19/08/2017
C'est le coeur qui lâche en dernier
"Vous voulez qu'on vous confisque vos décisions pour ne pas être responsable de vos actes ? C'est parfois tentant, vous le savez."
Pour échapper à la crise économique qui les frappe de plein fouet et les contraint à dormir dans leur voiture, Stan et Charmaine intègrent la ville pimpante de Consilience qui accueille le Projet. La solution pour réduire le chômage ? Accepter de travailler un mois en prison à Positron, puis réintégrer la vie civile, dans une ambiance très années 50, films lénifiants et chanson de Doris Day en boucle, où l'on occupera un autre poste. Dans un souci de rationalité, la maison sera occupée alternativement par deux couples, qui ne devront jamais se rencontrer.
Évidemment, un grain de sable va se glisser dans les rouages, Stan va tomber fou de désir pour la femme qui occupe en alternance son foyer, sans l'avoir jamais vue et, petit à petit, le bel ordonnancement va révéler une réalité bien plus déplaisante.
Située dans un futur très proche, cette dystopie possède une rare caractéristique pour ce genre de texte: elle est très drôle. On sent que Margaret Atwood s'est beaucoup amusée à balancer son personnage de blonde pas si écervelée que cela, Charmaine, et son amoureux bougon et pusillanime, Stan, dans un maelstrom d'événements qui, tout en pointant les dysfonctionnements de nos sociétés, fait aussi la part belle à une certaine folie jubilatoire. à découvrir sans plus attendre !
C'est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood, traduit de l'anglais (canada) par Michèle ALBARET-MAATSCH , Robert Laffont 2017., 450 pages pleines de folie !
De la même autrice: clic, sans oublier La servante écarlate qui , suite au succès de la série, vient de ressortir en Pavillons Poche.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : margaret atwood
18/08/2017
Légende d'un dormeur éveillé
"Un Surréaliste ce serait précieux pour éclairer les chemins de l'inconscient. Et puis Robert, tu as cette qualité précieuse d'exprimer les choses les plus complexes avec des mots simples, de rester ludique même quand tu es grave. Tu n'es jamais élitiste ni ennuyeux. Vraiment, je trouve que vous êtes faits pour travailler ensemble !"
De Robert Desnos, chacun a en mémoire quelques vers , mis en musique ou non, jouant avec les sons, les images, pleins de fantaisie (Une fourmi de dix-huit mètres... Ce sont les mères des hiboux...). Une photographie vient peut être aussi à l'esprit, celle d'un "dormeur éveillé". Amours malheureuses, Surréalisme, Résistance composent les autres morceaux du puzzle, sans oublier sa mort du typhus juste après la libération du camp de concentration où s'achevait son parcours de déporté.
Avec sa Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant nous propose un roman qui se fixe pour objectif de "rejoindre la vérité par le biais de la fiction, ou en tout cas une vérité possible". Objectif pleinement atteint par ce texte foisonnant de vie, de sentiments, d'énergie, qui fait revivre de manière extrêmement vivante le Paris des années folles à l'occupation et l'existence de cet homme protéiforme.
Et de l'énergie il en fallait pour suivre le parcours de cet homme tour à tour et simultanément, poète critique, inventeur de slogans publicitaires, chroniqueur radio, porté par une telle exigence de liberté qu'il s'engagea dans la Résistance sans tarder. Ayant le coup de poing facile, ne craignant pas les inimitiés, mais extrêmement fidèle en amour comme en amitié, Roberts Desnos se révèle extrêmement attachant et sensible.
Émaillant judicieusement son texte d'extraits de poèmes, dûment référencés à la fin des 521 pages, l'auteure ,dans la dernière partie du livre, la plus poignante, se glisse aussi à la place de Youki, la femme aimée. Sous la forme d'un journal intime, elle retrace la toute dernière partie de la vie de l'auteur de Corps et Biens, une partie qui nous laisse la gorge serrée.
Un très grand coup de cœur, tant du point de vue de l'écriture, parfois lyrique, parfois plus intimiste mais toujours très prenante, que du point de vue romanesque. On ne s’ennuie pas une minute et on dévore d'une seule traite ce pavé addictif ! Vous voilà prévenu(e)s .
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Il est temps maintenant de se (re)plonger dans l’œuvre de Robert Desnos !
Lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices de Elle.
