07/03/2018
Futurs parfaits
"C'est alors qu' à la façon dont il m'a regardée j 'ai entrevu que la chambre de Compiègne était sur le point de m'être proposée, et si grand a été mon effroi que je me suis mise à tousser."
Dans les onze nouvelles de Futurs parfaits règne une stratosphère subtilement décalée où de longues phrases désorientent subtilement le lecteur.
Tout est ici dans la nuance, on pourrait basculer dans le fantastique, le burlesque ou l'humour noir, si fréquemment présents dans la forme courte, mais dans ce recueil même la chute des textes est amortie.
Les maisons ne sont jamais des lieux de refuge, il faut les vendre , on les occupe à peine, et l'un des personnages se fait même construire "une maison invivable". Chaque personnage est surprenant mais de manière discrète, polie, sans ostentatoire.
Un parcours dont on sort un peu étourdi mais fasciné.
Actes Sud 2018.
De la même autrice : clic, clic,, clic et reclic
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : véronique bizot
06/02/2018
Les héroïne de cinéma sont plus courageuses que moi
"Des mecs avaient bien tenter de la brancher à Miami, mais elle les confondait tous avec les alligators."
En 26 textes, comme autant de courts-métrages empruntant aux formes les plus diverses (souvenirs, entretien fictionnel ou pas, mélo flamboyant( Miracle en Alabama )façon d'un match de boxe de légende...) Guillaume Guéraud dit son amour du cinéma et son féminisme. Il remet en lumière des héroïnes oubliées du septième Art , se balade avec aisance des films à gros budgets au cinéma d'auteur et ne se limite pas, loin s'en faut aux cinémas français et américain.
Éclectique et passionné, il fait partie de ces conteurs qui savent tout à la fois instruire et captiver. Nous apprenons ainsi au passage que Gainsbourg"n'a pas inventé un seul traître mot de sa chanson"consacrée à Bonnie Parker, texte par ailleurs cité dans le film, sans que jamais soit mentionnée la véritable auteure de ce poème prémonitoire: Bonnie Parker elle-même.
Un livre passionnant qui se dévore d'une traite.
Éditions du Rouergue 2018, 187 pages vibrantes .
06:00 Publié dans Document, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : guillaume guéraud
16/10/2017
16 nuances de première fois
J'ai hésité à lire ce recueil de nouvelles par crainte de me sentir voyeuse, mais la diversité des auteur-e-s et des points de vue a su me convaincre de passer outre.
Le texte d'ouverture de Clémentine Beauvais ,échange de textos à la fois crus, tendres et humoristiques entre deux amies dont l'une va connaître sa première relation sexuelle est une pure merveille de justesse.
Certaines nouvelles sont plus sombres, n'hésitant pas à dénoncer la manière dont certaines filles acceptent de se laisser humilier par le machisme ordinaire des garçons de leur âge : être qualifiée de « baisable » doit être considéré comme un compliment, ou les mythes qui ont toujours cours, comme celui du fait de ne pas pouvoir tomber enceinte lors du premier rapport sexuel. Une naïve jeune musulmane amoureuse en assumera seule les conséquences.
Emmanuelle Urien, dans un texte puissant expose toutes les ambiguïtés d'une relation imposée à une jeune fille. Relation racontée par le biais d'un miroir, témoin impuissant qui clôture le récit par une conclusion cynique et malheureusement juste.
Axl Cendres ,quant à elle, dynamite avec humour le fantasme majeur de l'hétéro de base et Rachel Corenblit celui des stéréotypes des contes de fées.
Récits fantastiques, d'anticipation, ancrés dans le réel, chacun trouvera son bonheur dans ces textes forts, souvent émouvants où les relations homosexuelles masculines sont évoquées à deux reprises, mais jamais les féminines. Les lesbiennes resteraient-elles encore invisibles ?
Eyrolles 2017
Avec Gilles Abier, Sandrine Beau, Clémentine Beauvais, Benoît Broyart, Axl Cendres, Cécile Chartre, Rachel Corenblit, Antoine Dole, Chrysostome Gourio, Driss Lange, Taï-Marc Le Thanh, Hélène Rice, Arnaud Tiercelin et Emmanuelle Urien.
Préface du psychanalyste et sexologue Alain Héril.
06:00 Publié dans Jeunesse, Nouvelles françaises, rentrée 2017 | Lien permanent | Commentaires (3)
16/06/2017
Les messieurs...en poche
" Il n'y avait donc aucune méthode propre aux vieux d'avant 1938 dont j'aurais tout ignoré. Les nouvelles technologies n'avaient pas fait évoluer les baisers."
Elles ne recherchent ni un père de substitution, ni un sugar daddy qui les comblerait de cadeaux. Non, les héroïnes et narratrices de ces nouvelles sont attirées par Les messieurs âgés depuis toujours , ou presque: "- à huit ans, elle adorait déjà les vieux !"
