30/05/2017
Les cuisines du grand Midwest
"Après des dizaines d'années passées loin du Midwest, elle avait oublié que cette générosité déroutante était une manie répandue dans cette région."
Quand un jeune papa, féru de cuisine ,concocte pour sa fille qui vient tout juste de naître des menus sophistiqués pour les cinq premiers mois de sa vie, nul doute que celle-ci ne devienne une gastronome .
Et pourtant, il faudra bien des rebondissements pour que Eva Thorvald, l’adolescente, croqueuse aguerrie de piments ,n'accomplisse son destin.
Roman d'initiation , Les cuisines du grand Midwest utilise le biais de la cuisine, de la plus traditionnelle à la plus pointue, pour nous brosser le portrait d'une jeune femme que la vie n'a pas épargnée mais qui a toujours su faire face.
Si Eva est bien le fil rouge que nous retrouvons tout au long de ce texte, elle n'est pas forcément le personnage principal de chacun de chapitres qui donne alternativement le point de vue d'autres personnes croisées tout au long de sa vie. Ainsi, l'auteur, usant des ellipses, allège son récit tout en lui conservant sa densité. Un magistral chapitre final permet de réunir des éléments ayant joué un rôle dans la destinée d'Eva, mais n'en disons pas plus.
On prend beaucoup de plaisir à lire ce roman qui m'a parfois fait penser aux premiers textes de John Irving.
Entrecoupé de recettes de cuisine, le texte d'une apparente légèreté aborde des sujets graves sans jamais se prendre au sérieux, mais en faisant preuve de bienveillance et en évitant tous les pièges du pathos. Une magnifique réussite !
Les cuisines du grand Midwest, J. Ryan Stradhal, traduit de l’américain par Jean Esch, Editions Rue Fromentin 2017, 342 pages que j'ai quittées à regret.
Cuné m'avait donné envie !
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : j. ryan stradal
29/05/2017
Un chien en ville
"Pas étonnant que l'homme nous ait créés à son image: demi-démon, demi-clochard."
Bâtards ou chiens de race, ils arpentent seuls, bien ou mal accompagnés, les rues de douze capitales du monde, une par nouvelle.
Bien que tenaillés par la satisfaction de leurs besoins primaires , ces canidés prennent le temps d'observer avec acuité les humains qui croient les posséder. Adoptant un ton souvent canaille, ils détaillent ainsi nos obsessions futiles, nos amours, nos vies souvent ratées.
Aimant beaucoup les chiens et la littérature, je crois que j'attendais trop de ce recueil qui n'a su me faire sourire qu'une seule fois, à la toute fin du premier texte. Le reste m'a paru assez banal, manquant par trop de chien.
Merci à l'éditeur et à Babelio pour l'envoi.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jules gassot
28/05/2017
L'intérêt de l'enfant...en poche
"Que le monde soir rempli de tels détails, de ces minuscules preuves de la fragilité humaine, menaça de l'anéantir et elle dut détourner les yeux."
Fiona Maye est une brillante magistrate spécialiste du droit de la famille. à l'aube de la soixantaine, son mari ,s'estimant délaissé, lui demande abruptement l'autorisation de faire un écart de conduite. Et ce, juste quand Fiona doit juger un cas particulièrement subtil: celui d 'un jeune homme atteint d'un cancer qui refuse toute transfusion sanguine car il est témoin de Jéhovah.
Professionnelle et méthodique, Fiona fait face à tous ces remous avec intelligence et finesse.
J'ai beaucoup aimé la description du ballet silencieux, cette communication sous forme de "pas de deux silencieux et solennel" entre les époux ainsi que la manière à la fois rationnelle, pleine d'empathie et de respect dont Fiona traite son affaire.
J'ai moins été convaincue par le récit du dernier cas juridique qui, relaté par un des collègues de Fiona, semble mal venu, voire inutile car la narration aurait gagné en intensité en étant plus resserrée. à ce détail près, L'intérêt de l'enfant est un roman prenant, tant par son histoire que par son ambiance et ses personnages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ian mc ewan
27/05/2017
La guerre d'hiver...en poche
Katriina considérait le mariage comme une forme de tyrannie réciproque, comme vivre dans un État totalitaire hautement fonctionnel . Les possibilités de choix étaient peu nombreuses , mais tant qu'on restait dans son coin sans remettre le système en question, ça marchait."
La guerre d'hiver,historiquement, a opposé la Finlande à L’URSS de novembre 1939 à mars 1940. Ici, il s'agit de la "série d'erreurs" annoncée par la première phrase du roman qui aboutira , on le sait d'emblée, au divorce de Katriina et de Max, couple en apparence idéal. Lui est un sociologue qui a eu son heure de gloire dans les années 90. Elle est DRH dans un hôpital. leurs deux filles ont quitté le nid familial et vivent leurs vies , de manière bien différentes.