Légende du dormeur éveillé, Gaëlle Nohant, Éditions Héloïse d'Ormesson 2017.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : robert desnos, gaëlle nohant
17/08/2017
Une histoire des loups
"L'aube est un laissez-passer.Je l'ai toujours pensé. Entre quatre et sept heures, le temps appartient à quelques oiseaux agités, à une dernière chauve-souris peut être, fondant sur les moustiques."
Madeline, quinze ans, vit de façon quelque peu marginale et rustique, dans une cabane en compagnie de ses parents, rescapés d'une communauté dont l'adolescente conserve quelques souvenirs.
Sauvage et solitaire, Madeline est fascinée par la vie d'un couple et de leur jeune enfant, installés confortablement depuis peu ,sur la rive opposée du lac.
Le père de famille étant parti travailler au loin, la jeune mère demande bientôt à Madeline de s'occuper de l'enfant, Paul, tandis qu'elle-même corrige les écrits de son époux. Madeline partage de plus en plus de moments avec ces gens qu'elle observe avec acuité, sans pour autant parvenir à analyser clairement les liens qui les unissent , avant que le drame , annoncé par de petit indices, ne survienne.
Dès la première page, Emily Fridlund instaure un climat troublant, marqué de manière implicite par la mort. D'emblée se donne aussi à entendre une voix, à la fois poétique et puissante, qui fait la part belle à la nature "Cette année-là, l'hiver s'écroula sur nous. Il tomba à genoux, épuisé et ne bougea plus."
Mais le talent de cette jeune romancière se montre aussi dans la construction subtile de son œuvre, alternant les époques sans jamais perdre son lecteur en route. Pas de coup de théâtre, mais une tragédie en marche, racontée a posteriori par celle qui avait quinze ans à l'époque. En arrière-plan, la vie d'une petite communauté rurale, où les destins semblent tracés d'avance, mais dont certains protagonistes parviendront, de manière subtile, à détourner les clichés attendus. Une héroïne ambiguë qu'on n'oubliera pas de sitôt.
Un roman captivant dont j'ai dévoré d'une traite les 297 pages.
Une histoire des loups, Emily Fridlund, traduit de l'américain par Juliane Nivelt, Gallmeister 2017
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : emily fridlund
16/08/2017
Mercy, Mary ,Patty
"Quinze jours pour trancher qui est la vraie Patricia, une marxiste terroriste, une étudiante paumée, une authentique révolutionnaire."
Qu'ont en commun les Mercy, Mary, Patty du titre ? Ce sont des jeunes femmes kidnappées à des époques différentes, qui ont toutes choisi de rester-définitivement ou pas - avec ceux qui les avaient enlevées, tournant ainsi violemment le dos à leur éducation de filles soumises.
Centré sur la figure de Patricia Hearst, fille d'un milliardaire enlevée en 1974 par un groupuscule révolutionnaire, le roman de Lola Lafon analyse par le biais d'une universitaire américaine venue enseigner en France, Gene Neveva, et chargée de rédiger un rapport pour l'avocat de la jeune femme, toute l'affaire d'un point de vue féministe, original et extrêmement fouillé.On est bien loin ici du syndrome de Stockholm couramment évoqué ou de la manipulation évoquée par les avocats de l'héritière.
En outre, le roman imagine aussi la manière dont une jeune française, Violaine, chargée d'aider Gene Neveva, verra sa vie si tranquille et tracée d'avance, radicalement bouleversée.
Des destins de femmes qui résonneront longtemps dans nos mémoires, un style percutant, des phrases soulignées à la pelle font de ce roman un indispensable.
Mercy, Mary, Patty, Lola Lafon Actes Sud 2017.
Lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices de Elle.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : lola lafon
15/08/2017
Les attachants
"Une classe, c'est comme un roman. Vingt-six histoires qui se combinent, qui se heurtent qui s’emboitent. Cinq jours sur sept, de huit heures du matin jusqu'à la fin de l'après-midi, près de neuf mois dans une année, ces histoires se tissent. Si l'on calcule le temps passé ensemble, on s'effraie de constater à quel point une classe absorbe les individus qui la constituent."
Après quelques années passées à jongler avec les remplacements, ça y est, Emma a enfin "sa" classe à l'école des Acacias. Celle qui était en dernière position sur sa liste de vœux.
Encore mal aguerrie, idéaliste et "montant dans les tours" tout aussi vite qu'elle s’indigne, la jeune instit va devoir faire face à une classe de CM 2 comptant pas mal d'individus tout aussi insupportables qu'attachants.
