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29/09/2014

Mon âge

"Ce qu'on pouvait raisonnablement espérer avoir en commun avec les enfants d'ingénieurs , c'étaient leurs polos. Il nous suffisait d'acheter les mêmes  et nous avions les moyens , notre infériorité ne se mesurait pas à l'argent. Pas sûr que nos corps les aient portés avec  la même superbe. Ce qu'il y a à l'intérieur des têtes  porte les polos bien plus que les épaules et les torses."

Dans la lignée de Corps, ce nouveau roman de Fabienne Jacob  se penche avec acuité et bienveillance sur notre relation au corps et au temps. Commençant par la description d'une femme qui se démaquille le soir, femme  dont l'âge n'est pas précisé "Voilà mes yeux, voilà ma bouche, voilà mon âge, vingt-sept ans, trente-neuf ans, soixante et un ans". Else,   il se clôt par une très jolie vision: celle de trois femmes âgées se baignant,nues, au clair de lune, car elles ont atteint La vie intérieure. Entre-temps, sera venu le temps du Détachement : "à présent que je ne veux plus  séduire ni posséder, seule une chose m'importe encore, c'est vivre des moments sans temporalité. La question du temps ou plutôt du non-temps  est la seule qui compte. Les autres questions ne sont plus des questions pour moi." Et de relater des moments où le temps n'entre pas , moments fugaces ou non, dans des endroits parfois inattendus, comme le supermarché, qui , décidément fait son entrée en littérature en cette année 2014.*fabienne jacob
Si, dans un premier temps, j'ai été un peu déroutée par l'absence de précision chronologique, les âges ne sont jamais volontairement précisés mais on peut aisément les situer, j'ai été séduite par l'écriture de Fabienne Jacob, sa vision à la fois acérée, rien ne lui échappe, et tendre de la relation des femmes aux différents âges de leur vie. on n'oubliera pas de sitôt, entre autres,  cette petite fille qui déchire la robe trop aimée, tant désirée !
J'ai aussi beaucoup apprécié la relation sensuelle, physique aux langues de la narratrice: "Dans ma langue maternelle, il y a un mot pour dire Se faufiler, Se glisser, mais un mot qui le dit beaucoup mieux. C'est le mot Schluffen. Il a quelque chose d'utérin que l'équivalent français n'a pas. Aucun mot français ne pourra jamais autant se faufiler ni autant glisser que dans le mot de  la langue maternelle. Celui qui en français se blottit le plus est le verbe Se lover."

Un livre qui a rejoint ma réflexion personnelle sur l'âge, que je me suis approprié avec bonheur, un parfait cadeau d'anniversaire ! Merci Cuné !

Mon âge, Fabienne Jacob, Gallimard 2014, 165 pages hérissées de marque-pages !

Et zou, sur l'étagère des indispensables !

 

 

* Annie Ernaux, Regarde les lumières , mon amour

27/09/2014

L'ardeur des pierres

"Deux morceaux pétrifiés d'univers, avait-il murmuré en caressant leur surface à l'expression complexe."

Sidonie part en vacances au Japon. Elle est française est noire, deux qualificatifs qui ne vont pas de pair dans l’imaginaire de deux japonais qui vont la croiser. Ils l'envisagent plutôt comme une chanteuse de jazz américaine.céline curiol
L'un d'entre eux, tente d’écrire un roman sur un tueur célèbre, pour s'inscrire d'une certaine façon dans la lignée d'un père qu'il na jamais connu, le célèbre sculpteur Isamu Noguchi. L'autre, son voisin du dessous, jardinier, est fasciné par les pierres interdites, les kamo-ishi et cède à la tentation : il en repère dans la nature et les vole.
Entre ces trois personnages vont se tisser des relations basées sur les malentendus et l’incompréhension respective. Quant aux pierres, dès leur arrivée dans la maison du jardinier, elles vont se comporter d'une bien étrange façon...
Il règne une atmosphère subtile et prenante dans ce roman de Céline Curiol. On se laisse fasciner par le désir qui monte progressivement entre les personnages, la tension induite par  le sacrilège commis et l'étrangeté d'un pays où l'auteure a vécu six mois. Un bon moment de lecture comme promis par Aifelle.

