . Mais les choses se corsent quand elle entre en classe de première : son cerveau ne semble plus aussi bien fonctionner, les boutons dévorent son visage et la jeune fille commence à perdre pied en secret.
Un traitement controversé contre l'acné sera finalement le déclencheur du drame.
Vanessa Bramberger entrelace le parcours de Roxane et celui de François, médecin prescripteur et ami de la famille en entretenant la tension.
Elle peint ici avec vigueur le portrait d'adolescents tiraillés : "On nous demande d'être à la fois autonome et obéissant, détendu et performant. Résultat, nous allons mal plus tôt et plus longtemps. On nous balance qu'être ado c'est être à la fois unique et semblable aux autres. Mais moi, je suis une volaille qui ne sait pas voler, une partition inachevée. Je ne veux pas être moi, je veux être Rose ou Lyna. Putain d'adolescence qui n'en finit pas . "
Un roman où le rythme des mots est essentiel, ça claque, ça slame, ça dézingue à tout va et le langage adolescent (merci au lexique destiné aux darons et daronnes) sonne juste. Chacun des adultes en prend pour son grade mais n'est-ce pas plutôt ici le procès d’une société qui en demande trop à une certaine jeunesse ?
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vanessa bamberger
02/09/2022
Chavirer...en poche
"...ce n'est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche; ces hontes minuscules, de consentir journellement à renforcer ce qu'on dénonce: j'achète des objets dont je n’ignore pas qu'ils sont fabriqués par des esclaves, je me rends en vacances dans une dictature aux belles plages ensoleillées. Je vais à l'anniversaire d'un harceleur qui me produit.Nous sommes traversés de ces hontes, un tourbillon qui , peu à peu, nous creuse et nous vide. N'avoir rien dit. Rien fait. Avoir dit oui parce qu'on ne savait pas dire non."
Très jeune, Cléo est victime d'un réseau de prétendus mécènes, la fondation Galatée, qui lui fait miroiter la possibilité d'une bourse pour devenir danseuse. Ayant échoué, elle devient alors rabatteuse pour ces prédateurs sexuels parfaitement organisés.
Près de quarante ans plus tard, le scandale éclate et Cléo, devenue danseuse, notamment pour "Champs Élysées", l'émission de variétés de Michel Drucker ,sent qu'elle va devoir affronter son passé.
J'avoue je craignais de lire un énième livre sur le thème des abus sexuels sur mineurs mais la construction éclatée du roman, la finesse d’analyse de l'autrice ont emporté mes a priori et je me suis laissée emporter par ce roman qui dépeint aussi avec précision tout un univers méconnu: celui des danseurs des spectacles de variétés. Une belle réussite.
Le billet d'Aifelle qui m'avait donné envie : clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lola lafon
01/09/2022
Les enfants sont rois...en poche
"Comment se faire des amis quand on ne partage rien de leur vie et qu'ils regardent la nôtre à travers un écran? On était seuls. On était à part. Admirés ou détestés; adulés ou insultés. "La rançon de la gloire", disait-elle. ..Mais ce n'est pas le pire. le pire, c'est que nulle part on n'était à l'abri. Nulle part hors de sa portée."
Avec Les enfants sont rois, Delphine de Vigan se penche sur un phénomène de société qui, comme souvent, nous vient des États-Unis, celui des chaînes YouTube, potentiellement très lucratives, mettant en scène des enfants et célébrant la société de consommation dans ce qu'elle a d'excessif et d'addictif.
Que des milliers de personnes regardent des bambins en train de déballer des cadeaux, fournis par des marques, ou se lançant des défis plus idiots les uns que les autres peut laisser pantois, voire incrédules, mais tel est bien le cas.
