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27/08/2017

Si un inconnu vous aborde...

"Ici , pas besoin de rappeler aux gens de s'occuper de leurs affaires. on pouvait bien agoniser sur sa pelouse, ils étaient du genre à tirer poliment les rideaux pour ne pas nous offusquer en remarquant quoi que ce soit."

Quinze nouvelles aux tonalités très différentes composent cet unique recueil de Laura Kasischke. Elle scrute ici avec un regard perçant, non dénué d'humour, notre vie quotidienne, nos drames, nos appréhensions, nos incompréhensions, comment on se débat avec la trame de ce qui constitue nos jours.
Il est souvent question de féminité, de sexualité sous-jacente :une mère qui fouille les affaires de sa fille adolescente si parfaite et si sage, peut être parce qu'elle même au même âge, trompait trop bien son monde. Un père, au bord du divorce, qui se rend à l'anniversaire de sa petite fille et ressent de manière hypertrophiée et agressive la féminité dans tous ses aspects, sans pouvoir la comprendre. Et pourtant, il a lu tous les bons ouvrages féministes, romans , essais et manuels !
Qui d'autre que Laura Kasischke peut ainsi décrire un gâteau d'anniversaire :"Le gâteau faisait penser à l'image surréaliste d'un vagin-rose au centre et entouré de roses encore plus roses faites en glaçages mais qui ressemblaient beaucoup à des chairs humides, le tout surmonté d'une poupée Barbie miniature en maillot de bain comme une danseuse go-go." ? En une cinquantaine de pages, dans ce texte intitulé Melody, c'est toute l'histoire d'un amour, de sa glorieuse naïveté à sa fin incompréhensible pour le narrateur; qui se déroule sur fond de "frénétique combustible d'anniversaire".laura kasischke
Quelques fois, les nouvelles basculent dans le fantastique, à des degrés divers, peut être " par une espèce de distorsion, comme la petite mise en garde faite au pochoir au bas du rétroviseur" mais qu'il s'agisse d'un vieil homme, d'une petite fille ou d’une femme dont l'enfant est malade, tous ces héros partagent la même capacité à nous émouvoir,  nous intriguer ou nous faire sourire.
Il serait dommage d'omettre d'évoquer les formidables images dont l'auteure parsème ses textes, comme autant de petits éclats de poésie nous faisant  voir sous un autre angl, même  les choses plus triviales: "..puis il s'approcha du bord et pissa dans l'eau-un arc brillant et doré qui heurta la surface de cette obscurité pour la disséminer en pièces de puzzle."
Saluons au passage le talent de la traductrice, Céline Leroy, qui a su rendre toutes les nuances de l'écriture de cette auteure.

Et zou sur l'étagère des indispensables !

Éditions Page à Page 2017, 190 pages .

Mariées rebelles ...en poche

Enfin, le premier recueil de poèmes de Laura Kasischke, dont on n'entendait parler que dans les articles consacrés à celle que nous ne connaissions que comme romancière ! Et ce dont deux éditeurs lillois qui se sont lancés dans cette folle entreprise ! La préface de Marie Desplechin nous donne une folle envie de dévorer tout à la fois le livre et un baba au rhum (dont acte); quant aux poèmes, je vous laisse le soin de les découvrir. Il y est beaucoup question de femmes, de neige et d'amour.laura kasischke

Mariées rebelles *, Laura Kasischke, Traduction Céline Leroy, édition bilingue, préface de Marie Desplechin.

Points Seuil

26/08/2017

Nulle part sur la terre

"Elle s'était rendu compte avec le temps que les mauvais coups, une fois que c’était parti, s'amoncelaient et proliféraient comme une plante grimpante sauvage et vénéneuse, un lierre qui courait tout le long des kilomètres et des années, depuis les visages brumeux qu'elle avait connus jusqu'aux frontières qu'elle avait franchies et à tout ce qu'avaient pu instiller en elle les inconnus croisés en chemin."

Passablement malmenée par la vie, n'ayant nulle part où aller, Maben revient dans sa ville natale, en Louisiane avec sa petite fille. Elle espère pouvoir enfin trouver un peu de calme et de repos.
Russell, après avoir purgé une peine de onze ans de prison ,retourne lui aussi dans cette bourgade où réside encore son père.michael farris smith
Le meurtre d'un shérif peu scrupuleux va réunir nos deux anti-héros et leur offrira peut être, paradoxalement, une possibilité de rédemption.
à lire le résumé, je soufflais d'avance, ayant déjà l'impression d'avoir lu ou vu cette histoire cent fois.  Mais, ici,  c'est l’atmosphère palpable de tragédie ambiante, quasi étouffante, ainsi que le style de l'auteur, qui font toute la différence. On partage la souffrance des héros, on les regarde tomber et s'accrocher néanmoins, ne jamais renoncer malgré tout.Un roman prenant.

Nulle part ailleurs, Michael Farris Smith, traduit de l'anglais (E-U) par Pierre Demarty, Sonatine 2017.

Lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices de Elle.

