13/02/2015
Camille Claudel, la vie jeune
"Ce que j'aime, c'est le silence des musées, leur halo rassurant, et les œuvres des anciens, qui semblent veiller sur nous, comme nous veillons sur elles."
Une œuvre d'art peut-elle influencer nos vies ? Carole Fives avec Camille Claudel, la vie jeune, nous montre en tout cas ,dans ses nouvelles ,que le buste de la Petite Châtelaine, exposée à La Piscine de Roubaix peut jouer le rôle de révélateur auprès des multiples visiteurs, attentifs ou pas , qui croisent son regard .
En quelques pages, très denses, ce sont des destins qui se jouent et des tonalités très différentes qui s'offrent à nous: tour à tendres, irrévérencieuses, voire iconoclastes (au sens propre du terme !), ou pleines d'humour (la visite du musée par une classe agitée est particulièrement bien croquée)* ,les pages se dévorent à belle allure!
L'art est bien évidemment au cœur des réflexions que suscite La petite Châtelaine , regrets d'avoir sacrifié ses ambitions artistiques, coups de griffes contre ceux qui utilisent le musée comme un décor à des manifestations vides de sens.
Mais aussi l'enfance. Car c'est bien d'une petite fille qu'il s'agit et à travers elle s'établit ,par delà les années ,un dialogue fort et émouvant entre la narratrice du dernier texte et Camille Claudel."Aide-moi Camille. Tu es passée par là toi aussi. Ils disent fausse couche ou avortement, on ne sait pas. Ils disent que tu es allée là-bas pour te reposer, au château d'Islette. Est-ce Grodin qui t'a forcée ? Ou étais-ce toi qui avais peur, peur comme j'ai peur aujourd’hui ? Comme cette peur que tu as insufflée dans le visage de cette fillette ? Je peux comprendre ça. Se contenter d'enfants de pierre. De papier en ce qui me concerne. Ne pas s'embarrasser de la chair, des langes, de la bave, de la merde . Et je peux comprendre aussi l'envie de le garder.Une autre forme de création. Comparer les deux est ridicule. Est-ce qu'on demande à un homme si la naissance d'un enfant l'empêchera de créer ? "
La voix de Carole Fives s'affirme de livre en livre, s'autorise à la fois à être plus tendre et plus acérée, et bouder ces textes sous prétexte qu'il ne s’agit pas d'un roman serait une grosse erreur !
Un coup de cœur!
Camille Claudel, la vie jeune, Carole Fives, Éditions Invenit 2015, 65 pages pleines de vie et d'émotions.
* Les enfants y décrivent , entre autres, les anglaises de la fillette comme étant des dreadlocks et cette semaine ,sur France Inter, j'ai pouffé en entendant la rediffusion d'une archive où une journaliste au ton pincé décrivait la chevelure de Bob Marley comme "des anglaises frisées" (sic) ! La boucle est bouclée !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carole fives
22/11/2014
13 à table !
"Mais existe-t-il des repas anodins ? Ceux qui ont faim savent que non."(Gilles Legardinier)
Un livre acheté = 3 repas distribués par les Restaurants du cœur et en plus l'occasion ,pour moi, de découvrir certains auteurs populaires que j'avais jamais lus . Donc, j'ai craqué.
Une entrée classique,un peu démodée, lourde comme une bouchée à la reine: le texte de Françoise Bourdin.
Une nouvelle fantastique, flirtant avec le gore, façon Hannibal Lecter mal digéré: Maxime Chattam.
Un texte prenant comme lointain point de départ une vieille blague fade et l'assaisonnant façon "vengeance des nulles": Alexandra Lapierre.
"Un petit morceau de pain" d'Agnès Ledig, pour patienter en attendant la suite: trop sucré et formaté.
Une agréable surprise: Gilles Legardinier qui s'adresse directement au lecteur et le touche au cœur avec deux histoires autobiographiques, un peu mal fagotées, mais sensibles et touchantes.
"Une initiative" plutôt insipide: Pierre Lemaître.Je passe allègrement pour cause d'intolérance avérée sur les textes de Marc Lévy et Guillaume Musso.