Le risque avec un tel sujet est que l'autrice se pose en donneuse de leçons, voire néglige l'aspect romanesque de son texte. Il n'en est rien ici car Delphine de Vigan ne stigmatise jamais la mère de famille qui livre ainsi ses enfants en pâture, sans en mesurer les conséquences , à court ou à long terme, ne se rendant même pas compte qu'elle les met en danger et quand la petite Kim disparaît, la police entre alors en scène. Il s'agit ici de comprendre , non de juger, sans pour autant sombrer dans l'angélisme à tout crin.
Un roman haletant qui dénonce l'exploitation d'enfants que la loi n'est même pas capable, semble-t-il de protéger.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : delphine de vigan
31/08/2022
Qui sème le vent...en poche
"En plus de nourriture et de vêtements, les enfants ont besoin d'attention. Ce que papa et maman semblent oublier de plus en plus."
La mort accidentelle de Matthies, quelques jours avant Noël, va plonger ses frère et soeurs, ainsi que ses parents ,dans une souffrance qu'ils ne parviendront pas à verbaliser.
Même la religion (ils sont protestants orthodoxes) ne leur sera pas d'un grand secours et chacun dans on coin, ou presque ,continuera tant bien que mal à survivre à ce deuil.
Nous sommes au début des années 2000, dans un coin paumé d'une campagne néerlandaise et la vie est rude pour ces éleveurs de bovins. On pourrait parfois croire, n'étaient quelques détails qui ancrent dans la modernité, que cette famille, tout à la fois pudibonde pour ce qui est de la sexualité et très crue en ce qui concerne la réalité de la mort, vit quasiment en dehors du temps.
Tandis que la mère glisse dans une forme de folie, le père fait face avec stoïcisme à une épizootie qui ravage son troupeau, mais aucun d'entre eux ne parvient à exprimer ses sentiments et ils laissent le reste de la fratrie bricoler des stratagèmes pour apprivoiser la mort.
Ainsi la narratrice, dix ans au début du roman, ne quitte-elle pas sa parka, parka dont elle remplit les poches d'objets . Son frère, lui, opte pour des actes bien plus sadiques.
La découverte de la sexualité pour la fratrie les tient encore du côté du vivant ,mais dès les premières pages du roman, on sait qu'une tragédie est en route car "Quand on n'est plus à même de tenir avec tendresse un être humain ou un animal, mieux vaut lâcher prise et s'intéresser à autre chose."
J'ai rarement lu un roman aussi âpre, aussi tenu , dans le sens ou l'autrice ne tombe jamais dans le piège du pathos, où s'exprime une telle âpreté, un tel pessimisme (le père "prétend que ce n'est pas pour nous le bonheur, qu'on n'est pas faits pour être heureux, pas plus que notre peu blanche n'est faite pour endurer le soleil") et pourtant la narratrice , par son regard singulier, sur la nature, les animaux, parvient à nous offrir quelques respirations dans cette atmosphère saturée de tristesse.
La fin tombe comme un couperet.
Une expérience singulière et forte. Un premier roman , un coup de maître.
Il rejoint bien sûr l'étagère des indispensables.
Traduit du néerlandais par Daniel Cunin,
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Littérature néerlandaise, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marieke lucas rijneveld
29/08/2022
Avancer...en poche
" Avec des vues pareilles, les antécédents qu'on lui connaît et s'il n'est pas d'ici là dérouté par des amours stériles ou la passion délétère des sports d'équipe, le Petit fera certainement personnage historique."
Sur son balcon, Victoria (alias Marie-Laure la feignasse, suivant l'identité que la narratrice endosse pour se parler à elle-même), jeune femme peu pressée d'entrer dans la vie professionnelle, contemple le monde et attend "La voie royale". Dans l'appartement, Marc-Ange, son ancien professeur de sociologie , homme de bonne composition , cherche le thème de son prochain ouvrage tout en tentant de s'adapter à son fils de dix ans, le Petit, enfant précoce qui tient à donner son avis sur tout ou presque. Le Petit d'ailleurs semble bien plus mature que bien des adultes qui l'entourent...