17/09/2014

Grand chasseur blanc

« Décidément, depuis que j’étais dans ce pays, j’avais des problèmes avec mon identité. »

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La cinquantaine bien entamée, Simon Sorreau se réfugie en Indonésie. Les raisons de de la cavale de celui  qui naguère a été « une personnalité du Tout-Paris, un polémiste et producteur de talent et un auteur en devenir. » nous les découvrirons progressivement. Au début du récit nous savons juste qu’il a eu maille à partir avec la justice et que ceci est lié à son ex-femme.
Loin de ses parents, de son éditeur, avec qui il communique via skype, Didier se noue d’amitié avec un géant québécois, Bart, noue une relation amoureuse avec une française de passage, tente d ‘écrire un nouveau roman ,tout en éclusant des litres de bière.
Bilan mitigé concernant la lecture de ces 450 pages qui s’essoufflent parfois (et le lecteur aussi). Point de vue masculin sur les femmes, le couple, ce roman alterne complaisance (je suis comme je suis, un salaud mais je n’y puis rien) et autodérision. L’ambiance de Bali est très bien rendue, le regard sur les expats acéré. De jolis moments de lecture entachés parfois par des clichés mal venus.

 

Lu dans le cadre du prix Confidentielles.

L'avis de Brize

16/09/2014

Muette

"Il y a des histoires qui ne peuvent pas se dire. Parce que les mots n'existent pas pour les raconter.Les mots ne feraient que les affaiblir ou les banaliser. Les mots ne feraient qu'effleurer la surface de l'histoire, sans rien pouvoir atteindre de ses strates innombrables."

Une très jeune fille fugue dans la nature, emportant avec elle quelques affaires de première nécessité et "le fouillis désordonné de ses pensées."
Elle fuit un univers empesé, figé, où l'on nie sa parole depuis des années. Voilà pourquoi, bien que sachant parler, elle se revendique Muette.eric pessan
L'héroïne va prendre possession de son corps en pleine mutation, au sein d'un vaste espace que l'auteur décrit avec une poésie intense, s'opposant avec l'univers familial étriqué et mortifère. L'écriture vibre, nous fait ressentir les plus petits bruits nocturnes ou diurnes de la nature sauvage,les odeurs, les lumières et l'on suit, émerveillé, Muette dans sa quête de liberté absolue.Une fin en forme de pirouette (et de clin d’œil), juste parfaite !

Lu dans le cadre du prix Confidentielles.

L'avis de Brize.

Un grand coup de cœur !

Muette, Eric Pessan, Albin Michel 2014.

Clara a aussi aimé !

15/09/2014

Mon nom est Dieu

"Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi les hommes insistent pour faire de moi un être asexué, qui règne par la distance, qui vit dans le néant et qui est responsable de tout. Quelle métaphore triste..."

Un SDF, repéré lors de l'élection du Père Noël ,n'en démord pas : il s'appelle Dieu. Il réquisitionne Morgane ,une jeune journaliste, pour écrire sa biographie. Mais Dieu n'est pas commode. Dépressif, il affirme que les hommes ne l'aiment plus et s'avère souvent peu coopératif.pia petersen
Tandis que les phénomènes mystérieux se multiplient à Los Angeles, là où Dieu manifeste sa mauvaise humeur, le leader d'une secte ne tarde pas à vouloir tirer parti de ce personnage hors-normes...
Un point de vue surprenant, iconoclaste, mais une problématique à laquelle je suis restée totalement extérieure, malgré le caractère original du roman, étant donné mon total manque de spiritualité.

Lu dans le cadre du prix Confidentielles.

L'avis de Brize qui vous mènera vers plein d'autres.

13/09/2014

Une part de ciel

"-Tu te souviens trop, Carole. Il faut te dépolluer de tout ça."

Curtil, le père "pigeon-voyageur" a, une fois, de plus envoyé une boule de verre à ses trois enfants pour annoncer son retour. Sans fixer de date, bien sûr.
Mais les enfants sont maintenant adultes et chacun réagit de manière différente à cette convocation. Carole, la seule à avoir quitté  sa vallée natale dans la Vanoise, revient s'y installer provisoirement, en profitant pour effectuer un travail de traduction sur la vie de l'artiste Christo. Elle renoue peu à peu avec les paysages et personnages hauts en couleurs de son enfance ainsi qu'avec sa sœur Gaby, qui travaille à l'hôtel et vit dans un bungalow, attendant le retour de son homme. Quant à leur frère, Philippe, garde-forestier, il tente de préserver sa vallée.claudie gallay
Carole est l'élément perturbateur de ce roman de l’attente et du souvenir. Elle seule veut revenir sur un incendie qui a bouleversé leur enfance et influé durablement sur leur vie.
Claudie Gallay excelle à peindre cette atmosphère d'une vallée comme coupée du monde que certains ne voudraient pas voir évoluer vers l'avenir. Elle peint avec finesse les relations fraternelles, les silences, les non dits, tout ce qui est prêt à se rejouer par delà les années. On se glisse avec bonheur dans ce roman-cocon qui nous enveloppe durablement tant il est riche d'humanité et de bienveillance. Un coup de cœur !

Lu dans le cadre du prix Confidentielles.