Quant à Jean-Marie Périer il rate son mélange salé-sucré avec sa resucée de "Jules et Jim".Il faut attendre (et c'est longuet) Tatiana De Rosnay et son Parfait plein de bienveillance et de malice pour retrouver un peu d'appétit; ce qui permettra de faire passer le texte d'Eric-Emmanuel Schmitt, un peu inabouti à mon goût.
Bernard Werber se risque à l'exercice du narrateur animal et s'en tire par une pirouette qui peut faire passer la sauce. Ma foi, pourquoi pas.
Il faut attendre Franck Thilliez pour savourer un texte à la fois original, évoquant les ours, les saumons et un couple particulièrement touchant. Amour ,angoisse, un cocktail parfaitement réussi !
le billet d’Hélène .
Le billet, plus enthousiaste de Séverine, qui a fait de cet ouvrage une LC ! :)
L'avis de Mamzelle Melo !
10:11 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : restaurants du coeur
11/08/2014
Grosses joies
"Vous préférez croire en une manifestation surnaturelle, vous préférez croire que les choses peuvent être différentes de ce qu'elles sont habituellement; qu'elles peuvent se dilater de façon assez irraisonnée pour que la réalité se modifie..."
"Flaque de beurre, rabot électrique" (titre d'une nouvelle du recueil), une juxtaposition étrange, tout à la fois quotidienne et décalée à l'image de l'univers si particulier et réjouissant de Jean Cagnard.
Nous sommes dans un monde en apparence banal, le nôtre, mais où la poésie parvient à se nicher au détour d'une phrase, à moins que ce ne soit une touche d'humour noir. Là, le temps peut s'étirer, une chute durer plusieurs jours, pour mieux observer tout ce qui se joue dans cet événement. On prête attention à l'infime :"Dans la rue, on entend une mouche uriner contre la patte d'un berger allemand.",aux sentiments fugaces, "Et puis la femme se resservit un verre pour fracasser la mollesse qui s'installait."
Il règne dans ces nouvelles une atmosphère étrange, "L'acte de vente des parcelles devait contenir une clause qui interdisait aux acquéreurs d'habiter leurs habitations , à moins d'y vivre de façon égyptienne (momifiés).",et un héros doit s'enfoncer dans la forêt pour se trouver "un visage d'homme terriblement vivant, un visage qu'il était allé chercher dans la matière du monde.", une héroïne troquer ses yeux contre des huîtres pour préserver son amour. Comme si la nature pouvait seule nous aider à vivre intensément, loin d'un univers étriqué..
Vous connaissez mon amour des métaphores et de la poésie qui se glisse au cœur de la prose : ici je me suis régalée ! Et tant pis pour ceux qui n’aiment pas les nouvelles, car ils perdent une belle occasion de découvrir un auteur hors-normes qui clôt son recueil en rendant un bel hommage à "la passion des truites pour la littérature." !
Grosses joies, jean Cagnard, Gaïa 2014, 155 pages piquetées de marque-pages !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jean cagnard
24/06/2014
Les joies de la famille
"Les joyeux mensonges font les jolis rêves."
Comme le tramway, autrefois disparu, réapparaissant aujourd’hui-"L'homme moderne revenait de ses errements"-trente ans après un départ mal vécu par son cadet, Fabrice, le frère prodigue aux multiples vies , revient à Toulouse. L'occasion de renouer, prudemment, des liens au fil des stations de la ligne de tram que les deux hommes ont empruntée.
L'occasion aussi d'évoquer des thèmes chers à Pascal Dessaint , les relations entre l'homme et la nature, les mœurs particulières des oiseaux, et d'avoir(enfin !) des nouvelles d'un vieil ami autrefois policier à Toulouse.
Texte de filiations réelles et imaginaires , à la fois dense (29 page ) et raisonnablement optimiste, Les joies de la famille joue sur la polysémie du titre et nous procure un grand bonheur de lecture. Du grand Dessaint en petit format !
Distribué gracieusement dans les agences du tramway de Toulouse mais aussi en téléchargement ici !
Merci à l'auteur qui a fait rouler le tram de Toulouse jusque dans le Nord !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal dessaint
04/06/2014
On ne va pas se raconter d'histoires
"J'ai parfois la sensation de m'accrocher de plus en plus aux aspérités de la vie. Ce qui me paraissait comme insignifiant il y a trente ans me semble aujourd'hui lourd, laborieux."