En bas de l'immeuble, un trou gigantesque , fonctionnant un peu comme un aimant et qui va drainer toute une faune intrigante. Se met ensuite tout un concours de circonstances qui va bouleverser l'existence de Victoria et la fera Avancer mais pas forcément dans la direction prévue...
Plus que l'histoire, c'est le style et les personnages qui font toute la saveur de ce premier roman enlevé et drôle.
Adresses au lecteur, sociologie sauvage hilarante d'une rencontre au café, découverte de toute une population pittoresque, des bobo au petits arnaqueurs, on entre avec délices dans un monde décalé et plein de fantaisie. Un régal !
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maria pourchet
27/08/2022
S'adapter...en poche
"Il sentait bien que ce n'aurait pas dû être son rôle. Mais il sentait aussi que le sort aime défaire les rôles et qu'il fallait s'adapter.
L'arrivée d'une enfant inadapté dans une famille concentre généralement l'attention sur lui, et ce , souvent , au détriment des autres membres de la fratrie. Dans ce roman, qu'on devine teinté d'autobiographie, Clara Dupont-Monod, délaissant les romans historiques, choisit de nous raconter, du point de vue des pierres de la maison familiale, l'histoire d'une fratrie hétéroclite mais où la bonté et l'affection circulent, empruntant cependant des chemins différents.
Il y a d'abord l'aîné qui va endosser pleinement son rôle d'Aîné, chérissant ce petit frère aveugle, qui ne peut qu'entendre et dont le corps reste mou comme une poupée de chiffon, sans aucune préhension possible. La cadette, quant à elle, opte pour la révolte , mais saura œuvrer pour restaurer la vie dans cette famille au décès du petit frère. Enfin, il y a le dernier, qui n'aura jamais connu cet enfant inadapté mais qui"avait spontanément accepté l'étrange famille dans laquelle il était né, une famille blessée mais courageuse qu'il aimait plus que tout."
Avec une extrême délicatesse et une écriture qui avance comme sur la pointe des pieds ,mais néanmoins avec vigueur, Clara Dupont-Monod ne rédige pas un tombeau pour cet enfant mais se situe au contraire du côté de la vie, montrant comment ces trois enfants "formaient un cocon, tissaient des jours en forme de cicatrice."
On ne s'étonnera pas que ce roman ait déjà engrangé deux prix.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clara dupont-monod
26/08/2022
La carte postale...en poche
"Cette famille, c'est comme un bouquet trop grand que je n'arrive pas à tenir fermement dans mes mains."
Enceinte, Anne Berest pense "à la lignée des femmes qui avaient accouché avant [elle]" et sollicite sa mère, Lélia, pour "entendre le récit des ancêtres". Les archives accumulées par cette dernière et, en particulier, une carte postale anonyme, arrivée 10 ans plus tôt et portant les quatre prénoms des ascendants maternels assassinés dans des camps d'extermination, vont jouer un rôle essentiel dans cette quête difficile, tant du point de vue psychologique que matériel.
Ce sera aussi pour l'autrice l'occasion d'analyser ce que signifie pour elle le mot "Juif" , élevée dans une famille où la religion n'avait pas vraiment sa place, ce que signifie aussi le fait d'être identifié comme Juif en France de nos jours.
Retraçant à la fois le parcours de ses ascendants maternels, originaires de Russie , avant, pendant et après la Seconde guerre mondiale, cette quête passionnante, digne d'un polar, et réflexions plus intimes, Anne Berest réussit à ne jamais perdre notre intérêt.
Mieux encore, elle jette un éclairage sur certains points peu évoqués. J'ai ainsi pu découvrir le fonctionnement inhumain du camp de Pithiviers ou bien encore la manière peu glorieuse dont l'administration française a traité les différents aspects de l’indemnisation des survivants spoliés de leurs biens durant la guerre.
