14/04/2020
Après la fin
"Nous dépendons donc en partie de la gentillesse de parfaits inconnus, nous faisons confiance au monde. C'est comme ça que ça marche."
Rien de ce que nous croyons normal, permanent, acquis, ne l'est. Et le malaise durant lequel le cœur et les poumons de Miriam , 15 ans, cessent de fonctionner, vont le rappeler cruellement à sa famille.
Réanimée et confinée à l’hôpital le temps de faire des examens et de la surveiller , c'est toute la constellation familiale qui va devoir se réorganiser et apprendre à vivre avec le risque et l' impermanence.
Racontée du point de vue d'un père au foyer, historien universitaire éternellement en CDD, l’histoire est à la fois chaleureuse et angoissante.
Chaleureuse car c'est toute la vie quotidienne avec ses microfailles entre les membres du couple atypique (elle, médecin qui bosse 60 h par semaine auprès de patients défavorisés , soupçonnée par son mari d'étirer volontairement ses journées de travail, mais tiraillée par la culpabilité de ne pas s'occuper suffisamment de ses filles, lui qui assure le quotidien en ayant la sensation de s'éloigner de son épouse ), sans oublier la cadette qui veut à tout prix attirer l'attention, qui est brossée avec empathie.
Angoissante car rien ne sera plus jamais comme avant, mais qu'il faut faire avec.
Un roman commandé immédiatement après avoir lu Dans la lande immobile (clic) de la même autrice et dont de nombreuses phrases ont résonné particulièrement en accord avec notre situation actuelle.
Cuné l'a beaucoup aimé également: clic.
"Les livres importants étaient trop exigeants et les livres insignifiants semblaient trop futiles pour la nouvelle réalité, dans laquelle la mort se tenait en embuscade dans tous les recoins et venait respirer au-dessus de mon épaule dès que j'en détournais les yeux."
"Pourvu qu’on oublie. Quel gâchis de voir que les choses qu’on apprend en temps de crise sont déjà écrites en toutes lettres sur des aimants à frigo et des cartes de vœux : profitez de l’instant présent, savourez chaque moment, exprimez votre amour – pourvu qu’on vive assez longtemps pour mépriser à nouveau ces clichés, pourvu qu’on guérisse suffisamment pour considérer le ciel, l’eau et la lumière comme acquis, parce qu’être aveuglément reconnaissant d’avoir des poumons et un coeur qui fonctionnent ne met pas notre intelligence à contribution."
"...c'est simplement le fait de sortir de la maison qui semble, de façon inexplicable, plus compliqué que de planifier l'invasion d'un petit pays."
"Après quarante-huit heures de confinement, l'odeur du vent et l'idée de conduire une voiture ont quelque chose d'exotique."
"La patience, ai-je eu envie de lui dire, comme les autres vertus, est principalement une question d'habitude."
"Tout ne va pas bien, mais il y a de la beauté. Nous avons à notre disposition des outils pour dire que ça ne va pas, qu'il y a la mort, la souffrance, le mal et ces outils sont les mêmes depuis des centaines d'années. La pierre de construction. Le verre. Le fil qu'on tisse.
Les mots."
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sarah moss
10/04/2020
#LesOmbresdelatoile #NetGalleyFrance
"Toujours commencer la journée par un acte criminel, c’est ma philosophie."
L'un est un ancien journaliste d'investigation qui a commis une énorme bourde le décrédibilisant. L'autre ne peut aller à l'université et exploiter ses dons en informatique car sa mère est en prison. Tous deux victimes de chantage, ils vont devoir unir leurs capacités, l'un dans la "vraie" vie, l'autre sur la Toile pour venir à bout d'ennemis particulièrement machiavéliques.
Sur un schéma en apparence classique (les deux héros que tout oppose), Chris Brookmyre bâtit un scénario retors, multipliant les rebondissements et exploitant les thèmes de l'espionnage industriel et des hackers sans jamais perdre son lecteur en route, même quand il est une quiche en informatique comme moi.