Partagées entre bienveillance (qui les aimeraient si elles ne le faisaient pas ? ) et ironie mordante (elles ne perdent jamais leur sens de l’humour ), traquant qui la mèche-pont , qui les mesquineries ou les fautes de goût impardonnables, elles se font parfois prendre à leur propre jeu.
Notons au passage que les relations sexuelles ne constituent pas l'enjeu premier de ces relations ni de ces textes.
Si je craignais le côté "pervers-pépères" ou lolita, j'ai vite été rassurée car Claire Castillon prend un malin plaisir à brouiller les pistes et à rendre ses personnages plus riches et plus fouillés.
Certains textes sortent nettement du lot , "le chant du cygne" ou "Quatrième Segpa", entre autres, mais tous recèlent une trouvaille tendre ou acerbe qui fait mouche.
Un petit plaisir à s’offrir en poche.
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claire castillon
13/06/2017
Rebelles, un peu
"Regardez cette salade croquante qui n'a même pas eu le temps de grandir. C'est un bébé, votre salade. exactement comme un petit veau.Tout pareil. Oui, j'y vais. Mais vous pouvez me donner des ronds pour rentrer ? "
Ils veulent une chose et son contraire, grandir mais garder un pied dans l'enfance. Garçons ou filles prennent ici la parole nous nous parler de leurs amis, leurs émois, leurs révoltes, leur corps, leur tendresse cachée pour ces parents qu'ils aiment autant qu'ils les agacent.
Versaillais, il se réinvente Trappiste (de Trappes), dotée de parents artistes, elle se veut rigoriste.Ils s'opposent, se cherchent, et si certains arborent tatouages et piercings ou rêvent juste de se faire percer les oreilles, ils restent néanmoins bien fragiles.
C'est souvent drôle, tendre et cruel. Des textes acidulés dont on sort le sourire aux lèvres.
Rebelles, un peu, Claire Castillon Éditions de l'olivier 2017
De la même autrice : clic, clic,et reclic et rereclic.
Le billet de Cuné qui m'avait donné envie: clic
Dans la foulée, je viens de dévorer Les Messieurs, billet à venir !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claire castillon
29/05/2017
Un chien en ville
"Pas étonnant que l'homme nous ait créés à son image: demi-démon, demi-clochard."
Bâtards ou chiens de race, ils arpentent seuls, bien ou mal accompagnés, les rues de douze capitales du monde, une par nouvelle.
Bien que tenaillés par la satisfaction de leurs besoins primaires , ces canidés prennent le temps d'observer avec acuité les humains qui croient les posséder. Adoptant un ton souvent canaille, ils détaillent ainsi nos obsessions futiles, nos amours, nos vies souvent ratées.
Aimant beaucoup les chiens et la littérature, je crois que j'attendais trop de ce recueil qui n'a su me faire sourire qu'une seule fois, à la toute fin du premier texte. Le reste m'a paru assez banal, manquant par trop de chien.
Merci à l'éditeur et à Babelio pour l'envoi.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jules gassot
26/05/2017
Nouvelles Le Un (ailleurs)
"Ailleurs est réjouissant parce qu'il n'est pas exil, il est une épopée choisie, la possibilité de retour existe." (Valentine Goby)
"Ailleurs" est un mot protéiforme, un "mot blanc" pour Valentine Goby, c'est à dire un de ces termes"émotionnellement neutres, qui ne s'animent, ne deviennent signifiants, qu'habités par une histoire singulière". Et des histoires singulières, autobiographiques ou fictives ce recueil de nouvelles n'en est pas avare.Jugez un peu. C'est d'abord Lydie Salvayre qui nous prend à partie, s'emportant contre cet ailleurs qu'on veut nous vendre à tout prix, refusant de "s'illusionner à bon compte", avant de terminer par une pirouette. En cela, elle rejoint d'une certaine manière Véronique Ovaldé, plus ambiguë dans sa relation à l'ailleurs.
Quant à Valentine Goby,elle tisse deux conceptions opposées mais se rejoignant dans la tendresse que distille ce texte, le plus riche sans doute de ce recueil.
Très émouvante aussi la nouvelle de Karine Tuil, évoquant cet ailleurs définitif vers lequel son père est parti, revisitant sa relation avec le disparu à l'aune du film "Toni Erdmann".
Melin Arditi se penche quant à lui sur d'autres liens familiaux plus douloureux, ceux unissant Van Gogh à son père.
Traverser la frontière est aussi un thème qui revient dans ces textes, que ce soit par le biais de ces enfants rats qui , via les égouts passent du Mexique aux États-Unis, découverts grâce à J.M.G Le Clézio,ou la rêverie de l'héroïne de Catherine Poulain. Rêver, les héros de Nathacha Appanah, le font aussi sur la jetée où se fracassent leur existences.
Un recueil riche et varié à découvrir en librairie ou chez son marchand de journaux.