En contrepoint, se déroule aussi l'histoire personnelle d'Emma, son évolution et son entrée dans l'âge adulte.
Alors oui, "Ce n'est pas parce que c'est petit que c'est gentil. A trois ans, on peut être déjà pas mal vicieux.", mais les enfants dont ils est question dans ce roman sont aussi le fruit de l'éducation ou de ce qui en tient lieu qu'ils ont reçue, par des parents qui souvent rejettent l'institution scolaire, parfois violemment : "Devait-on en rire, de ce doute immense, cette perte de confiance, cette revanche de pauvres gens qui ne savaient plus que haïr et s'en prenaient aux enseignants qui s'occupaient de leurs enfants, dans un geste irrationnel et si triste ? "
Sans angélisme ni défaitisme, c'est toute une galerie de parents et d 'enfants qui se donne ici à voir. parfois émouvants, parfois atroces, toujours riches d'humanité. on n'oubliera pas de sitôt Ryan, Caïn, Karima et tous les autres.Des enfants dont on ne peut s'empêcher de penser que la République les oublie...
Quelques éclairs d'humour et de rares instants d'harmonie permettent tant aux enseignants, toujours sur la corde raide entre bienveillance, volonté de ne pas couper le lien avec des familles dysfonctionnelles et volonté de sauver des enfants, qu'aux lecteurs, de souffler un peu. j'allais oublier de parler du style: juste magnifique !
Un grand coup de cœur ! Et zou sur l’étagère des indispensables! La rentrée littéraire commence fort !
Les attachants, Rachel Corenblit, Éditions du Rouergue 2017, 188pages que tout futur enseignant devrait lire.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : rachel corenblit
11/08/2017
La faille
"Elle avait raison, bien sûr, mais je ne voyais pas en quoi une chose que personne ne lirait ferait du tort à l'intéressée. Son malheur deviendra plus réel, a dit Lucie."
Quand la narratrice, Mina, retrouve Lucie, la plus belle fille du lycée, qu'elle avait laissée à l'aube d'une carrière prometteuse de comédienne, cette dernière est presque méconnaissable.
Rapidement, Mina constate que Lucie semble être sous l'emprise de VDA, son mari, homme plus âgé qu'elle qui exploite sans vergogne La faille de Lucie. En effet, Lucie, que sa mère ne trouvait pas suffisamment intelligente, veut à tout prix plaire, est prête à tout pour les hommes dont elle tombe amoureuse.
Il est beaucoup question de manipulations, mais aussi d'art dans ce roman dont la narratrice est le double de l'auteure. Beaucoup question aussi de mères mal aimantes et de pères absents.
Un roman qui souffre de quelques longueurs (500 pages) mais qui manipule avec brio son lecteur.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabelle sorente
10/08/2017
Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ?
Dans cet opus de l'excellente collection Les petites pommes du savoir, la neurobiologiste et directrice de recherches à l'institut Pasteur à Paris, Catherine Vidal, fait le point sur recherches les plus récentes sur le sujet.
Elle en profite aussi pour tordre le cou à quelques idée fausses, encore véhiculées par les médias, bien que basées sur des recherches maintenant dépassées.
Partant des stéréotypes les plus anciens (le lien erroné qu'on tentait d établir autrefois entre taille du cerveau et intelligence), elle bat ainsi en brèche toutes les idées reçues concernant les différences traditionnellement établies entre hommes et femmes.
Oui, les cerveaux des hommes et des femmes sont différents, mais principalement parce que tous les cerveaux sont différents entre eux et parce que l'éducation va entraîner la sollicitation de certaines zones du cerveau entraînant ainsi la reproduction de stéréotypes culturels.Le cerveau étant extrêmement plastique, peut, si l'on sollicite régulièrement ces zones , devenir tout à fait performant.
Néanmoins, malgré les progrès de l'imagerie cérébrale et la découverte de la plasticité du cerveau, "L'argument du déterminisme biologique des différences entre les sexes fait toujours autorité." et Catherine Vidal tire la sonnette d 'alarme pour "éveiller la responsabilité des chercheurs sur l'impact de leurs travaux dans le champ social et politique."
Un excellent livre de vulgarisation.
Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ?, Catherine Vidal, Éditions le Pommier 2012, 56 pages passionnantes.
Découvert grâce à l'émission Les savantes sur France inter, le samedi à 10h clic.