On ne va pas se raconter d'histoires affecte d'emblée, dès le titre, la volonté d'une certaine franchise de bon aloi, d'une camaraderie sans chichis. On joue cartes sur tables et on confie sans barguigner ses sentiments, ses sensations. Les héros sont souvent accumulé pas mal d'années au compteur, seuls ou en couples, et cela les rend plutôt taiseux, patients. Ils aspirent souvent à un idéal (que certains atteignent grâce à des stratégies que je vous laisse le plaisir de découvrir) : "Vivre avec lui est une caresse ,tout est simple, fluide, il dénoue tout sans efforts ni complications."
Une certaine nostalgie pleine de douceur et de délicatesse baigne souvent ces très courts récits où, par exemple, une femme constate que son père, son mari et son fils partagent la même caractéristique: ils rêvassent et cela la touche car "dès qu'il se mettent à rêver, je vois les petits garçons qu'ils ont été."
Mais parfois le ton se fait plus caustique, voire revendicatif ,mais toujours avec beaucoup d'humour et d'empathie. J'ai ainsi adoré un texte intitulé
Merci
« Je sais, c’est un mot bizarre, parce qu’on l’utilise autant quand on vous tient une porte que pour répondre à ces moments qui vous construisent. Il ne vaut souvent pas grand chose en regard de ce qu’on vous donne mais j’ai quand même envie de te le dire. Je voulais te remercier de m’avoir aimée. Je voulais te remercier de n’avoir jamais rien dit quand j’étais odieuse. Je voulais te remercier de m’avoir fait de beaux enfants. Je voulais te remercier d’avoir fait de ma vie quelque chose d’ennuyeux mais de confortable. Je voulais te remercier d’avoir supporté ma bêtise, même si moi aussi j’ai supporté la tienne. Je voulais te remercier d’avoir aimé avec sa boue, ses cendres, la petite fille triste et effrayée que j’étais. Je voulais te remercier de m’avoir fait jouir et de m’avoir foutu la paix. Je sais, j’ai pas toujours dit ça, mais ce soir, c’est ce que j’ai envie de te dire. Je voulais aussi te remercier d’être mort avant moi. »
On ne va pas se raconter d'histoires, ce recueil de micro-fictions est un pur régal à dévorer d'une traite, puis à relire pour mieux savourer toute la gamme d 'émotions qu'il nous fait partager ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
David Thomas , Stock 2014, 148 pages de pur plaisir !
Du même auteur : clic
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : david thomas
12/05/2014
Ce qui est arrivé aux Kempinski
"Une des particularités comiques de l'enfance est que l'on traverse une gamme infinie de sentiments dont on ignore les noms. Tant que le mot n'a pas épinglé la sensation, comme une aiguille perçant les thorax d'un insecte, les impressions papillonnent en liberté autour de nous et en nous, éblouissantes, féériques, mais aussi parfois menaçantes car nous n'avons aucune idée de leur trajectoire, de leur taille, de leur venimosité."
Dans les quatorze nouvelles composant Ce qui est arrivé aux Kempinski, la réalité fait un pas de côté et les rêves deviennent plus réels que la réalité. Le titre d'un roman apparaît différemment à sa lectrice, les identités sont faussées, fluctuantes. Usurpations, impostures, trahisons sont au rendez-vous et même le diable sera dupé par une femme.
Le familier révèle ses double-fonds, les sentiments inavouables (que faut-il faire des cadeaux rapportés de l'école, ces "offrandes [...]la plupart du temps ratées et mystifiantes de laideur" ?, se demande une mère de famille éprise de perfection). On sourit, on admire aussi l'écriture éblouissante d'Agnès Desarthe qui traque au plus près le réel qui se dérobe sous nos pas.
