25/11/2011
J'aime être gourmande
"Arrière les épices coup de cymbales, l'alcool grosse caisse , la sauce jazz ! Arrière la goinfrerie, la gloutonnerie et autre intempérances ! Cachez-vous de même régimes !"
Quel plaisir de retrouver la langue drue, charnelle, roborative de Colette !
D'entrée de jeu Guy Martin nous fait saliver en imaginant le menu qu'il aurait élaboré pour cette "gourmande de la vie." Gérard Bonal et Frédéric Maget nous précisent ensuite que les 13 textes ici rassemblés ont été sélectionnés parmi les articles que l'auteure des Claudine avait rédigé pour le magazine Marie-Claire, des textes où elle s'adresse en toute camaraderie aux lectrices et ce dans une période troublée (les textes vont du 27 janvier 1939 au 24 mai 1940).
Très éclectique, Colette nous livre la recette du café au lait de concierge, se régale (et nous avec elle) à énumérer les plats dont elle fait son ordinaire, parle "du haut de [ses] soixante ans" de l'amour et de sa durée, promettant , la coquine, " certaines surprises dont nous ne devons rien laisser savoir, sinon qu'elles mettent parfois sur un visage et dans des regards de femme mûre, l'éclat triomphant qui illumine les jeunes épouses..."
Les chats sont bien sûr au rendez-vous- un texte tout en délicatesse et émotion- mais Colette célèbre tout autant les quartiers de Paris qui sont autant de provinces, le courage des femmes qui ont remplacé un peu partout les hommes partis au front ou la nécessité de conserver un décor agréable, un peu de frivolité dans ces temps difficiles. Elle se penche également sur les enfants, célébrant leurs capacités remarquables, ce qui ne manque pas d'étonner quand on connaît la relation perturbée qu'elle entretint avec sa propre fille... C'est parfois inégal, le premier article qui donne sont titre au recueil est une pure merveille et donne aussitôt envie de se replonger, pour prolonger la dégustation, dans Colette gourmande (une très jolie idée de cadeau) !
J'aime être gourmande, L'Herne 2011, 96 pages. 9.50 euros, un peu chérot quand même...
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : colette, marie-claire, guy martin
04/07/2011
Avec mon meilleur souvenir
à cause d'un documentaire chopé par hasard à la télévision, à cause d'un livre dont je parlerai prochainement, j'ai mis la main sur ce recueil de texte où Françoise Sagan évoque des moments heureux, brosse le portrait sensible des gens qu'elle a aimés : Billie Holiday, l'ogre Orson Welles qui la trimballait "comme un sac de vêtements à travers toutes les rues de Paris et les Champs Elysées" "sous prétexte qu'[elle] ne [se] fasse pas écraser", Sartre à qui elle écrivit une lettre d'amour/admiration.
Sagan évoque aussi son addiction au jeu, à la vitesse,dans des pages qui nous montrent- si on en avait douté - son talent de styliste. Sans oublier une évocation teintée de mélancolie de Saint Tropez qui n'est pas sans rappeler une autre habitante de cette station: Colette.
Mais c'est à la littérature que l'auteure de Bonjour tristesse consacre ses plus belles pages car elle lui voue un amour"d'une grande supériorité sur l'amour tout court, l'amour humain."car, selon elle, "la littérature en revanche offre à notre mémoire des coups de foudre autrement fracassants, précis et définitifs."Et Sagan de nous décrire avec un entousiasme intact sa rencontre avec les quatre textes qui lui "restent toujours comme des tremplins , des boussoles"dans cette "existence aisément qualifiable d'agitée", existence où elle affirme ne rien avoir appris.
Ces quatre textes ? Les nourritures terrestres (Gide), L'homme révolté (Camus), Les Illuminations (Rimbaud) et Proust bien sûr, dont elle recommande de commencer la lecture par Albertine disparue.