J'attends avec impatience la sortie en septembre de ce livre:
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : catherine vidal
08/08/2017
Nuit
Après Glacé, qui avait vu la rencontre du flic toulousain Martin Servaz et du psychopathe Suisse Julian Hirtmann, Bernard Minier poursuit les aventures de ses héros dans ce nouvel opus, après Le cercle et N'éteins pas la lumière.
Le récit commence sur une plate-forme pétrolière norvégienne dont une technicienne a été assassinée. L’inspectrice locale Kirsten Nigaard découvre sur place , dans les affaires d'un technicien manquant à l'appel, des photos de Martin Servaz, ainsi que celles d'un enfant prénommé Gustav.
Kirsten se rend donc en France pour prévenir Servaz.
De rebondissements en assassinats, sans oublier quelques manipulations, Bernard Minier nous balade jusqu'en Autriche où le psychopathe et le flic toulousain vont s'affronter.
Un roman qui nous prend par la main, nous balance pas mal de statistiques (pour mieux faire oublier quelques invraisemblances ?) mais qu' on suit sans défaillir ou presque. Une lecture facile, qu'on ne lâche pas, du bon boulot.
Merci à Cathy pour le prêt.
Pas besoin d'avoir lu les précédents romans, on peut très bien" prendre le train en marche".
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : bernard minier
07/08/2017
Les filles au lion
Odelle, originaire des Caraïbes,vit depuis quelques années à Londres, où elle poursuit son rêve de devenir écrivains tout en vendant des chaussures. Le destin va lui donner l'opportunité de travailler comme dactylo dans une galerie d'art pour une femme au tempérament affirmé, Marjorie Quick.
La jeuen fille fait aussi la connaissance de Lawrie Scott, jeune homme charmant en mal d'argent, qui possède un tableau atypique représentant Les filles au lion.
Odelle va mener l'enquête et établir un lien entre Marjorie, le tableau et un peintre Andalou des années trente.
Alternant les chapitres se déroulant dans deux périodes historiques, le roman de Jessie Burton fait la part belle au romanesque, multipliant les coups de théâtre .
Si j'ai apprécié la description des sixties londoniennes (l'auteure n'oublie pas de montrer leur racisme décomplexé), j'ai moins été convaincue par certains personnages de la partie pré guerre d'Espagne, trop caricaturaux à mon goût. En outre, je n'arrive pas à comprendre le choix que fait l'une d'entre elle ,mais bon peut être que je réagis avec une mentalité trop contemporaine.
Déniché à la médiathèque.
Les filles au lion, Jessie Burton, traduit de l’anglais par Jean Esch, Gallimard 2017, 484 pages.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : jessie burton
06/08/2017
Un grand merci à tous et toutes...
...pour votre fidélité et vos bons vœux. ça fait chaud au cœur et on en a bien besoin en ce moment car la canicule est un mot n'appartenant pas à notre vocabulaire dans le Nooord !
Quelques infos en vrac :
* Recalée (pour la deuxième fois )au prix des lecteurs du Furet du Nord, mais sélectionnée pour le Grand Prix des Lectrices de Elle (jury d'octobre). je précise que j'avais envoyé la même critique...Je suis en pleine lecture de la sélection et je peux déjà vous dire qu'une des tendances de la rentrée est de s’emparer de la vie de personnages plus ou moins connus, sous forme d’enquête, de fiction et/ou de mélange des deux. c'est les cas notamment pour les textes suivants :
Comme d'hab', je ne publierai les billets qu'à la date de sortie des ouvrages et non pas en avance.
* adoré la série Feud qui met en scène la rivalité (savamment entretenue par les studios) entre Joan Crawford et Bette Davis sur le tournage de “Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?”. Jessica Lange et surtout ma chouchoute Susan Sarandon sont formidables. En plus, des commentaires permettent de bien resituer le contexte et de comprendre les enjeux pour les actrices en général à cette époque. Les vacheries fusent et c'est génial.
*Beaucoup ri (à ma grande surprise) en regardant le film Sisters. Le genre: on fait la fête et on détruit une maison. genre qui a priori n'est pas ma tasse de thé mais les deux actrices ont une énergie folle et ces deux sœurs très dissemblables mais qui s'adorent et refusent de tirer un trait sur leur adolescence jusqu'à ce que la réalité les rattrape m ont su me séduire. elles osent tout mais tout! On ne fait pas dans la dentelle et parfois ça fait du bien !
06:00 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (12)