« Mon âme, dit-elle. Mon âme, que vaut-elle ? Mon âme est une liste de courses. Mon âme est une déclaration d’impôts, un bulletin de notes au bas duquel ne figurent pas d’encouragements. Mon âme est le mode d’emploi du lave-vaisselle remplacé depuis huit ans, un bordereau de la poste datant de trois mois (le paquet est reparti, mais où, et que contenait-il ? Une rivière de diamants, sans doute). Mon âme est pleine de “Bonjour, madame”, “Au revoir, madame”, elle est salie par les corvées, corrompue par la fatigue de jours sans héroïsme, sans passion, sans péril. »
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Qu'est-il arrivé aux Kempinski, Agnès Desarthe, éditions de l'olivier 2014, 191 pages constellées d emarque-pages !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : agnes desarthe
16/03/2014
Quelques pas de solitude
"Le plaisir que j'en retire est parfaitement égoïste. Il ne restera que des images dans ma tête. je mets la clé dans le contact et je pense que je suis souvent seul lorsque je fais une observation qui restera parmi les plus belles, et que ce serait dommage s'il en allait autrement."
à l'origine de ces textes sur la solitude, un libraire de Toulouse, Christian Thorel. Mais cette commande était destinée uniquement à la clientèle d'Ombres Blanches (un lieu de perdition ! ). Viendra ensuite un autre libraire, François-Marie Bironneau (Le Bateau Livre à Lille, d'où je ne sors jamais les mains vides) qui jouera le rôle de passeur et présentera Pascal Dessaint à l'équipe de la maison d'édition La Contre Allée. Et ainsi, de fil en aiguille, d'amitié en amitié, voici enfin ce livre au format très agréable et à la présentation particulièrement raffinée, ce qui ajoute encore au plaisir de lecture.
Jamais sans doute, Pascal Dessaint ne se sera livré de manière aussi personnelle que dans ces textes qui évoquent l'exercice de la solitude dans la nature et des rencontres insolites quasi magiques que l'on retrouvera parfois au cœur de ses romans . Mais "Il arrive aussi que la solitude conduise à la perte totale de soi." Et là, la voix se fait plus grave,l'émotion sourd ,l'auteur se livre avec pudeur, sobriété, les questions jaillissent et la seule réponse est l'écriture. Et donc la solitude.
Des textes à fleur de peau , une réflexion exigeante et poignante, un livre magnifique qu'il faut laisser le temps de décanter en soi..
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Quelques pas de solitude, Pascal Dessaint, Éditions de la Contre Allée 2014 , 43 pages, un concentré d'émotions.
Le billet de Philisine, tout aussi séduite !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : pascal dessaint
17/02/2014
Sanglier noir pivoines roses
"-J'irai cracher sur tes timbres, Annick ! Cette nuit ! Sur tes plus beaux. Cuba ! San Marino !"
Les ICT (Impasses Conjugales Totales), comprendre les sujets de discorde, ne les excitent plus, mais ces vieux couples interchangeables conservent leurs manies, leurs vies bien réglées où les habitudes tiennent lieu de repères. Les célibataires ne sont pas mieux lotis d'ailleurs...
Parfois un incident, sanglier empaillé, chat qu'on s'obstine à acquérir, fait déraper le cours des choses mais "Ma vie, c'est du papier sulfurisé. Rien n'accroche". Alors, entre piscine et mercerie, entre statue de la Semeuse et square Doctavy apparaissent des visions sanguinolentes qui parfois glissent d'une nouvelle à l'autre.
Se crée ainsi un territoire où la réalité, qui pourrait être la notre, fait un pas de côté, où la vision d'un chat donne lieu à une logorrhée hallucinante , où passent des potamochères, équipés ou non de rétroviseurs électriques, où les fleurs en disent long sur la souffrance. L'humour vire souvent au noir,mais le regard est toujours aigu et sensible , prompt à repérer le regard dont on a "extrait l'intérieur, le vivant, l'irrigué, le sensible", "La peau sous ses yeux [...]si fine, de la pâte humaine, translucide, ratatinée, dénutrie"et les mains qu'on aurait pu joindre "Comme un pont entre nous".
Un recueil dévoré d'une traite, un grand coup de cœur pour une écriture à la fois sensible et qui se laisse aller à une douce folie pour mieux dynamiter le réel ! 146 pages enthousiasmantes !
Sanglier noir pivoines roses, Gaëlle Heureux, La Table Ronde 2014.
Merci à l'éditeur et à Babelio !
Lu dans le cadre de Masse critique.