Ses personnages sont pleins de vie, d'humour et l 'évolution de leurs sentiments n'est jamais sacrifiée sur l'autel de l'efficacité. A noter qu'un chapitre est intitulé "Confinement" mais que la situation en question est encore pire que ce que nous vivons actuellement.
544 pages qui se dévorent à toute allure !
Métailié 2020 , traduit de l'anglais (Écosse) par David Fauquemberg, dispo en numérique.
Du même auteur : clic
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : chris brookmyre
09/04/2020
La résurrection de Joan Ashby
" Elle comprend qu'elle vivait comme cousue de l'intérieur depuis très longtemps et que les coutures commencent à craquer."
Pas de suspense, tout est dans le titre : Joan Ashby finira par renaître. Mais au bout de quel processus, celle qui, très jeune avait écrit deux recueils de nouvelles, encensés par la critique et le public, s'est laissée éloigner de l'écriture par une vie de famille pas totalement choisie ?
Dans ce roman de 636 pages, non dénué de longueurs, mais totalement maîtrisé du point de vue de la structure et un pur régal au niveau de l'écriture, Cherise Wolas ne ménage pas son héroïne, multipliant à l'envi les obstacles sur sa route. Certains sont connus (charge mentale, manque de temps, d'espace à soi, nécessité de faire passer les besoins des autres avant les siens propres...) et communs à bien des femmes, mais d'autres sont spécifiquement liés au monde de la création. Joan Ashby a beau regimber, a beau ruser pour se ménager un espace à la fois mental et physique à elle , une dernière catastrophe vient annihiler ses efforts à la fin de la première partie. Une catastrophe qui détruit à la fois son identité d 'écrivaine et de mère.
Car c'est bien d'identité qu'il s'agit ici, ainsi que des liens qui unissent les membres d'une famille atypique où certains sont si doués qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils entravent les autres. Avec une franchis décapante, une lucidité sans pareille , Joan Ashby décortique les relations mère-fils sans faux semblants ni bons sentiments.
Les deux dernières parties relatant la résurrection de l'écrivaine sont passionnantes, mais notre plaisir est quelque peu gâché par les coquilles et fautes d'orthographe récurrentes. Un grand coup de cœur néanmoins qu'il faut prendre le temps de savourer.
Delcourt 2019, traduit de l’anglais (E-U) par Carole Hanna
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : cherise wolas
04/04/2020
Le monde selon Britt-Marie...en poche
Les deux meilleurs amis de Britt-Marie sont le bicarbonate de soude et un flacon de nettoyant pour vitres. Faire le ménage est en effet pour cette sexagénaire- un brin psychorigide, malgré ses nombreuses dénégations -une thérapie sans pareille.
Pressée de trouver un travail, le seul emploi qu'elle déniche est dans une ville paumée, ville lourdement touchée par la crise où vit une faune haute en couleurs et encore plus selon les critères de Britt-Marie.
Pourtant, comme nous sommes dans un roman Feel good, bien évidemment, Britt-Marie va "se dégeler" peu à peu, surtout quand elle se retrouvera bombardée coach d'une équipe de football composée d'enfants plus nuls les uns que les autres, mais passionnés.
Le football comme modèle de vie ? Pourquoi pas. Car"Le football a ceci d'épatant qu'il oblige la vie à continuer."
En dépit de quelques naïvetés, longueurs et répétitions supposées être comiques (je ne suis guère sensible, je l'avoue, au comique de répétition), je me suis attachée à cette femme qui prend enfin conscience qu'elle a toujours fait passer les autres avant ses propres rêves.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1)
30/03/2020
Nos espérances
" Il faut s'accrocher à ses amitiés, Lissa.Les femmes. Elles sont la seule chose qui te sauveront au final."
(Dernier roman acheté en librairie juste avant le confinement, pour le nom de l'autrice, pour le titre et pour le thème.)
