25/01/2015
Un homme effacé... en poche
"Une menace pesait sur son identité. Quelque chose de visqueux prenait possession de lui. Ce suintement infiltrait ses veines, épaississait son sang, engluait jusqu'aux battements de son cœur."
Des images pédopornographiques ayant été trouvées sur son ordinateur Un homme effacé, professeur de philosophie dans un université cossue est embarqué par la police. Tout (paroles, comportement photographie banale) va alors être réinterprété à charge et bien que se sachant innocent, Damien North en viendra à plaider coupable sur les conseils de son avocat.
Cette première partie est déjà passablement effrayante (elle m'a fait penser aux premières images du film évoquant l'affaire d'Outreaux, "Présumé coupable") mais l'affaire se corse encore quand le roman envisage ce qui se déroule ensuite...
Mensonge, vérité, tout est ambigu dans ce roman à la mécanique implacable où le héros en vient à douter de lui-même mais qui pêche un peu par son style trop neutre. Un bon début néanmoins !
Prix Goncourt du premier roman.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alexandre postel
24/01/2015
Amazones
"Finie l'aliénation. Je ne veux plus qu'on touche à mon corps, même gentiment. Qu'on le laisse en paix et aphone , vierge du bruit des caresses , voilà ce que je désire."
"Impitoyable en amour", "obstinée", "pas vraiment d'aplomb", voici quelques unes des épithètes caractérisant Alice, trente ans , veuve pas du tout éplorée d'un fiancé horripilant dont le sort l'a fort opportunément débarrassée et qui, sur une impulsion vient d'embarquer en cavale Alphonsine, quasi nonagénaire.
Les deux femmes ne se connaissent pas mais se sentent d'emblée qu'"un truc mystérieux et indéfinissable " les fascine réciproquement. Elles vont rapidement l'identifier: ce sont toutes deux , et de manière bien différente, des amazones !
Roman polyphonique, où même les morts prennent la parole, Amazones est un roman un peu foutraque, résolument féministe, empli de gaieté et d'une belle énergie ! Les lettres que l'héroïne écrit à ses sœurs pour les houspiller et les sortir de leur marasme sont hilarantes et pleines de justesse . Quant aux amazones plus âgées, elles ne sont pas en reste et nous offre une rétrospective à la fois triste et réjouissante de la place faite aux femmes aux tout débuts du féminisme, en province.
Alice, qui rue dans les brancards depuis l'adolescence parviendra-t-elle un jour à trouver son chemin ? On n'en sait rien mais ce qu'on espère pour elle c'est qu'elle parviendra à vivre jusqu'au bout à rester rebelle !
Un coup de cœur !
Amazones, Raphaëlle Riol ,Babel 2015, 216 pages qui m'ont donné envie de découvrir les autres romans de l'auteure.
12:55 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (10)
22/01/2015
Une plage au Pôle Nord
"Il se jugeait incapable de transmettre, d’enseigner: il déploie des trésors de patience et de pédagogie.Elle se croyait rouillée: ses progrès sont assez rapides.Ils se surprennent; ils se font du bien."
Une improbable rencontre: celle de Jeanne, veuve et septuagénaire avec Jean-Claude, jeune père divorcé.Et c'est beau, non pas comme "la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie" comme aurait dit Lautréamont mais comme "Le Pôle Nord et la plage de sable" d’où l'oxymore du titre.
Le plus beau est qu'ils s’épaulent et qu’autour d'eux gravitent des personnages fantasques, traités avec humour et un brin de moquerie : "Teint crayeux, dents grises, bouton suspect entre les sourcils, le libraire n'a sans doute pas rencontré de fruits et légumes depuis plusieurs années."
Un roman doux et tendre qui possède la parfaite longueur: juste de quoi nous laisser un tout petit peu sur notre faim...De quoi éclairer notre hiver.