Pour conclure quelques phrases d'un chapitre qui mériterait d'être cité en entier :
"Je découvris que le don d'écrire était un cadeau du sort, fait à très peu de gens, et que les pauvres nigauds qui voulaient en faire une carrière ou un passe-temps n'étaient que misérables sacrilèges. Qu'écrire demande un talent précis et précieux et rare-vérité devenue inconvenante et presque incongrue de nos jours; au demeurant, grâce au doux mépris qu'elle éprouve pour ses faux prêtres ou ses usrpateurs, la littérature se venge toute seule: elle fait de ceux qui osent la toucher, même du bout des doigts, des infirmes impuissants et amers- et ne leur accorde rien- sinon parfois, par cruauté, un succès provisoire qui les ravage à vie." Des mots forts, définitifs et toujours d'actualité...
Avec mon meilleur souvenir, Françoise Sagan, Folio 2010 (1ère édition folio 1985)150 pages délicieuses .
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13/06/2011
La patience des buffles sous la pluie
"Bon je sais , c'est un peu confus , je ne sais pas trop ce que je veux mais ce qui est sûr, c'est que j'aimerais être loin de moi."
Soixante-dix textes ,souvent courts, voire très courts, où s'expriment des narrateurs /narratrices à la première personne pour dire la banalité, l'intime, ce qui nous rassemble tous et pourtant nous paraît si unique, avec une élégance désenchantée.
L'amour est bien souvent au centre des préoccupations de ces "je" multiples, certains d'entre eux envisageant même l'usure du temps au tout début de leur histoire car rien n'est sûr chez David Thomas. Pas de héros donc, chacun se coltine sa vie, aspire à une forme de sérénité et soliloque ou invective l'autre dans des logorrhées qui soudain retombent et font un "plat" comme à la piscine. Mais ici pas d'échec car le sourire vient de poindre chez le lecteur !
En effet on sourit beaucoup au fil de ces morceaux de vie dans lequel chacun(e) peut se reconnaître.
Pas étonnant donc que ce soit Jean-Paul Dubois qui signe la préface de ces textes, lui qui avait écrit "Je ne crois en rien, je ne vaux pas grand chose, et pourtant tous les matins, je me lève".
Il prédit un grand avenir à David Thomas et c'est tout le mal qu'on lui souhaite à défaut de rencontrer une sportive professionnelle et de s'exiler au soleil comme l'a fait le précédent coup de coeur de Dubois !
La patience des buffles sous la pluie, David Thomas, Livre de poche 2011, 151 pages enthousiasmantes (du coup j'ai commandé le roman qui vient de sortir !). A glisser d'urgence dans vos besaces, à lire et à relire !
L'avis d'Hélène
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : david thomas, humour désenchanté
18/02/2011
Aux bords du lac Baïkal
"Il faut dire que la pitié, les gloutons, ça les faisait bien rire."
Une même scène, aux bords du lac Baïkal vue par douze paires d'yeux différents (moins un oeil, la pie est borgne !). Parmi ces narrateurs, un seul animal humain : un jeune chaman , Geirg Dordjé, le seul à être capable de capter ces paroles muettes échangées par la faune locale, mais comme il est peu loquace, pas de danger qu'il les répète.
Un monde "beau, implacable" où il ne fait pas bon être une marmotte trop gourmande ou un glouton pas assez agressif, mais un monde aussi où l'on croise un aigle maladroit, un tigre plus paresseux que féroce et surtout mon chouchou, l'inénarrable l'escargot Dwayne Dodo qui" se raconte à lui même des histoires qui le font rire jusqu' à l'intérieur de sa coquille. " En outre ce gastéropode est persuadé, en toute modestie, d'être l'animal le plus beau du monde !
Les noms des héros de ces nouvelles sont à eux seuls un vrai régal (citons au passage l'ours Pandolphe Popovitch) et Christian Garcin, un peu dans l'esprit des Histoires comme ça de Kipling, n'hésite pas à créer des effets de refrains , ce qui renforce la continuité d'un texte à l'autre.
Un livre qui vous prend par la main, quel que soit votre âge, et qui ne vous lâche plus ! Un vrai coup de coeur !
Cuné a aussi été séduite !
