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03/04/2014

Les fleurs d'hiver

"Elle se demande si toutes les femmes de combattants en sont là aujourd’hui. à respirer leurs peau  en guettant un mari remplacé par un inconnu."

Jeanne, ouvrière fleuriste, en ce mois d'octobre 1918 sait que son mari, Toussaint est vivant. Pourtant, alors qu'il est depuis de longs mois hospitalisé au Val de Grâce, son époux a toujours refusé sa venue. Jeanne ,qui a travaillé d’arrache-pied pour assurer sa survie et celle de sa fille, Léonie, qui ne connaît de son père qu'une photographie, va devoir faire face au retour de celui qui se dissimule sous un pansement blanc. En effet, Toussaint fait partie de ce contingent de blessés qu'on appelle "les gueules cassées".angélique villeneuve
Comment renouer avec un être qui est devenu un étranger ? Comment réinstaurer le dialogue des peaux, des corps, trouver une place dans une famille qu'il a fallu si longtemps tenir à bout de bras, seule ?
En choisissant le point de vue féminin ,si rare dans les romans traitant de la première guerre mondiale, Angélique Villeneuve nous montre les émotions,  de celles qui, bien qu'exploitées économiquement, ont su tout à la fois faire preuve de solidarité et de courage.
Son écriture est de plus en plus charnelle, poétique et pourtant le réel se donne à lire de manière précise, jusque dans les plus petits détails (je pense par exemple aux bandes de papier supposées protéger les vitres ), sans que pour autant cela sonne comme une reconstitution appliquée. Tout sonne juste et les retrouvailles de ce couple confèrent une très grande humanité à cette boucherie. Un coup de cœur !

Les fleurs d'hiver, Angélique Villeneuve, Phébus 2014, 150 pages fleuries de marque-pages.

Du même auteur : clic , clic, clic et reclic

Le billet d'Aifelle,  Clara,  Gwenaëlle

01/04/2014

Julius aux alouettes

"Je suis un prince, un pirate, un artiste, un ange, le frère désiré. L'étrange étranger. Un voyageur sans bagage. Comme il vous plaira.
    Je suis ce que vous désirez voir. Je suis le dépositaire de vos souvenirs.

Je suis votre miroir aux alouettes."

Un étranger à la peau d'ébène met pied à terre sur une plage bretonne (qu'on imagine bien finistérienne) lors d'une grande marée d’équinoxe. Chaque membre d'une famille du cru du père médecin , en passant par la mère galeriste, la grand-mère jusqu'aux deux enfants, vont être séduits par cet homme qui dit s'appeler Julius.fabienne juhel
Un schéma narratif qui n'est pas sans rappeler le film Théorème de Pasolini mais emprunte aussi à la terminologie chrétienne puisque le roman commence par l'inhumation de Julius par ceux qui affirment tous l'avoir assassiné. Inhumation qui comporte des stations qui ne sont pas sans évoquer celles du Christ. Pourtant, on peut aussi y voir ,de manière plus large, une volonté  de "déciller vos yeux à la lumière du monde", comme l'affirme Julius. Et de lumière il en est beaucoup question dans ce roman solaire , à la frontière de la parabole, empli de sensualité et qui rend compte du monde de manière charnelle.
Au lecteur de faire comme les membres de cette famille et de voir en Julius ce qu'il veut  y trouver. Pour ma part, ce fut un grand bonheur de lecture.

Julius aux alouettes, Fabienne Juhel, La bruen aux éditions du Rouergue 2014, 206 pages lumineuses.

 

le billet de Clara, la tentatrice fan.

 

28/03/2014

Regarde les lumières mon amour

"L'hypermarché est pour tout le monde un espace familier dont la pratique est incorporée à l'existence, mais dont on ne mesure pas l'importance sur notre relation aux autres, notre façon de "faire société" avec nos contemporains au XXIème siècle."

Pendant un an, l’écrivaine Annie Ernaux a "consigné le présent" ,sous la forme d'un journal , de la vie du Auchan de Cergy qu'elle fréquente en tant que cliente régulière. Pourquoi avoir choisi un tel lieu ? Parce qu'il est à la fois tellement familier, révélateur du mode de fonctionnement de notre société. Parce que c'est  aussi un lieu où se croisent des populations qui ne se rencontreraient pas ailleurs et surtout parce que c'est un endroit "qui commence seulement à figurer parmi les lieux dignes de représentation."annie ernaux
Annie Ernaux scrute avec acuité le fonctionnement de la grande distribution qui impose sa propre temporalité, "suscitant les désirs aux moments qu'elle détermine",  souligne "son rôle dans l’accommodation des individus à la faiblesse des revenus, dans le maintien de la résignation sociale."mais croquant aussi avec beaucoup d'empathie tous les comportements des clients. Les tensions, les bribes de dialogues, les comportements auxquels nous ne prêtons même plus attention tellement ils sont devenus automatiques sont ici restitués dans toute leur subtilité.
Une analyse riche de "L’hypermarché comme grand-rendez-vous humain" mais aussi une écriture fine et sensible. à lire absolument.

Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux, Seuil  2014- Collection : Raconter la vie - 2014 - 72 pages hérissées de marque-pages !

le billet de Clara qui m'a sortie de ma léthargie ! :)

 

27/03/2014

Un tout petit rien

"C'est beaucoup plus que sexuel, c'est beaucoup moins qu'amoureux. C'est nos culs entre deux chaises, c'est suffisant pour faire semblant de faire des bébés, pas pour en avoir."

Oui mais voilà la narratrice est enceinte et il lui reste quelques semaine pour prendre sa décision . Fera-t-elle une place dans son corps, dans  sa vie à ce tout petit rien ?
Sous une forme séquencée, mais néanmoins très fluide ,Camille Anseaume raconte de manière délicate, pleine de sensibilité et d'humour ce choix et les implications affectives et matérielles qu'il engendre , les réajustements  et les rêves.camille anseaume
Un petit roman (par la taille , 244 pages) mais vibrant de justesse et de chaleur humaine.

 Le billet tentateur de Cuné, mais c'est Carole Fives (encore !) qui a porté le coup fatal .

Le blog de l'auteure.

Un tout petit rien, Camille Anseaume , Editions Kero ,2014.

24/03/2014

Eux

"D'où viens-tu à la fin ? Pourquoi tiens-tu tellement à faire de nous des assassins ? La famille est un clan. La quitter est puni par une loi, celle du sang."

Être enceinte  c'est s'inscrire dans une lignée, faire bouger d'un cran tous les membres de la famille. C'est aussi réveiller ici les voix des héréditaires qui envahissent l'espace sonore de la narratrice. Par leurs commentaires, tantôt ils attisent ses craintes, tantôt se soucient d'elle et de l'enfant à venir, houspillent, tancent, bref incarnent les remous magmatiques de l'inconscient familial.claire castillon
En effet, "Chez mes parents, une naissance est toujours considérée comme le présage d'un décès." Lourd héritage qui explique sans doute que la mère de la narratrice se montre tout sauf encourageante...
 à cela s'ajoute les craintes de la future mère qui envisage toutes les variations concernant la mort de son compagnon ,son "gars".  Chargé ? Peut être.Mais tout cela est doté d'une formidable énergie, ponctuée d'humour " à cause de moi qui me fiche totalement de la baignoire en plastique qu'elle voudrait me transmettre pour mon enfant; si tu le laves, a-t-elle précisé ."et, sur le thème de la transmission et de l'identité familiale,  Claire Castillon  a écrit un roman qui incarne pleinement tout ce qui se joue d'inconscient (ou pas) dans une grossesse.

Eux, Claire Castillon, Éditions de l'Olivier 2014, 145 pages garanties sans niaiseries !

Merci à Carole Fives qui ,en me conseillant cet texte, m'a permis de connaître un grand bonheur de lecture !

21/03/2014

L'atelier des miracles... en poche

Tentez de vous positionner autrement. Pensez qu'ils sont capables de sincérité. Pensez qu'ils sont capables d'amour. "

 Mariette, prof d'histoire géo à bout de nerfs, Millie, jeune femme prête à tout pour échapper à un passé douloureux, Mike, ex-militaire échoué sous un porche croient tous avoir rencontré leur sauveur en la personne de Jean.
Cet homme providentiel les accueille en effet dans son Atelier où, à défaut de montres, il répare les âmes cassées.51u7oIIp0fL._AA160_.jpg
Dès le début, j'ai été gênée par l'aspect trop miraculeux de cet atelier (qui trouvera son explication un peu plus loin dans le roman) et par l'écriture un peu bâclée. On ne s'attarde pas suffisamment sur les personnages, l'intrigue est un peu lâche et ne maîtrise pas suffisamment les changements de ton.
Dommage, il y avait là tous les ingrédients d'un bon roman qui fait du bien !

Plein d'avis, nettement plus positifs, sur Babelio.

celui de AntigoneClara, Un autre endroit

20/03/2014

L'assassin à la pomme verte

"Faute de livres, on mange des hommes."

Une "rencontre assez banale d'une Italienne irréprochable et d'un Anglais sans histoire" dans "la zone franche" que constitue un palace, voilà qui pourrait donner lieu à un marivaudage élégant et léger. Mais l'irruption d'un fâcheux sous la forme d'un italien polygame va bouleverser la donne. En effet, , à peine le gêneur a-t-il eu le temps de sévir, qu'il est retrouvé assassiné.christophe carlier
Récit polyphonique où dominent les voix de trois personnages principaux, notre couple de héros , Elena et Craig, plus Sébastien , le réceptionniste de nuit du palace, l'assassin à la pomme verte est un faux roman policier mais un vrai badinage amoureux intelligent, parfois cruel, et bien mené .
 L'écriture est fluide, élégante, les formules pertinentes abondent et le récit réserve plein de surprises et ce jusqu’à la toute fin. Pas étonnant que ce récit ait obtenu le prix du premier roman 2012 !