Une plage au Pôle Nord, Arnaud Dudek, Alma éditions, 2015, 161 pages pleines de fraîcheur.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : arnaud dudek
18/01/2015
Une vie après l'autre
"Elle n'avait encore jamais préféré la mort à la vie et au moment de partir comprit que quelque chose s’était fêlé, cassé et que l'ordre des choses avait changé. Puis les ténèbres abolirent toute pensée."
Même si Une vie après l'autre commence par l'assassinat d'Hitler par Ursula, l’héroïne qui est abattue juste après, nous n'avons pas affaire ici à une uchronie.
D'ailleurs Ursula ("petite oursonne", comme l'appelle tendrement son père) naîtra plusieurs fois en février 1910 et mourra tout autant, explorant ainsi le champ des possibles de la narration et du romanesque. On pourrait craindre le côté mécanique du procédé mais le lecteur est vite rassuré: l'écriture, tour à tour enjouée et émouvante de Kate Atkinson et son art du récit ont vite fait de nous ferrer et on ne peut plus lâcher ce roman so british, dans son humour vachard "-Elle lui est reconnaissante, je pense. Il lui a donné le Surrey. Un court de tennis, des amis ministres et du rosbif à gogo. Ils reçoivent énormément-tout le gratin. Certaines femmes seraient prêtes à souffrir pour ça. Même à supporter Maurice." et l'attitude bien trempée de ses personnages !
Et si tel personnage avait survécu, et si tel autre avait eu un enfant que serait-il arrivé ?, se demande -t-on parfois à la lecture d'un roman. Kate Atkinson répond à ses questions pour nous et se penche avec une précision extrêmement vivante sur la vie quotidienne des civils en Allemagne (un sommet d'émotion) et en Grande Bretagne (à Londres ,en particulier ,pendant les bombardements) , pendant la Seconde Guerre mondiale.
On suit avec passion les péripéties de la famille Todd (un ancien mot pour désigner le renard), de l'enfance à l’âge adulte. Des personnages aux caractères bien marqués qui nous deviennent familiers en un rien de temps. Sympathiques ou non, sages ou excentriques, il y en a pour tous les goûts !
Un roman tour à tour champêtre ou urbain,paisible ou menaçant, traversé par des renards ,des chiens, des bébés qui "sentaient bon le lait, le talc et le grand air où leurs vêtements avaient séché tandis qu'Emil avait un léger goût de fumet.", des enfants élevés pour affronter la dureté du monde par des adultes aimants mais frôlant parfois la négligence, selon nos critères actuels !
Impressions de déjà-vu, rêves éveillés, réincarnations, toutes les explications sont envisagées pour expliquer cette propension d'Ursula à vivre des événements de différentes façons. Elles sont surtout l'occasion , pour Kate Atkinson, de revenir sur le thème de la temporalité, déjà exploré dans ses précédents romans, Dans les replis du temps et Dans les coulisses du musée et de nous proposer sa propre explication.
Un roman enthousiasmant autant par son style , sa construction que par les thèmes explorés.Une forêt de marque-pages ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
515 pages traduites avec élégance par Isabelle Caron, une couverture identique à l’originale (on me permettra de préférer la couverture de l'édition de poche anglaise...).
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : kate atkinson for ever !
10/01/2015
Moment d'un couple...en poche
Dire je t'aime, pense Juliette, c'est s'inscrire dans la durée, pas comme dire j'ai envie de toi ou je suis bien avec toi."
Moment d'un couple est un roman troublant à plus d'un titre. D'abord par son thème: un homme trompe sa femme et la maîtresse, une femme politique en vue, commence à les harceler, lui et son épouse. Le tout est envisagé du point de vue de l'épouse trompée qui bien évidemment souffre, croit frôler la folie mais garde néanmoins la tête froide et se bat , pied à pied pour garder son homme. Elle analyse, se découvre stratège et surtout prête à défendre ses enfants comme une tigresse.