Aux bords du lac Baïkal, Christian Garcin, Ecole des Loisirs 2011, 134 pages pleines de surprises et d'humour !
06:00 Publié dans Jeunesse, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : christian garcin, animaux, humour
05/01/2011
Les petits
"...c'est une chose à la fois triste et gaie, nous ne décidons pas des élans de notre coeur, Paul, mais un jour, sans qu'on sache pourquoi, le chagrin s'en va."
Petits, ils le sont par l'âge ou la condition sociale. Mais toujours on leur enjoint de plier, soit par la force brute, soit de manière plus feutrée, sournoise, voire validée par l'ensemble d'un groupe social. Leur bonheur, aussi modeste soit-il, ne peut qu'exaspérer :"...sa politesse, sa douceur même , devenaient à leurs yeux une marque de condescendance inacceptable." La violence , quelle que soit sa forme, toujours, rôde.
On frémit, on retarde même la lecture de certains textes, car on le sent , à un moment donné Sélim subira le pire parce qu'il aura franchi une invisible frontière, Isabelle sera forcée de se délester de ce qu'elle a de plus cher et de surcroît d'en subir les conséquences...
Les atmosphères, les milieux sociaux varient mais il faudra attendre la dernière nouvelle pour qu'un peu d'humour féroce vienne insuffler un courant d'air bienvenu dans cette galerie de portraits acides et cruels ,mais qui sonnent toujours justes.
La douleur est présente mais elle est exquise, dans tous les sens du terme. Un style tour à tour ferme ou poétique que Frédérique Clémençon manie avec une précision de scalpel.
Les petits, Frédérique Clémençon, L'olivier 2011, 200 pages à déguster à petites doses pour éviter d'avoir el coeur broyé, mais au final on en redemande !
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : frédérique clémençon, cruauté
06/11/2010
La mauvaise habitude d'être soi
"Il s'attribuait son quotidien pour en faire de la bouillie."
Un homme voit débarquer chez lui un inspecteur persuadé que l'occupant de cet appartement est décédé. Qui a raison , qui a tort ? Le narrateur , comme le lecteur, est d'abord fort de ses certitudes et tente de se raccrocher à des faits qui se font de plus en plus fluctuants sous la logique imparable du représentant de la loi. " Vous ne vous remettez jamais en cause, hein ? ", ce reproche ne pourra être fait au héros de la deuxième nouvelle qui est fatigué d'être lui,ou à celui qui choisit d'habiter dans un endroit, ô combien singulier, où "pour la première fois [il a] le sentiment d'être chez [lui]..."
Sentiment de singularité, identité pesante, perte de contrôle de son existence, inversion cyniquement réjouissante des valeurs, tels sont les thèmes qui courent tout au long de ces sept nouvelles qui échappent, ô miracle, aux pièges de la chute et de la mécanique bien rodée. Il s'en dégage d'abord un mal être bizarrement joyeux car à plonger dans l'absurde, à se frotter à la fausse logique, le lecteur ne peut qu'être séduit par ce réel à la fois si proche et si délicieusement excentrique.Les deux dernières nouvelles ont une tonalité plus noire et plus tragique, puisqu'un personnage va même jusqu'à "s'expuls[er] de sa propre vie." et la paranoïa gagne du terrain sous une forme à la fois fantastique et faussement banale. Le malaise envahit le lecteur et témoigne d'un monde où cohabitent principe de sécurité à tout crin et la violence contre les individus hors-normes.Un crescendo très efficace .
Les illustrations de Quentin Faucompré se fondent totalement dans l'univers si particulier de Martin Page et en soulignent le non-sense .
Quel bonheur de commencer un recueil de nouvelles dont on sait dès les premiers mots qu'il va vous mettre le sourire aux lèvres ! On a le coeur qui bat un peu en se demandant si le livre va tenir toutes ses promesses et ... oui !