25/08/2017

Nos vies

"Nous parlions peu. Nous étions, je l'ai pensé plus tard, dans la pleine gloire de nos corps.souples, et à la proue de nous-mêmes."

 La narratrice du roman a toujours été du côté de la fiction,observant, voire inventant, pour suppléer en quelque sorte la cécité de sa grand-mère. Devenue adulte, sans doute pour distraire sa solitude, elle continue en imaginant, brodant à partir de petits détails, la vie d'une caissière d'origine étrangère au Franprix de son quartier et celle d'un de ses clients du vendredi matin.marie-hélène lafon
Parallèlement, se dévoile petit à petit la propre existence de la narratrice.
La solitude, les sentiments mis sous le boisseau, l'exil, tels sont les principaux thèmes du nouveau roman de Marie-Hélène Lafon. Qu'il soient étrangers ou juste venus de leur région, ses personnages partagent une même absence d'acclimatation à Paris. Ces vies infimes en apparence, Marie-Hélène Lafon sait leur prêter toute l'attention nécessaire pour nous les rendre proches et infiniment attachantes.

 Nos vies, Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel 2017.

à noter que le personnage de Gordana, la caissière ici, apparaissait dans une  longue nouvelle précédemment parue aux éditions du Chemin de fer en 2012.

24/08/2017

Underground Railroad

"Une plantation restait une plantation : on pouvait croire ses misères singulières, mais leur véritable horreur tenait à leur universalité."

Nous sommes avant la Guerre de sécession, dans une plantation de coton de Géorgie. Cora, une esclave de seize ans, a réussi à survivre, malgré la fuite de sa mère, aux conditions de travail  extrêmes et aux mauvais traitements infligés par son maître.colson whitehead
Quand un autre esclave, Caesar, lui propose de s'enfuir avec lui et de rejoindre les États Libres du Nord, elle hésite, mais finit par accepter. Commence alors un périple tragique, semé d’embûches ,de dénonciations, de violences où les fugitifs rencontreront aussi la solidarité des membres de l'Underground Railroad.
Ce "chemin de fer clandestin" désignait, sous la forme métaphorique, le réseau de routes clandestines emprunté par les esclaves noirs américains en fuite, aidés en cela par des abolitionnistes.
Colson Whitehead a choisi délibérément de prendre cette expression au pied de la lettre, conférant ainsi à son odyssée une dimension fantastique, s'intégrant parfaitement dans l'économie du roman.
On a le cœur qui bat lorsque les esclaves sont pourchassés, on est soulevés d'indignation devant la violence qui frappe indifféremment les Noirs en fuite autant que les abolitionnistes blancs. Certains épisodes m'ont fait penser à  Jean Valjean pourchassé par Javert, à Anne Frank enfermée dans son grenier, ce qui montre bien l'universalité du propos de Colson Whitehead et la manière dont ce texte peut résonner en chacun de nous, qu'elle que soit notre culture.
L'auteur remet aussi en perspective la manière dont a été envisagée l'Histoire des Noirs et analyse les raisons du racisme aux États-Unis . L'actualité récente ne peut que souligner la nécessité d'un telle démarche.
Un roman riche, tant du point de vue des émotions que par sa dimension historique.

Underground Railroad, Colson Whitehead,  traduit de l’américain par Serge Chauvin,Albin Michel 2017, 398 pages, piquetées de marque-pages.

Couronné par le Prix Pulitzer.

23/08/2017

Gabriële

"Ce fut notre gageure de déterrer quelqu’un qui  voulut rester dans l'ombre."

Gabriële Buffet-Picabia,"théoricienne de l'art visionnaire, femme de Francis Picabia, maîtresse de Marcel Duchamp, amie intime d’Apollinaire" avait tout à la fois disparu de l 'histoire de l'art et de la vie de ses arrières petites-filles, Anne et Claire Berest, qui ignoraient jusqu'à son existence.
Se basant sur une solide documentation, mais faisant aussi la part belle à leur propre subjectivité, les auteures ont donc sorti de l'oubli cette personnalité exceptionnelle qui fut plus une femme qu'une mère, sachant privilégier l'art de Picabia et fermer les yeux sur ses frasques .anne et claire berest
Elle aurait pu être une musicienne, mais sans éclat ,et se révéla bien davantage dans sa manière d'accompagner et de révéler à eux mêmes les artistes d'avant-garde.
J'ai été un peu frustrée de voir résumer en quelques lignes la vie de Gabriële après Picabia, mais cela participait de la logique intrinsèque du texte, puisqu'il s'agissait de jeter par delà les années une sorte de pont entre cette aïeule atypique, et elles-mêmes.
Quelques longueurs, mais Anne et Claire Berest ont su m'intéresser à la vie hors-normes de cette femme. Il se dégage aussi une grande sensibilité et la volonté de ne pas blesser leur propre mère en exhumant une histoire familiale douloureuse.

Gabriëlle, Anne et Claire Berest, Stock 2017, 421 pages.

Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle.

22/08/2017

Je m'appelle Lucy Barton

"Je me répétais que tous les cinq nous avions vraiment formé une famille malsaine, mais je voyais aussi combien nos racines étaient farouchement entremêlées autour de nos cœurs."