08:11 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2)
19/05/2017
Fendre l'armure
Grâce à lui, qui avait été abandonné et qui m'avait attendu sagement la première nuit, qui avait pas douté une seule minute que j'allais revenir le chercher et qui maintenant comptait sur moi pour son bien être, j'ai été mieux. Je ne dis pas heureux, je dis mieux."
Leur armure, ils l'ont forgée consciemment ou pas, qu'ils soient "fantassin du capitalisme",employée d'animalerie, chauffeur routier ou expert en bâtiment. Pour échapper à un deuil, à un amour sans espoir ou à un destin inscrit d'emblée dans l'origine sociale ou dans un corps avantageux.
Par la grâce d'une rencontre improbable, le plus souvent éphémère, mais marquante, ils vont pouvoir Fendre l'armure, laisser libre cours aux émotions qu'ils avaient soigneusement cadenassées, ôter le caparaçon que leur éducation ou leur volonté leur a légué et dont ils ne remarquent même plus le poids, restant imperturbable dans les situations les plus éprouvantes.
Ce sont deux femmes qui échangent dans un petit appartement, lovées dans un canapé aux allures de contes de fées réconfortant, deux voisins partageant la même passion pour les chaussures, un père qui sait interpréter avec beaucoup d'humanité la "grosse bêtise" de son fils , pour ne citer que ceux qui mo'nt le plus touchée.
Alors oui, d'aucuns diront que Gavalda n'est pas une grande styliste, même si ici l'oralité qu'on lui a tant reprochée apparaît nettement moins et de manière plus juste, mais sa tendresse, son attention à d'infimes détails, sa malice dans la chute de la dernière nouvelle, sous forme de clin d’œil au lecteur, et surtout l'émotion qu'elle fait naître chez lui, fait qu'à son tour celui-ci ne peut que Fendre l'armure .
Fendre l'armure, Anna Gavalda Le Dilettante 2017.
Cuné m'avait donné envie.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : anna gavalda
12/05/2017
L'aventure, le choix d'une vie
"Le corps retient mieux les leçons que l'esprit, il a cette mémoire de forme qui rend inoubliables les expériences que nous lui faisons subir."
Pascal Manoukian
L'avantage d'un recueil de nouvelles groupées autour d'un même thème est multiple: on découvre des auteurs chéris sous un autre jour (Valérie Zenatti en apprentie journaliste à Sarajevo),tandis que d'autres restent fidèles à eux mêmes (Sylvain Tesson) et on en découvre d'autres.
Celui qui a su m’enthousiasmer par son récit à la fois concis, riche, dense et nourri de réflexions intéressantes est sans conteste Pascal Manoukian que beaucoup d’entre vous connaissent déjà.
Notons au passage qu’il me semble bien avoir déjà lu le texte d'Alain Mabanckou alors que la couverture annonce "inédit"...
Gérard Chaliand, Patrice Franceschi, Alexandra Lapierre, Alain Mabanckou, Pascal Manoukian, Michel Moutot, Yann Queffélec, Sylvain Tesson et Valérie Zenatti. Points Seuil 2017
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alexandra lapierre, pascal manoukian, sylvain tesson, valérie zenatti
13/02/2017
Nouvelles définitions de l'amour
"Nous sommes un couple uni dans nos précipices, dit Rudi Thomas après un long silence, et il pose son micro sur la table basse devant lui."
Les histoires d'amour, surtout dix à la suite, ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Mais, j'ai dévoré goulument ces textes de Brina Svit, appréciant les changements d'ambiance, de tons, son art de l'ellipse, sa sensibilité et sa volonté de ne pas céder à l'art trop usité de la chute, encore moins à la volonté de porter un jugement sur ses personnages.
Avec une prose en apparence très simple, la nouvelliste brosse le portrait de personnages en rupture, à des moments charnières de leur existence mais sans jamais forcer le trait, appuyer sur le pathos. Les fins, souvent ouvertes, laissent libre cours à notre imagination et ne débouchent pas forcément sur le happy end de rigueur.
Suivant son âge, ou sa situation personnelle on s'attachera davantage à telle ou telle nouvelle, mais on appréciera dans toutes le choix pertinent de détails qui permettent de donner de la chair aux personnages: l'art de confectionner un repas succulent avec presque rien, une collection de chaussures ou de noms d'oiseaux, le fait de ne pas posséder de table pour prendre ses repas...
Sans avoir l'air d'y toucher, Brina Svit dynamite en douceur les clichés amoureux ( l'usure du temps, la mort qui rôde, la deuxième chance, l'éloignement, la peur de la solitude, l’amitié amoureuse, les différences de tous ordres...) et nous quittons son recueil le sourire aux lèvres. à lire et relire !
Nouvelles définitions de l’amour, Brina Svit, Gallimard 2017
Kathel et Cuné m'avaient donné envie.
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : brina svit