Dérangeant ensuite, parce qu'évidemment on se dit que c'est une histoire inspirée de faits réels et qu'enfin la mine d'infos qu'est internet nous permet même de mettre un nom -connu- sur la maîtresse en question qui, de surcroît avait publié un roman présentant son point de vue sept ans auparavant. Ce dernier aspect a quelques peu parasité ma lecture mains, néanmoins, je n'ai pas lâché ce roman qui fouaille, appuie là où ça fait mal et présente une vison sans concessions du couple. à quand le roman du mari ?!
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : nelly alard
05/01/2015
C'est dimanche et je n'y suis pour rien
"Le mort est le compagnon idéal, jamais jaloux, hargneux, mal luné, le mort ne vous décevra jamais. Il vous laissera lui tailler son costume de héros."
Léonore, la quarantaine venue, entreprend un voyage au Portugal , pays de son amour de jeunesse, tragiquement disparu.
Elle n'a rien construit, a abandonné ses rêves de peinture et semble caparaçonnée dans la culpabilité d'un passé douloureux.
Ce voyage, suivi au jour le jour, lui permettra-t-il de prendre son envol et de faire la paix avec elle -même ?
Dans un style à la fois enjoué et sensible, Carole Fives entrelace passé et présent, faisant revivre avec acuité les sentiments exacerbés de la jeunesse. Nous suivons pas à pas son héroïne, comprenons ses réticences, ses peurs et découvrons aussi tout un pan trop mal connu de notre histoire: celle des Portugais venus s'installer en France.
Un roman qui fait battre le cœur mais ne sombre jamais dans le pathos. Une réussite qui confirme tout le bien que j'avais déjà écrit sur les différentes œuvres de Carole Fives !
C'est dimanche et je n'y suis pour rien, Carole Fives, l'arbalète , Gallimard 2015.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : carole fives
03/01/2015
Je suis un dragon
"Elle désirait les super pouvoirs qu'il y a à être simplement humain. Ces forces qui viennent de la créativité , et non de la facilité. Elle désirait être à égalité avec les autres. Pas leur sauveur. Pas leur héros. Mais leur sœur. Et c'était une ambition difficile."
Margot, orpheline discrète par précaution et timide de caractère, découvre accidentellement sa vraie nature à l'adolescence: elle est un dragon. Invincible, pouvant voler, ses pouvoirs attirent immédiatement l'attention de deux grandes puissances, la France et les États-Unis.
Devenue une arme de destruction au service de ces États et une icône pour les populations, Margot n'en demeure pas moins une femme en devenir, avec ses faiblesses et ses interrogations.
Roman sur la différence, Je suis un dragon est un roman à la fois violent et tendre dont l'héroïne est un mélange de Fifi Brindacier et de Fantômette . Mais à ces féministes en herbe, Martin Page a injecté une bonne dose de modernité et d'efficacité. Nous ne sommes en effet pas dans un monde édulcoré mais dans un univers d'une extrême brutalité (certaines scènes sont à la limite du soutenable) . La notion de pardon semble en outre totalement étrangère à Margot, dont la radicalité est liée à l’intransigeance de l'adolescence.
Roman palpitant, Je suis un dragon ne ménage pas son lecteur mais sait aussi faire la part belle à de très jolis moments d'émotion, ce qui ne gâche rien. Réflexion sur l’anormalité, la monstruosité qui loge en chacun de nous, ce texte use des codes de l’univers des super héros pour mieux les dynamiter et affirmer sa foi en l'humanité (cf citation supra). Un texte hautement addictif, vous voilà prévenus !
Je suis un dragon, Martin page 5pit Agarmen), Robert Laffont 2015 , 278 pages constellées de marque-pages !
Merci à l'auteur pour l'envoi et la dédicace !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : martin page, pit agarmen
18/11/2014
Une éducation catholique
"Je ne pouvais pas aimer un homme qui ne communiait pas avec moi dans la parole et les larmes."
