03/11/2017
Le garçon sauvage
"Je la connaissais déjà enfant cette transformation que la montagne provoquait en moi: cette joie d'avoir un corps, l'harmonie qu'il retrouvait dans son élément; cette liberté de courir et de sauter et de grimper comme si les mains et les pieds avaient une vie qui leur était propre, et qu'il était tout bonnement impossible de se faire mal. C'était aussi un corps sans âge-non plus celui qui, depuis plusieurs hivers, avait commencé à vieillir."
Rien ne va plus dans la vie de Paolo Cognetti, trente ans.Il décide alors de renouer avec son grand amour de jeunesse: la montagne. Parti tout un été dans le Val d’Aoste, sous prétexte de solitude, il va en fait se retrouver, retrouver son corps, les sensations que lui procure le fait d'évoluer sur les sommets, observer la nature, les animaux sauvages. Il va aussi se rendre compte qu'il a besoin des autres car depuis l'enfance , il se cherche un modèle.
L'écriture de Paolo Cognetti est en apparence très simple, sans effets, mais elle dégage une harmonie sans pareille. Un grand sens des ellipses, la confiance en la capacité du lecteur à combler les vides volontaires font que tout égocentrisme est évacué et peut laisser la place à une observation précise et poétique du monde qui entoure le narrateur. On sent l'adéquation , l'amour de la Nature sous toutes ses formes et quelqu'un qui est capable d’écrire à propos d'un chasseur ayant tué le lièvre ami du narrateur "qu'il eût osé le tuer me fit l'effet d'un crime impardonnable et je haïs cet homme de tout mon cœur." ne peut que me plaire.
Un grand bol d'air, un texte sensible et poétique, entremêlé à des poèmes de Antonia Pozzi.
Et zou, 139 pages denses qui filent sur l'étagère des indispensables!
Je tiens à souligner l'excellent travail de la traductrice: Anita Rochedy.
Le billet d'Aifelle.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : paolo cognettti
02/11/2017
Blood family...en poche
"Même si vos soucis sont différents, les livres vous montrent au moins que vous n'êtes pas seuls à vous en faire. Vous n'avez plus besoin d'avoir peur que ce soit anormal."
Jusqu'à l’âge de sept ans, Edward a vécu avec sa mère sous l'emprise d'un tyran domestique, malfaisant et violent. Blood family relate sous forme de récit choral, l'évolution jusqu'à l'adolescence de cet enfant, qui a su trouver des repères grâce à des cassettes vidéo éducatives et, plus tard , grâce aux livres("J'avais l'impression que chacun d'eux me donnait des clés pour devenir normal ").
Adopté, Edward connaîtra pourtant bien des vicissitudes tant pour comprendre l’attitude passive de sa mère que pour se défaire d'encombrants liens du sang qui semblent l'entraîner inexorablement du mauvais côté.
Anne Fine, avec beaucoup d'empathie et de pédagogie, nous fait entrer dans l'intimité de cet enfant blessé psychiquement et trouve un parfait équilibre entre la volonté de ne rien éluder: les sentiments parfois ambivalents des parents adoptifs, les pensées perturbées de son héros,ses échecs ,ses addictions, sans pour autant tomber dans le misérabilisme ou la guimauve.
Une expérience passionnante et un roman de 341 pages qui se dévore d'une traite.
Blood Family, Anne Fine, traduit de l'anglais par Dominique Kugler, école des loisirs 2015, medium (à partir de 12 ans)
de la même autrice: clic
06:00 Publié dans Jeunesse, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : anne fine
01/11/2017
Quatuor...en poche
"Nous avançons tous les deux le long de l'abîme comme si tout allait bien, pensa Jochem."
Quatre amis de longue date, évoluant dans le domaine de la culture et de la santé, se réunissent régulièrement pour pratiquer la musique en amateur, histoire d'évacuer le stress de leur travail ou de leur situation personnelle compliquée.
Mais l'irruption dans le dernier tiers du livre d'un élément perturbateur, assez prévisible, va remettre en question cette belle harmonie.
La quatrième de couverture nous précise que nous sommes "dans un avenir proche", "dans une ville, jamais nommée qui ressemble à Amsterdam". Si Anna Enquist nous avait habitués à une peinture psychologique très fine, que l'on retrouve avec plaisir ici, cette volonté de pousser le curseur vers un avenir juste un peu plus lointain n'a en vérité pas grand intérêt. Seule la paranoïa d'un vieil homme, pouvant être mise d'ailleurs plus sur le compte d'une inquiétude bien légitime sur la crainte d'être promis à une mort accélérée s'il quitte sa maison, plutôt que sur la volonté délibérée des autorités compétentes peut nous faire croire à cette volonté d'anticipation modérée.
Quant au "suspense", il n'a guère d’utilité...
Bilan en demi-teintes donc et une légère déception pour une auteure dont j'ai lu tous les romans et nouvelles traduits en français.