L'assassin à la pomme verte, Christophe Carlier.

Déniché à la médiathèque , en édition gros caractères.

 

10/03/2014

Que ton règne vienne

"Elle me cueille sur son lit à son retour de voyage. On descend prendre un verre. Nous avons une explication, la conversation dure seize ans."

Un père tout puissant, charismatique et coureur. Une mère qui préfère fermer les yeux sur les incartades de son époux et un fils qui, devenu adulte, n'est pas loin d'en faire autant.xavier de moulins,relation pèrefils
Alternant retours en arrière et projections dans le futur, le récit d'un fiasco prévisible , parfois affecté dans le style à force de vouloir être brutal, m'a laissée sceptique.

Cuné est plus enthousiaste.

Clara, nettement moins.

09/03/2014

Fugue...en poche

"Il faut beaucoup de temps pour découdre les mauvaises raisons."

A force de crier le prénom de sa fille qui s'est échappée de l'école le jour de la rentrée, Clothilde a perdu sa voix.
Et c'est tout un bel équilibre qui s'effondre car la jeune femme va provoquer tour à tour l'incompréhension de son père, de son mari et de sa meilleure amie en refusant de se soigner à marche forcée. Elle sent en effet qu'il lui faut prendre son temps pour retrouver sa voix et sa voie ca ,paradoxalement, le chant va entrer dans sa vie et prendre une place prépondérante.41UpFvyd7HL._AA160_.jpg
Qu'elle est attachante cette Clothilde qui , à son rythme, faisant fi pour une fois des contrariétés qu'elle engendre chez les autres en ne leur renvoyant plus l'image qu'ils avaient d'elle, va distiller les événements et tranquillement s'insurger  : "qu'est ce que je disais de si important que vous voulez entendre ? ". Elle va posément, en acceptant les opportunités qui s'offrent à elle, retrouver le chemin de sa vie , fuguer tout en restant chez elle, ne plus se contenter d'être la fille , l'épouse , la mère, voire l'amie, à la vie bien lisse.
Aucun ressentiment pourtant, aucune revendication forcenée, non juste un constat simple et lucide du besoin de consacrer son énergie à quelque chose qui la fasse se sentir en harmonie, qui la révèle à elle même, tout en la reliant aux autres.
Ainsi le titre du roman, Fugue, joue-t-il sur la polysémie de ce mot. La fugue c'est bien sûr l'escapade initiale de la fillette mais aussi le morceau de musique qui tisse des liens de par sa structure, comme le roman le fait ici, multipliant les points de vue et éclairant de manière très subtile la personnalité de ces femmes et de la constellation familiale et amicale qui l'entoure.
Un très beau texte, empli de poésie, où s'engouffrent des moments exotiques et colorés, un roman d'une grande justesse psychologique , un magnifique portrait de femme.
Un livre lu et relu, dont j'ai extrait une flopée de citations .
Notons au passage un petit clin d’œil qui fait le lien avec le précédent roman de Anne Delaflotte- Mehdevi : "Le temps pouvait bien passer, tout lui prendre, elle avait chanté, comme un cuisinier cuisine, comme un maçon construit bien, un relieur relie, un marathonien  arrive au terme de sa course."

04/03/2014

Manger

 "-On ne mange pas, on déjeune, on dîne, on soupe, on grignote, on ripaille, on fait collation ou medianoche, on déguste , on goûte, on dévore et, s'il le faut, on casse la croûte, mais apprend qu'on ne mange pas."

 

 "En cas de spleen tenace, certaines femmes vont s'acheter  des souliers, des parfums, n'importe quoi. Margot achetait de l'épicerie, des ustensiles de cuisine ou des gants."C'est dire si la nourriture et la cuisine tiennent une place importante dans sa vie. Et c'est d’ailleurs par ce biais que sont exposées ses relations avec les autres. Des textes articulés autour d'un plat constituent la trame de ce roman où se constituent par petites touches le portrait d'une jeune femme qui amadoue sa directrice avec des douceurs en pots mais nettoie aussi Javel après le passage d'un ami très cher , malade du sida. Le récit culmine dans une scène de genre pas piquée des hannetons, le repas familial de Noël avec marie-odile beauvaisdifférents points de vue (y compris , celui, très intéressant de l'employée de maison) qui se croisent, révélant les tensions et les petites ou grandes hypocrisies. C'est fluide, élégant et enlevé, ça donne faim. J'ai bien aimé.

 L'avis de Cuné, moins emballée par ce roman que par les précédents de l'auteure.