Élevée dans une famille où le père est catholique pratiquant et la mère juive , baptisée en 1943 pour échapper à un sort funeste, la narratrice, Marie se détourne "classiquement "de la religion catholique à l'adolescence.Par le biais de son parrain, elle tourne alors vers "l'imaginaire et l'écrit" et va, au fil du temps donner d'autres identités à ce qu’elle appelle Dieu: "On ne pouvait vivre, et aimer, qu'en étant débarrassé de la peur -la peur d'être seul, la peur de vivre, la peur de faire du mal à l'autre, la culpabilité. cette peur que j'appelle Dieu."
Roman d'apprentissage, Une éducation catholique convoque les figures habituelles d'un parcours de vie, de la meilleure amie à la valse-hésitation entre deux amoureux sans vraiment convaincre . Tant d’auto dépréciation de la part de la narratrice en devient quelque peu suspect à la fin et je n'ai pas retiré grand chose de ce roman que j'ai lu avec aisance mais avec l'impression désagréable d'attendre , en vain, que "ça commence vraiment".
Merci, Clara !
06:00 Publié dans Rentrée 2014, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : catherine cusset
13/11/2014
Le bal des frelons...en poche !
"Il y a toujours un truc, un ours ou autre chose, à cause de quoi ça foire ."
Quelle mouche a piqué ces paisibles villageois d'Ariège ? Les voilà pris d'une frénésie de sexe ou d'argent, s'agitant et vrombissant comme des frelons en furie. Chantage, menaces voire meurtres vont s'enchaîner dans une folle sarabande qui ne ménage pas le lecteur ! C'est à peine si entre deux courts chapitres ou alternent les points de vue des personnages ,on trouve encore le temps de faire une petite place à l'animal, frelon, ours ou hérisson qui chacun à leur façon traversent cette farce où les humains de tout poil en prennent pour leur grade. Le rythme est soutenu et ne faiblit jamais, les épisodes s'enchaînent avec une perfection remarquable, conférant ainsi une ossature solide à un propos nettement plus libre !
On est bien loin de l'écriture tenue et maîtrisée des derniers jours d'un homme. Pascal Dessaint se lâche et , sans oublier la noirceur, fait ici la part belle à la truculence et à la farce. Un récit qui file à toute allure, réservant de nombreux coups de théâtre au lecteur et peignant, parfois à grands traits, de savoureux portraits . L'excès est ici la norme , c'est le jeu, même si quelques bouffées de tendresse tentent de contrebalancer les turpitudes exposées.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : pascal dessaint
11/11/2014
La peau de l'ours
"-laisser les hommes croire en leur puissance pour avoir la paix-"
"Métisse" issu du viol d'une femme par un ours, le narrateur, ni homme ni ours, mais considéré comme un plantigrade par les humains, va connaître mille aventures , par de là le temps et l'espace, car ce récit emprunte la forme du conte.
D'ours exhibé sur les marchés, affronté à des sangliers dans une arène, il traversera un océan pour patiner dans un cirque avant de finir, exilé, dans un endroit stérile: "Au zoo, le temps s'étire morne et répétitif, c'est une rouille acide."
Dans ce récit qui file à toute allure ,où l'on pourra reconnaître au passage quelques époques et lieux emblématiques (moyen-âge européen, cirques américains et leurs troupe de phénomènes de foires), l'auteure se penche sur les relations complexes qui unissent l'ours et l'homme.
Dans une langue riche et sensible, elle peint aussi la misère des animaux, la folie à laquelle ils sont acculés, sous prétexte d'être préservés. Mais pas de pamphlet accusateur et corseté, Joy Sorman laisse le discours de l'ours se dérouler, ample et lucide. De magnifiques passages, tour à tour hallucinés,sensuels et poétiques montrent la souffrance animale et disent le regret du narrateur ne n'avoir pu garder sa place:"-du côté des femmes et des monstres." Magistral.
Merci, Clara !
L'avis, enthousiaste, de Mic Melo !
06:00 Publié dans Rentrée 2014, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : joy sorman, relations hommesanimaux