De la même autrice :clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : anna enquist
26/10/2017
La vie secrète des vaches
"C'est à nous de leur apporter les conditions nécessaires pour qu'ils puissent être à l'aise et être suffisamment heureux pour bien dormir."
Depuis plus de cinquante ans, Rosamund Young élève des vaches dans une sorte de petit paradis. Jugez un peu: les bovidés vivent en liberté, avec des abris à disposition, des herbes variées leur permettant d’éventuellement se soigner elles-mêmes et entourées d'amour et de soins. Car c'est bien cela qui se dégage de ses chroniques: évidemment, Rosamund Young élève des vaches dans un but économique (même si cela n'est jamais vraiment évoqué) avec énormément d'attentions et d'affection.
Elle observe les amitiés et les inimitiés, les manifestations de solidarité, de bienveillance entre les animaux, soulignant la grande palette de caractère existant chez les vaches, relevant la fierté de l'une, la bienveillance de l'autre car "Plus on connaît un animal, plus on lui est utile." Ici, on a vraiment l'impression que les éleveurs sont au service de leur animaux.mais il n'y a pas que des bovidés dans cette ferme et l'autrice nous régale aussi d'anecdotes concernant des moutons, des cochons et des poules, avec toujours un grand sens de l’observation et beaucoup de bienveillance.
Certains pourraient peut être lui reprocher son anthropomorphisme, elle applique en effet parfois aux vaches un comportement humain,elles bavardent par exemple en contemplant un paysage, mais cela ne m'a pas du tout heurtée, loin de là. Oui, les vaches font du baby-sitting et rendent service aux copines, (j'ai même observé dans le Gers un taureau placide qui gardait sa progéniture autour de lui tandis que les vaches étaient parties paître un peu plus loin); oui ce sont des êtres sensibles et intelligents, ou bêtas selon les individus. Faits que les scientifiques semblent découvrir de nos jours mais que les éleveurs et les propriétaires d'animaux domestiques savaient depuis longtemps...
à noter que Rosamund Young, pleine de bon sens, plaide pour un élevage respectueux du bien être des animaux car "Rendre les animaux heureux et leur permettre d'exprimer leur comportement instinctif n'est pas seulement moralement et éthiquement essentiel, c'est également avantageux d'un point de vue financier.Les animaux heureux se développent plus vite" Une bouffée de bonheur bucolique.
Traduit de l’anglais par Sabine Porte, préface de François Morel, avant-propos d'Alan Bennett, Éditions Stock 2017.
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : rosamund young, vaches, moutons, cochons, poules
25/10/2017
Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale
"On tire du ménage une sensation de contrôle et de pouvoir rarement égalée dans la mesure où il est aussi un défi au temps."
Partant de son expérience personnelle, s'appuyant aussi sur de nombreuses études, Titiou Lecocq analyse finement et , avec son humour habituel, l'inégalité de la répartitions des tâches ménagères au sein d'un couple et plus particulièrement d'un couple avec enfants. car c'est souvent à ce moment- là que la situation dérape.
Rappelant les racines du problème, l'éducation principalement, l'autrice pointe aussi du doigt les motivations psychologiques plus difficilement avouables ainsi que les différences dans la manière dont hommes et femmes se répartissent cette fameuse charge mentale.
Les "torts" sont partagés, pas de miracle préconisé pour régler le problème, mais une manière saine et enjouée d'envisager la situation. De quoi repartir sur de bonnes bases ?
Fayard 2017
L'avis d'Antigone.
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : titiou lecoq
24/10/2017
En sacrifice à Moloch
"Le chiot galopait comme un troll à qui on aurait mis de la moutarde dans le cul [...]"
Dans la panse d'un ours, on découvre des restes humains. Quelques mois plus tard, une femme est sauvagement assassinée à coups de fourche.La procureure Rebecka Martinsson va bientôt relier ces faits, établir le lien de parenté entre les victimes et découvrir que les membres de cette famille ont une fâcheuse tendance à mourir de manière dramatique.
En parallèle, nous remontons le temps et découvrons ce qui a sans doute été l'assassinat initial, au siècle dernier, d'une institutrice féministe, trop libre et trop belle.
Tous les ingrédients étaient réunis pour un bon polar nordique : une héroïne au caractère bien trempé, la découverte d'un pan historique ma foi fort intéressant de la Suède, une intrigue au début bien ficelée, à qui on est même prêt à pardonner une ou deux invraisemblances.
Si la rudesse, voire la crudité,de l'expression des personnages apparaît dans un premier temps plaisante car roborative, certains dialogues sonnent totalement faux et la désinvolture de la procureure dans ses rapports hiérarchiques apparait pour le moins surprenante. Pour bien moins que cela , en France, elle aurait été virée en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Une déception donc.
Lu dans le cadre du grand prix des Lectrices de Elle 2018.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : asa larsson
23/10/2017
Les mots du bitume
"L'argot, lui ,fait preuve d'une grande hospitalité envers ce que l'on considère comme des fautes.C'est une langue qui ne juge pas, qui ne condamne pas mais qui accueille."