L'avis de Brize

12/09/2014

Entre mes mains le bonheur se faufile

Un très joli titre jouant sur le double sens de faufiler puisque dans ce roman il est question d’une femme qui décide de vivre son rêve de jeunesse : devenir couturière.schtroumpf grognon le retour
Filant la métaphore, on pourrait dire, hélas, que ce roman est cousu de fil blanc et que d’avance le lecteur prévoit le destin de l’héroïne. Cela ne serait pas gênant, j’accepte d’emblée les règles du jeu dans ce type de roman qui fait du bien si les personnages ne m’avaient pas paru aussi prévisibles. Une déception donc.

Lu dans le cadre du prix Confidentielles.

11/09/2014

J’ai rencontré quelqu’un

« Mon Dieu …est-il possible que l’on puisse se tromper sur le compte des gens qu’on aime ? Est-il vraisemblable que nous les réduisions aux attributs que la relation que nous avons à eux sollicite le plus souvent ?

emmanuelle cosso-merad

Jean Toulemonde  mène une existence bien ordonnée entre sa femme qu’il adore, ses enfants et son laboratoire. Las, un verdict médical tombe : il doit absolument découvrir le sens de l’humour pour sauver sa vie. Ce diagnostic va chambouler la vie de cet homme tranquille et l’amènera à faire une rencontre…
Réflexion sur le couple en forme de fable souriante et menée tambour battant, J’ai rencontré quelqu’un scrute avec bienveillance les cœurs de ses personnages, joue sur les mots et évite les écueils inhérents à ce thème. Un roman léger et distrayant.

Lu dans le cadre du prix Confidentielles.

08/09/2014

La langue des oiseaux

"Je m'étais fourrée dans une curieuse histoire à m'intéresser d'aussi près aux annonces de Kat-Epadô et à  la Langue qui brillait au-dessus de nous deux."

ZsaZsa , romancière, organise sa retraite d'une année dans un logement minimaliste au cœur de la forêt vosgienne. Elle n'a emporté que des livres , son ordinateur ,un dictionnaire de chinois et de quoi identifier les oiseaux. Sa solitude choisie va très vite être rompue quand elle va entrer en contact, via un site d'annonces sur internet ,avec une jeune japonaise vendant, dans un français à la fois fruste et poétique des vêtements de Comme Des Garçons.claudie hunzinger
Une relation virtuelle s'établit entre les deux femmes...
On retrouve dans ce roman les thèmes chers à l'auteure, l'écriture, la nature, le besoin (ou la nécessité )de se limiter à l'essentiel, de se préserver une vie à l'écart de la société mais la langue, toujours aussi poétique, introduit aussi quelques ruptures de ton avec l'utilisation ponctuelle d'un registre familier qui détonne un peu.
Si j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman, j'ai été aussi un peu frustrée par l'irruption de la vie trouble de la jeune japonaise qui, selon moi, pêche par son manque d'intensité. Bilan en demi-teinte donc.

le billet tentateur d'Aifelle (merci !) celui d'Antigone.

Du même auteur: clic et reclic !

06/09/2014

Ils désertent...en poche

"Tout a été alors très différent, les livres avaient ouvert une brèche , laissé les portes ouvertes."

Elle vient enfin d'être embauchée à un poste auquel la destinait son diplôme de commerce , diplôme acquis à force de travail. Elle va donc pouvoir acquérir à crédit ce qui aurait fait la fierté de son père: un appartement, en l’occurrence trop grand pour elle et désespérément vide. Très vite, elle va comprendre la vraie raison de son embauche: licencier un vieil employé surnommé l'ancêtre, ou l'Ours, en raison de son caractère.thierry beinstingel
Mais les relations entre celui qui vit "dans une sorte d'entre-deux permanent " et celle qui doit le débarquer vont prendre un tournant auquel la direction de l'entreprise ne s'attendait guère. En effet, les mots,entre autres ceux d'un voyageur de commerce nommé Rimbaud dont les lettres accompagnent l'ancêtre, vont changer la donne  et injecter de la poésie et de l'humanité dans des existences qui en semblaient tragiquement dépourvues.
Thierry Beinstingel fait évoluer ses personnages, jamais nommés, mais désignés uniquement par des pronoms, Vous pour l'ancêtre, Tu pour la jeune femme dans un univers singulièrement désincarné et peu décrit : celui des grandes zones commerciales,  celui des aires de repos où surnagent quelques îlots de rencontres éphémères. Ce qui pourrait être une succession de clichés devient ici une évocation surprenante de la vie d'un commercial atypique qui transforme une vente de papiers peints en expérience  quasi artistique et fascinante !
Si j'ai été un peu heurtée  au début par la désignation des personnages , je suis pleinement entrée dans cet univers méconnu de ceux qu'on appelait autrefois les voyageurs de commerce. Une évocation réussie même si un tout petit peu moins puissante que dans Retour aux mots sauvages car un peu prévisible.