La mauvaise habitude d'être soi, Martin Page, Quentin Faucompré, Editions de l'olivier 2010, 145 pages enthousiasmantes ! Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:03 Publié dans Humour, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : martin page, absurde, humour, identité
26/10/2010
Une heure dans un supermarché
"...il est très mystérieux, finalement. Eux aussi."
Dans une construction éclatée, une nouvelle mettant en scène un personnage pricipal à la fois , mais jetant des ponts subtils entre eux, un peu à la manière du film de Robert Altam Short cuts, Christine Jeanney brosse le portrait de ces gens que nous croisons chaque jour au supermarché.
Des gens de peu aurait dit Pierre sansot, des gens ordinaires en apparence , certains d'entre eux sont très prévisibles-la jeunette amoureuse d'un homme marié par exemple- mais qui ne s'est jamais dit de certaines personnes croisées: "C'est un stéréotype ambulant ! "? , mais beaucoup sont peints avec sensibilité , humour et finesse. Ainsi le chat qui endosse sans broncher une double identité car il y trouve son compte ou le pélerin de Compostelle qui voudrait rebrousser chemin : "Qu'est-ce que tu vas lui dire, Gaubert , ce soir au téléphone ? Jeannine ,je rentre parce que j'ai perdu Dieu ? Jeannine, je reviens tondre la pelouse et pulvériser du désherbant dans l'allée, je rentre, je suis un peu enrhumé, rien de grave, je suis un peu athée aussi, sans doute à cause du froid, viens m'attendre à la gare."
De jolies rencontres qui confirment tout le bien que je pensais déjà du premier roman de Christine Jeanney mais où j'aurais aimé sentir moins de maîtrise et plus d'enthousiasme.
Une heure dans un supermarché, Christine Jeanney, éditions Quadrature , 2010 , 127 pages sensibles.
L'avis de Clara,
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : christine jeanney, quotidien
20/10/2010
L'art difficile de ne presque rien faire
Il est des livres et des auteurs qu'on aimerait apprécier mais rien n'y fait, il faut savoir se faire une raison. Encensé par la critique il y a quelques années, j'avais tenté la lecture du Petit traité de désinvolture . Il ne m'en était pas resté grand chose.
Denis Grozdanovitch ayant décidémment le génie des titres tentateurs, je me suis retrouvée avec L'art difficile de ne presque rien faire , recueil de chroniques parues dans Libération. J'y ai glané quelques infos intéressantes mais surtout l'impression que l'auteur tourne autour de son sujet , l'effleure, et s'en sort par une pirouette, terminant quasi systématiquement ses billets par une longue citation philosophique. Alors oui c'est cultivé, classieux et compagnie mais ça n'a pas fait mon bonheur.
05:30 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : denis grozdanovitch
30/09/2010
Spéracurel
A travers une série de textes courts, nous entrons dans l'intimité d'une jeune femme, donnée on le devine , comme étant le double de l'auteure.

Ses petits boulots, ses rapports avec sa famille, sa fille, une petite coquine, ses amis, ses amours sont racontés avec une fraîcheur réjouissante. Il n'en restera peut être pas grand chose au fil du temps mais c'est un joli moment de lecture.
Recueil découvert à la caisse d'une librairie-tartinerie, véritable petit paradis , ici.
Spéracurel, Anna Dubosc, Rue des promenades, 2010, 123 pages.
Antigone en avait parlé ici.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : anna dubosc
13/08/2010
Les croissants du dimanche...
...viennent de sortir en poche. Un régal à ne pas manquer !
Les croissants du dimanche qui donnent son titre au recueil d'Annie Saumont, il faut bien les chercher pour les trouver. Ils ne sont qu'un détail d'une nouvelle, un rituel auquel se raccroche de toutes ses forces une femme pour redonner un peu de stabilité au chaos qui a bouleversé sa vie. Un îlot de stabilité dans un monde qui s'écroule.
C'est ainsi que procède l'auteure, au plus près de l'émotion, par détails, par ellipses et l'on se retrouve cueilli par une phrase comme celle-ci , prononcée par un enfant: "Après, des fois, elle regrette. Alors j'ai un câlin."
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : annie saumont