L'amitié féminine au fil du temps, à travers trois jeunes femmes, Hannah, Cate et Lissa , mais aussi les rapports mère/fille, la maternité ,vécue ou non, par ces trois Anglaises attachantes, tels sont les principaux thèmes du roman d'Anna Hope.
Un roman qui commence et se clôt par une scène de pique-nique idyllique, , baignée de soleil, mais qui n'épargnera ni les nuages, ni les orages à ses héroïnes.
Anna Hope ,dans ce bon gros roman confortable et chaleureux, cerne au plus près les sentiments des trois amies, dans toutes leurs nuances, ne cachant ni la jalousie, ni la trahison qui peuvent entacher leurs liens. Elle décrit avec finesse leurs failles, ainsi la dépression post-partum de l'une et les sentiments ambivalents qu'elle peut éprouver pour son enfant, la nécessité de "retrouver un peu ses anciens contours" . En contrepoint, elle relate également la difficulté d'un couple à procréer et la gamme de réactions que cela suscite.
L'écriture est fluide, les pages se tournent toutes seules, tant on se sent à l'aise dans cet univers féminin , juste un peu trop lisse peut être.
Traduit de l’anglais par Elodie Leplat Gallimard 2020, 353 pages.
L'avis de Christelle : clic
De la même autrice: clic.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : anna hope
24/03/2020
Trois petits tours et puis reviennent
"Les hommes s'écroulaient. Les femmes faisaient front."
Jackson Brodie s'est installé dans un coin tranquille, en bord de mer dans le Yorkshire, se contentant de traquer les amours adultères la plupart du temps. Mais comme il en convient lui-même"...il n'avait jamais eu besoin de chercher les ennuis, comme Julia le lui rappelait souvent, les ennuis le trouvaient toujours."
Cet ancien militaire, ancien policier, toujours amoureux de son ex-femme Julia va donc se trouver mêlé simultanément à plusieurs intrigues que Kate Atkinson maîtrise parfaitement, sans jamais perdre son lecteur en route, ni le laisser frustré.
On retrouve avec plaisir des personnages rencontrés des années auparavant dans le roman A quand les bonnes nouvelles ? et c'est comme avoir des nouvelles d'amis perdus de vue mais qu'on n'a pourtant pas oubliés. Rassurez vous, ce roman peut se lire de manière totalement indépendante des autres aventures de Jackson Brodie.
Si les intrigues mettent du temps à se mettre en place et qu'on guette avec avidité les apparitions du héros qui, même malmené par les femmes, continue à toujours les défendre (et dans ce roman, elles en ont vraiment bien besoin), quand le récit trouve sa vitesse de croisière, on ne peut plus lâcher ce roman. Des personnages fouillés, des pointes d'humour, du suspense jusqu'à la dernière minute, que demander de plus ?
Traduit de l’anglais par Sophie Aslanides, JC Lattès 2020
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06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : katr atkinson
23/03/2020
#Modifié #NetGalleyFrance
"J'ai donc fait ce que toute femme avec un tant soit peu d'instinct maternel aurait fait en pareille circonstance: j'ai moi-même appelé les flics."
Martha, détective très privée, la quarantaine, faisant profession de détester les chiens de son compagnon, Allan, et de harceler la fille de ce dernier , Allison ("-Je ne la harcèle pas , je la soumets gentiment à la question. Libre à toi d'appeler des ...pressions, des attentions réitérées, des assauts verbaux voire...des agressions; et puis merde Allan !") qui voudrait s’incruster chez eux, n'est en rien une sentimentale.
Misanthrope, rugueuse, elle porte un jugement acéré sur la famille en général et sur la sienne en particulier.
Son chemin va une nuit croiser un adolescent particulier, fasciné par les chasse-neige et très doué pour déblayer lui-même la neige des allées, ce qui nous vaudra une scène désopilante de "duel" dans la neige !