Longtemps je me suis réveillée de bonne heure en fin de semaine, pour le seul plaisir d'écouter les chroniques d'Aurore Vincenti sur France Inter. (clic)
Les mots du bitume, qui reprend les meilleures d'entre elles, permettra à tous de les (re) découvrir sans avoir à se lever dès potron-minet. L'occasion aussi de mieux comprendre les extraits de rappeurs diffusés dans l'émission et dont le flow*, ajouté à cette langue quasi étrangère pour moi, ne garantissait pas forcément la compréhension à cent pour cent.
De Rabelais à Booba, en passant par des extraits de dialogues d'Audiard ou de chansons de Brassens, rien de ce qui est linguistique n'est étranger à Aurore Vincenti et elle fait son miel (et le notre) de ces auteurs éclectiques, retraçant avec gourmandise et humour tant l'origine des mots que leur nuances ou leurs évolutions.
J'ai ainsi découvert que la ville de Grigny était particulièrement féconde en créations l'ingusitiques, que le romani, l'arabe ou les langues africaines nous prêtaient généreusement leurs mots, mais aussi que parfois, l'anglais, auquel les rappeurs français se réfèrent souvent, ne fait qu’emprunter au ...français ! Ainsi en est-il du fameux spoiler (divulgâcher) venant "De l'ancien français espillier qui signifiait "dépouiller" , "piller"et même "spolier"".
De l'érudition en pagaille donc, mais de manière enjouée. Un pur régal préfacé par le maître Alain Rey.
Le Robert 2017.
* flux, débit de paroles dans le rap.
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aurore vincenti, alain rey
20/10/2017
Une toile large comme le monde
"Kuan et Lu Pan ne font pas encore les liens, mais quelque chose s'est ouvert, la bouche béante d'une interrogation, le pendant obscur d'un fonctionnement, sous la forme du souvenir d'un lac."
Nous plongeons d'abord au fond de l'océan pour découvrir FLIN ,"un vulgaire câble","transportant loin des regards fichiers, mails, images, vidéos, et tout ce qui utilise de près ou de loin le world wide web".
Nous remontons ensuite à la surface et faisons la connaissance de personnages , nomades ou sédentaires, sur différentes parties du globe, qui tous utilisent internet , voire en sont devenus dépendants, se coupant parfois du reste de leur famille. Ce sont majoritairement de jeunes adultes, même si le plus accro est un adolescent féru de jeux vidéos en ligne. Un panel suffisamment varié pour nous permettre de découvrir plus avant les coulisses techniques d'internet de manière extrêmement concrète, claire et jamais ennuyeuse. Nous prenons aussi conscience au passage de toutes les formes de pollutions générées par le net.
Bientôt va naître un projet en apparence fou qui réunira virtuellement ou concrètement tous les personnages: couper internet...
Ce roman avait de prime abord tout pour me déplaire mais la fluidité du style et de la narration ont su me séduire et , au passage, j'ai appris plein d'informations passionnantes. Un grand coup de cœur !
Éditions Zoé 2017.
De la même autrice, j'ai aimé, mais non chroniqué :
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans suisses | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : aude seigne
19/10/2017
Comment faire lire les hommes de votre vie
"C'est cela, la raison profonde de ce livre.Partager cette chance formidable de n'être jamais seul, de n’être jamais sans quelqu’un qui pose sa main sur mon épaule, me serre dans ses bras."
La majorité des lecteurs sont...des lectrices. Fort de ce constat, Vincent Monadé, ancien libraire et fervent amoureux des livres, nous confie différents stratagèmes, souvent fort drôles, émaillés de conseils de lectures adaptées aux goûts des hommes de notre vie.
L'occasion pour moi de glaner au passage de nombreuses idées de (re) lectures, mais en aucun cas de les partager avec mon Homme: trop de livres envahissent déjà la maison !
Payot 2017.
Déniché à la médiathèque.
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : vincent monadé
18/10/2017
Handi-gang
"-Mais qui est oppresseur ?
- L’État, voyons, les valides: vous-mêmes, tous ceux qui profitent des installations inaccessibles sans les boycotter, toux ceux qui savent et qui ne font rien. Vous n'êtes pas aveugles mais vous ne nous voyez pas !"
Sam, adolescent dynamique et plein de vie, vit seul à Lyon avec sa mère. Handicapé en fauteuil , il se heurte au quotidien à des tracasseries administratives et au manque d'accessibilité de nombreux endroits dans la ville.
Révolté par l'agression d'un de ses amis handicapés, il va fonder le Handi-gang, pour faire prendre conscience au grand public de leurs ressentis et de leur vécu dans un monde inadapté aux différents types de handicaps. Mais, dépassé par des membres adeptes de la violence, Sam devra apprendre à négocier avec la société.
Un roman enlevé , plein d'humour et d'informations variées sur le monde du handicap au quotidien.
Seul bémol: malgré la "distribution", je me suis un peu perdue parmi les nombreux personnages.
Editions Libertalia 2017.
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cara zina, handicap