Un texte à découvrir absolument.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : anne berest
17/08/2022
Ce matin là...en poche
"Clara se dit qu’elle voudrait trouver un lieu où poser ce qui la transperce. Pour s'asseoir et écouter le silence."
Ce Matin-Là, son véhicule ne veut pas démarrer. Le corps de Clara non plus ne lui obéit plus. Incapable de prévenir qui que ce soit , la jeune femme peine à regagner son appartement. Ce matin-là et beaucoup d'autres ensuite, elle ne pourra plus "en découdre avec la vie".
Récit d'un burn-out qui ne dira jamais son nom, le roman de Gaëlle Josse cerne au plus près et en un peu plus de deux cents pages ce corps qui lâche, qui regimbe et force Clara à reconnaître sa fragilité, sa vulnérabilité.
Pourtant la "reverdie" s'amorcera progressivement, à partir d'un rien, un bouquet de tulipes qui tente la jeune femme , à partir d'une amitié fidèle par-delà les années.
Avec délicatesse, poésie même , Gaëlle Josse nous livre ici un livre précieux comme un talisman et qui atteint bien le but qu'elle s'était fixée en le rédigeant :
" J'ai voulu un livre qui soit comme une main posée sur l'épaule."
Un livre qui ne peut que filer sur l'étagère des indispensables.
10:59 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : gaëlle josse
05/08/2022
La panthère des neiges...en poche (et hors de ma Pal)
"On pouvait s'échiner à explorer le monde et passer à côté du vivant."
Quand Sylvain Tesson est invité par le photographe animalier Vincent Munier pour aller au Tibet , dans l'espoir de photographier la mythique panthère des neiges, l'arpenteur de la planète va devoir apprendre le calme et l'immobilité.
Cette expérience va ainsi lui faire réviser ses valeurs et le cheminement au sein de contrées va se doubler d'un cheminement intérieur vers l'apaisement : "Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait; c'était que nous n'avions pas su regarder. "
Entrecoupé de réflexions sur la mort de sa mère et la séparation d'avec une femme , Sylvain tesson se montre ici plus vulnérable, moi fanfaron, et quand il se laisse aller à des interprétations erronées concernant le comportement des animaux animaux, laisse Vincent Munier rectifier ses erreurs sans broncher.
Un texte court mais marquant qui m'a donné envie de visionner le documentaire portant le même titre.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : sylvain tesson
04/08/2022
Les oubliés de Londres...en poche
"Le système était devenu trop immense à combattre. Il n'octroyait plus aux petites gens leurs quotas de petites victoires, parce que la moindre des concessions risquait désormais de les amener à croire qu'ils méritaient mieux, et que cette croyance était bien trop dangereuse pour qu'on la laisse prospérer. "
La spéculation immobilière qui sévit à Londres ne laisse pas de répit aux gens aux revenus modestes contraints quitter leur immeuble, voué à la démolition, pour céder la place à des appartements hors de prix qui ne seront peut être même pas occupés.
Certains résistent quand même et parmi eux, Molly,la soixantaine, photographe aguerrie de la lutte sociale et Hella, la trentaine, doctorante en sciences politiques et militante de gauche que Molly a prise sous son aile.
Quand le roman commence, les deux femmes sont en train de jeter le cadavre d'un homme dans la cage d'un immeuble qui sera bientôt rasé. L'identité de ce cadavre pose problème mais il semble bien lié au passé d'Hella , un passé pour le moins ambigu.
Alternant les points de vue et les époques, sans jamais pour autant que nous perdions le fil, le récit conserve son intensité et ses retournements de situations) jusqu'à la fin. Quant aux personnages, ils ont de multiples facettes et sont dépeints avec une grande véracité, Londres étant ici un personnage à part entière. Une grande réussite pour ce troisième roman d'Eva Dolan.
Traduit de l’anglais par Lise Garond .
Éditions Liana Levi 2020. Points Seuil 2021.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : eva dolan