06:03 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : gaëlle heureux
04/02/2014
Le bruit de la gifle
"Personnellement, j'ai toujours été très famille.Malheureusement, en fait de parents proches, je n'ai plus que mon père, et sans doute pas pour très longtemps: je songe en effet à m'en débarrasser."
Un peu de paix, une parenthèse de silence, de solitude, brève ou définitive, voilà ce à quoi aspire la plupart des personnages des nouvelles d'Emmanuelle Urien dans Le bruit de la gifle.
En quelques pages, la nouvelliste crée ainsi des univers très différents mais toujours au plus près des sensations et des sentiments de ses personnages. Nous sommes au bord d'une plage du Nord où un homme vient effectuer un étrange pèlerinage , savourant immuablement un goûter d'enfance: "Pain, beurre, chocolat" "en savourant la moindre miette, lentement grimaçant chaque fois que ses dents crissaient sur les grains de sable qui s'immisçaient à l'intérieur du sandwich, quelques soient les précautions prises pour l'envelopper.", à bord d'"un bateau sur l'eau" avec un homme perdu qui joue à l'aventurier, dans un drame rural où l’héroïne mettra "Les pieds dans le plat", conciliant Éros et Thanatos, gourmandise et amour. Entre autres.
Souvent d'ailleurs, l'auteure glisse une petite phrase qui, mine de rien, nous annonce ce qui se joue en sous-main: " Violette saisit l'inspecteur par le bras, comme si elle voulait l'emmener en promenade. Le balader pour ainsi dire."
Entre humour noir et tendresse, Emmanuelle Urien scrute le cœur de ses personnages avec bienveillance, nous gratifiant au passage de superbes phrases témoignant de son sens de l'observation et de sa finesse psychologique : "Quelquefois le promeneur espère malgré tout qu'elle changera, d'elle même; qu'elle se fatiguera de sa propre douleur à vivre, et découvrira l'autre versant des choses, celui où on peut se réjouir. De ce qui est, de ce que l'on a . Il se dit qu'elle chemine pour atteindre le sommet. Qu'il faut du temps. Qu'elle a de petites jambes."
Le bruit de la gifle, Emmanuelle Urien, Éditions Quadrature 2014, 101 pages qui ne nous laissent jamais sur notre faim.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : emmanuelle urien
02/01/2014
L'immobilier
"Rien ne m'obligera à supporter ça. Dès qu'il prononcera sa phrase à la con, je me lèverai, je prendrai mes affaires et je partirai sans dire un mot. J'espère qu'il ne va pas trop me faire attendre, j'aimerais me coucher tôt."
Le fil rouge de ces quatorze nouvelles est L'immobilier. En quoi il nous affecte, en quoi il nous marque , en quoi il nous révèle. De l'étudiante en arts plastiques à la vieille dame isolée qui rencontrera ses voisins à l'occasion d'un incendie, sans oublier le couple d'amies que nous retrouverons dans plusieurs variations sur le même thème (l'acquisition d'un logement et les hypothèses a posteriori qu'il entraîne), sans oublier les nouvelles pratiques locatives, tout est prétexte à peindre avec acuité mais sans acrimonie notre société dans ce qu'elle a souvent de marginal . Au fur et à mesure des nouvelles, l'auteur prend de plus en plus de libertés avec la réalité et laisse ses personnages être contaminés par une folie douce qui leur va bien.
L'humour est toujours présent mais jamais vachard et l'on prend beaucoup de plaisir à la lecture de ces textes souvent doux-amers que j'ai constellés de marque-pages !
Un petit extrait pour la route : " Quand j'y réfléchis, je me dis que j'ai peut être quitté Tom, au fond, parce que je n'aime pas l'idée que quelqu’un se lave après moi dans l'eau de mon bain. De même ,j'aime jeter le gras de ma tranche de jambon sans qu'on s'interpose entre moi et la poubelle. J'aime froisser mes feuilles de papier après y avoir griffonné un seul mot, me débarrasser du journal de la veille sans l'avoir lu, rendre les DVD sans les avoir regardés, ne pas utiliser la totalité de mon forfait téléphonique. Gâcher un peu ma vie , enfin."
L’immobilier - Hélèna Villovitch
Gallimard, collection Verticale, 2013, 180 pages
Le billet de Cuné, la tentatrice !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : hélèna villovitch