Alternant les points de vue, Philip Teir , par son observation subtile et acérée des relations humaines, brosse un portrait tout en nuances de ses personnages, tout en les reliant à la réalité sociale non seulement de la Finlande , mais mondiale , s'intéressant aussi au mouvement des indignés de Londres.
Une manière originale et prenante de relater ce qui aurait pu être d'une banalité confondante : l'échec annoncé d'un couple aux alentours de la soixantaine. Un bon roman,dévoré d'une traite.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0)
26/05/2017
Nouvelles Le Un (ailleurs)
"Ailleurs est réjouissant parce qu'il n'est pas exil, il est une épopée choisie, la possibilité de retour existe." (Valentine Goby)
"Ailleurs" est un mot protéiforme, un "mot blanc" pour Valentine Goby, c'est à dire un de ces termes"émotionnellement neutres, qui ne s'animent, ne deviennent signifiants, qu'habités par une histoire singulière". Et des histoires singulières, autobiographiques ou fictives ce recueil de nouvelles n'en est pas avare.Jugez un peu. C'est d'abord Lydie Salvayre qui nous prend à partie, s'emportant contre cet ailleurs qu'on veut nous vendre à tout prix, refusant de "s'illusionner à bon compte", avant de terminer par une pirouette. En cela, elle rejoint d'une certaine manière Véronique Ovaldé, plus ambiguë dans sa relation à l'ailleurs.
Quant à Valentine Goby,elle tisse deux conceptions opposées mais se rejoignant dans la tendresse que distille ce texte, le plus riche sans doute de ce recueil.
Très émouvante aussi la nouvelle de Karine Tuil, évoquant cet ailleurs définitif vers lequel son père est parti, revisitant sa relation avec le disparu à l'aune du film "Toni Erdmann".
Melin Arditi se penche quant à lui sur d'autres liens familiaux plus douloureux, ceux unissant Van Gogh à son père.
Traverser la frontière est aussi un thème qui revient dans ces textes, que ce soit par le biais de ces enfants rats qui , via les égouts passent du Mexique aux États-Unis, découverts grâce à J.M.G Le Clézio,ou la rêverie de l'héroïne de Catherine Poulain. Rêver, les héros de Nathacha Appanah, le font aussi sur la jetée où se fracassent leur existences.
Un recueil riche et varié à découvrir en librairie ou chez son marchand de journaux.
08:11 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2)
L'homme idéal existe. Il est Québéquois...en poche
"Comment une intello de la capitale se retrouve-t-elle sur le parking d'un supermarché entouré de neige à chercher un char avec un Canadien derrière elle ? "
Originaire du pays basque, avant de se retrouver dans un grand magasin canadien, , flanqué d'un gamin de cinq ans et se son craquant papa, notre héroïne a d'abord dû s’acclimater aux mœurs des mâles parisiens, mœurs qu'elle dissèque avec une mordante ironie.
C'est dire si elle est méfiante dans la Belle Province, mais en même temps fort attirée par cet indigène si pittoresque qui lui conseille paisiblement ""-Faut pas ma beauté, t'excite pas le poil des jambes, ça va bien se passer", ce qui est , ma foi fort déroutant, limite insultant. Rassurez-vous cela signifie juste qu'il ne faut pas stresser.
Anne Ducret joue à fond des situations comiques générées par les idiosyncrasies québécoises, tant dans le langage que dans le mode de vie, et c'est très plaisant. Son récit est enjoué et joue avec bonheur des codes du genre, mais avec beaucoup de fraîcheur. Une lecture très plaisante qui se savoure comme un bonbon.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diane ducret
25/05/2017
Safari dans la bouse et autres découvertes bucoliques
"Frimez en société : "Nous sommes dans la merde jusqu'au cou, c'est pourquoi nous marchons la tête haute." Dario Fo, homme de théâtre italien , prix Nobel 1997."
C'est dans ma voiture, en écoutant Marc Giraud expliquer avec enthousiasme dans l'émission de France Inter "La tête au carré" le microcosme passionnant qu'est une bouse de vache que j'ai été ferrée.
Découvrir que "Les poissons perroquets expulsent régulièrement des matières fécales blanchâtres très minérales, qui s'accumulent et forment en partie ...le sable fin des idylliques plages tropicales immaculées" m'a emplie de joie, tout comme la plante carnivore "qui fait office de fosse septique désinfectante pour la chauve-souris !" exemples, que je pourrais multiplier à loisir !
Je n'ai donc pas été déçue par ce petit livre (par la taille) rempli d'humour, d’informations insolites mais aussi très sérieuses car les déjections sont souvent à la base d'écosystèmes qui sans elles, disparaissent. ,
Les illustrations malicieuse de Roland Garrigue ajoutent au plaisir de la lecture.