Modifié, c'est ainsi qu'il veut qu'on l'appelle, va peu à peu s'incruster dans la vie de Martha et d'Allan et révéler les failles de la narratrice. Au récit de cette transformation se mêle aussi une enquête confiée à Martha: innocenter son jeune cousin qui fréquente le même lycée que Modifié et est accusé du meurtre de don entraîneur de soccer.
Les bons sentiments ne sont pas de mise ici et c'est avec beaucoup de subtilité et un humour ravageur que l'auteur mène son récit tambour battant, ne ménageant ni les péripéties ni les vacheries hilarantes : "Mon compagnon boxait dans la catégorie"meilleur voisin", Modifié dans la catégorie "rien à foutre"."
Un récit plein d'humour et de chaleur humaine à ne manquer sous aucun prétexte !
Grasset 2020
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sébastien l. chauzu
21/03/2020
Sous les branches de l'Udala...en poche
Fin des années 60, le Biafra et le Nigeria se déchirent dans une guerre interethnique. La jeune Ijeoma envoyée loin de sa mère (qui se remet du deuil de son mari ) tombe amoureuse d'Amina.
Amours doublement interdites du fait de l'origine de ces très jeunes filles, dont les chemins se sépareront très vite.
Ijeoma devra faire face au poids de la religion (sa mère veut la "soigner" à coups de passages de la Bible), de la société ,mais finira par devoir emprunter des chemins de traverse pour pouvoir vivre pleinement.
Roman très didactique, ce texte n'a suscité chez moi aucune empathie, par ses longueurs et par sa volonté trop affirmée de dénoncer une situation bien évidemment inadmissible. Dommage.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chinelo okparanta
19/03/2020
#Lebosquet #NetGalleyFrance
"Tout le long des routes antiques, les morts invitaient les vivants à ne pas s'attarder, aussi longtemps qu'ils pouvaient encore parcourir du chemin."
Ayant beaucoup aimé le précédent roman d'Esther Kinsky, c'est avec enthousiasme que j'ai entamé la lecture de ce roman, composé de trois voyages en Italie à des époques différentes de l'existence de la narratrice, tous trois marqués par le deuil et la solitude, mais aussi l'amour.
Si la langue d’Esther Kinsky est toujours aussi précise et élégante dans la description de la nature, des paysages, des saynètes racontées, la magie n'a cette fois pas opéré et je suis restée sur le bord du chemin.
Grasset 2020
De la même autrice: clic.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : esther kinsky
16/03/2020
Dans la lande immobile
"Je me laissais aller à penser que d'une certaine manière , les connaissances de nos ancêtres coulaient dans nos veines, qu'avec le temps, j'oublierais quelles puissance s’étaient opposées dans la guerre de Succession d' Espagne et comment résoudre des systèmes d'équations, mais me rappellerais comment filer la laine et moudre du grain, lire dans le vol des oiseaux et la pousse des plantes pour savoir ce qui se passait au-delà de ma vue. Les talents de mon père: inutiles à part dans un but archéologique."
Coincé derrière le volant de son bus, Bill, fervent nationaliste du nord de l'Angleterre, n'a qu’une passion : l’archéologie.
Véritable tyran domestique, frustré de ne pouvoir exploiter son "expertise autodidacte", il impose à sa femme et sa fille, Silvie, un séjour où, en compagnie d'un professeur d'université et d’étudiants, ils vivront une vie au plus près de celle des hommes et femmes de l'âge de fer.
Mélange de survivalisme et de sexisme, le séjour va bientôt prendre une tournure dramatique quand les hommes se mettront en tête de rejouer un sacrifice humain...
Racontée du point de vue de Silvie, adolescente intelligente et observatrice, le récit instille par petites touches une violence sourde, contrebalancée par l'émancipation prônée par la seule étudiante du groupe, Molly, qui propose à Silvie d'autres modèles familiaux. Différences sociales, emprise sont aussi en jeu dans ce roman bref et prenant où la nature joue aussi un rôle important. Une magnifique découverte.
Traduit de l’anglais par Laure Manceau, Actes Sud 2020, 138 pages qu’on ne lâche pas.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sarah moss