Hospitalisée, se sentant seule ,loin de son mari pris par son travail, loin de ses filles, Lucy Barton a la surprise de voir débarquer sa mère à son chevet. Issue d’une famille extrêmement pauvre, sans relations sociales, sans culture, sans expression de sentiments, Lucy a su tracer sa route, échapper à la solitude et devenir écrivain.elizabeth strout
Pendant cinq jours, entre veille et sommeil, les deux femmes vont échanger de petits riens, mais, avec une extrême pudeur, trop de non-dits trop profondément enkystés empêchant toute expression directe, Lucy comprendra la profondeur des liens qui la lient à toute sa famille , aussi dysfonctionnelle qu'elle ait été. Un magnifique portrait de femme par l'auteur d'Olive Kitteridge. clic.

Je m'appelle Lucy Barton, Elizabeth Strout, Fayard 2017.elizabeth strout

21/08/2017

La servante écarlate...en poche

"Je regrette qu'il y ait tant de souffrance dans cette histoire. Je regrette qu'elle soit en fragments, comme mon corps pris sous un feu croisé ou écartelé de force. Mais je ne peux rien faire pour la changer."

Théocratie, la République de Gilead , pour pallier la baisse tragique de la fécondité, a mis en place toute une série de stratégies  et une ségrégation de la société, en particulier des femmes.margaret atwood
La narratrice, Servante vêtue de rouge, dont nous ne connaîtrons jamais le vrai prénom, est nommée Defred, "patronyme composé de l'article possessif et du prénom du monsieur en question", c'est à dire du Commandant au service duquel elle est entrée et qui pouvait donc varier. Mais plus que son identité, c'est son corps qui est nié. En effet, les Servantes sont chargées d'assurer la postérité des membres de la classe dirigeante, dans des conditions qui ramènent ces femmes au rang d'objets purement fonctionnels.
Au fur et à mesure du récit, nous découvrons, effarés, le fonctionnement de cette société et la manière dont elle s'est mise en place. Certaines pages (la 290 par exemple) semblent cruellement d'actualité.
Dystopie glaçante, La Servante écarlate, comme le précise Margaret Atwood dans la postface de cette édition, n'utilise "rien que l'humanité n'ait déjà fait ailleurs ou à une autre époque , ou pour lequel la technologie n'existerait pas déjà." pour mieux renforcer la crédibilité de son texte et le rendre d'autant plus puissant. Mission accomplie dans une langue superbe et une construction imparable.

à (re)lire de toute urgence.

J'avais lu une première fois ce roman quand il était sorti pour la première fois en France en 1987, mais j'avoue qu'alors il n 'était pas autant entré en résonances avec les préoccupations que j'avais à l'époque et le monde dans lequel nous vivions.

La servante écarlate, Margaret Atwood, Robert Laffont Pavillons poche 2017, 522 pages bruissantes de marque-pages. Un indispensable et un classique.

Un certain M.Piekielny

"D'emblée, je dus me rendre à l'évidence: je ne saurais jamais vraiment qui était Piekielny. S'il y avait eu des témoins de sa vie, le temps les avait récusés."

Plutôt que de s'attacher à la vie d'un artiste, c'est à celle d'un personnage mentionné dans un roman autobiographique de Romain Gary que se consacre François-Henri Désérable.
D'enquête en Lituanie en digressions sur la vie de Gary ou la sienne, François-Henri Désérable essaie de débrouiller les liens tissés entre fiction et réalité, n'oubliant pas de nous rappeler régulièrement que Gary était un  fieffé menteur.françois-henri désérable
De l'humour, une écriture enlevée ,ne parviennent pourtant pas à faire "décoller" ce récit qui semble parfois un peu vain.

Gallimard 2017.

Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.

 

 

20/08/2017

Une apparition

"...à partir du moment où vous vous moquiez de ce que l'autre peut penser de votre éventuelle beauté, de votre jeunesse envolée, un éden devenait possible."

 Celles et ceux qui la suivent sur les réseaux sociaux savent que Sophie Fontanel, forte d'une intuition sur la beauté des cheveux blancs, a décidé d'arrêter les colorations. Ce texte est le journal romancé de cette année et demie où elle a décidé de regarder pousser ses cheveux et d'enregistrer les réactions des gens, tant dans son entourage que parmi ses followers ou dans la rue.sophie fontanel
L'autrice partage avec nous ses doutes, ses enthousiasmes et on sent chez elle une assurance se révéler qui fait plaisir à lire. Sophie ,aux allures parfois de Cruella, séduit les hommes, enthousiasme les femmes et évolue aussi bien psychologiquement que professionnellement, battant ainsi en brèche tous les a priori des oiseaux de mauvais augure. Un livre qui fait du bien.
Beaucoup d'entre nous (dont je suis) aimeraient effectivement arrêter cette corvée qui coûte cher, n'est certainement pas bonne pour la santé et surtout résulte d'une pression de la société sur les femmes. Perso, je ne suis pas encore prête.

Une apparition, Sophie Fontanel, Robert Laffont 2017.sophie fontanel