Pour les petits et grands curieux ! Et zou, sur l'étagère des indispensables!
Éditions Delachaux et Niestlé .
06:00 Publié dans Document, Humour, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : marc giraud, roland garrigue
23/05/2017
La daronne
"Nous étions entre nous, appartenant au grand flou des classes moyennes étranglées par ses vieux. C'était rassurant."
A part une brève parenthèse de bonheur marital, on ne peut pas dire que la vie de notre narratrice ait été marquée par la joie de vivre. Lasse d'être employée au noir par l’État comme interprète judiciaire, de n'avoir ni sécu ni retraite en vue, lasse d'avoir bossé pour payer les études de ses filles, puis maintenant pour l'EPHAD de sa mère, elle saisit l'opportunité de se glisser dans un monde qu'elle connaît bien pour le suivre via des écoutes téléphoniques : celui du trafic de drogue.
Et là, elle revit, jonglant avec la langue qu'elle connaît depuis l'enfance, "la langue d'avant Babel qui réunit tous les hommes", à savoir l'argent. Elle endosse avec jubilation l'identité de La daronne, délicieusement amorale, fustigeant notre société et ses hypocrisies. Usant d'une langue tour à tour soutenue puis argotique, "elle, au contraire, avait l’œil émerillonné de celles qui aiment le biff", Hannelore Cayre se régale visiblement à ponctuer son récit de remarques vachardes et délicieuses à nos yeux de lecteurs: "Je me suis très mal conduite avec lui, mais il faut dire que son honnêteté à toute épreuve en faisait un sacré boulet."
Enfin, une héroïne en colère, amorale et qui ne trouve pas son salut dans l'amooouuuur, voilà qui fait bien fou ! (Plein de femmes fortes d'ailleurs dans ce roman , chacune dans leur genre !).
Les billets de Cuné, Aifelle et Papillon m'avaient donné envie.
De la même autrice: clic
06:03 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : hannelore cayre
22/05/2017
Des dieux sans pitié
"Le sable est une des armes dont se sert la nature pour combattre l’arrogance du béton."
Qu'elles se déroulent en Australie ou à l'étranger, ces nouvelles mettent toujours en scène des Australiens, jeunes ou moins jeunes, sans illusions. Peut être parce qu'ils ont intégré ce que se demande avec violence un personnage: "Pourquoi les gens nous déçoivent-ils toujours un jour ou l'autre ? "
Racisme, homosexualité, violence sont au programme de ces textes passant au crible la société australienne. Dès la première nouvelle, le ton est donné: sortez de votre zone de confort, accueillez à bras ouverts (ou non) le malaise distillé plus ou moins sourdement par ces textes.
J'avouerai que j'ai nettement préféré les textes où Christos Tsolkias, avec une grande économie de moyens, aborde des thèmes intimistes mais forts, en particulier les deux nouvelles mettant en scène des rapports mère fils, à ceux plus frontaux où la violence se donne libre cours. "Pornographie 2" est ainsi à la limite du supportable, tout comme le récit enchâssé dans le premier texte d'ailleurs.
Des textes comme des alcools forts, dont il m'a fallu espacer un peu la lecture.
Des dieux sans pitié, Christos Tsiolkas, traduit de l'anglais (Australie) par
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : christos tsiolkas
20/05/2017
Puissions-nous être pardonnés
"Mais à présent tout se passe comme si j'étais en chute libre, indéfiniment, la dégringolade n'étant interrompue et ralentie que lorsque je suis sommé de faire quelque chose pour quelqu'un d'autre. Sans les enfants, le chien, le chat, les chatons, les plantes, je me déliterais complètement."
Deux tragédies successives et familiales vont totalement bouleverser la vie de deux frères,opposés, "les deux faces d'une même pièce."
Si George a longtemps volé à Harold sa place d'aîné ,accaparant l'attention par son caractère explosif et violent, ce dernier se contentant d'une vie sclérosée et d'un rôle plus passif, les rôles vont changer. Harold, investissant la maison de son cadet, va prendre sa place de père de famille et, par là même s'autoriser à devenir enfin adulte.
Familles dysfonctionnelles et hautes en couleurs, personnages principaux attachants, personnages secondaires farfelus et joyeusement hors-normes , tout m'a enthousiasmé !
Les épisodes drolatiques (j'ai éclaté de rire à plusieurs reprises) et émouvants alternent dans ce roman de 500 pages qu'on quitte à regrets. A.M. Homes revient avec jubilation et profondeur sur ce thème de la famille et on la suit avec tout autant de bonheur dans cette Amérique qu'elle égratigne au passage . Un coup de cœur !
Puissions-nous être pardonnés, A.H. Holmes, traduit de l'américain par Yoann Gentric, Actes Sud 2015. Babel 2017
Ps: la quatrième de couv' en dit beaucoup trop !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : a m homes