07/06/2016
Juliette/Les fantômes reviennent toujours au printemps
"On a un peu l'impression d'être tombé dans une autre dimension.
-Hum...
-Moi j'appelle ça la dimension tragique.
-Oui, c'est tout à fait ça."
Juliette , entre angoisses et hypocondrie non assumées, flirte gentiment avec la dépression. Elle revient dans la ville de province où elle a grandi à la recherche de souvenirs enfuis. Tout a changé, ses parents se sont séparés, la grand-mère perd la tête- mais lâche néanmoins une information concernant un vrai fantôme. Quant à sa sœur aînée, sans doute lasse d'être étiquetée la plus forte, et de porter à bout de bras un mari -dont la nouvelle lubie est de fabriquer des flans -deux enfants et le reste de la famille ,tout en faisant des ménages et en ménageant les susceptibilités de chacun, elle a pris un amant qui se déguise ,entre autres, en fantôme.Mais elle n'attend rien de cette relation, qu'elle entend bien rester dépourvue de tout sentiment.
On ne s'est jamais beaucoup parlé dans cette famille où les rôles étaient figés, mais en ce printemps tout va bouger, au moins un peu.
Camille Jourdy prend son temps pour installer ses personnages en apparence "ben ordinaires" mais tous gentiment décalés. Leurs vies banales gagnent en couleurs grâce aux vignettes qui sont autant de petits tableaux pleins de fraîcheur et de vie. Les scènes de nudité adultères dans la serre évoquent des tableaux de Botero et prennent des allures de paradis avant la faute, ce qui est un sacré décalage !
L'autrice et dessinatrice est pleine d'empathie pour ses personnages, y compris les figurants qu'elle croque avec autant de tendresse que ses personnages principaux. Ainsi les habitués du café, dont deux charmantes vieilles dames à chiens, nous donnent-ils envie d'aller avec eux faire une partie de fléchettes.
Il ne se passe pas grand chose en apparence, juste la vie, dépeinte avec justesse. On aimerait juste que la vie ait les couleurs de l'univers de Camille Jourdy.
06:00 Publié dans BD | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : camille jourdy
06/06/2016
Lorette
"En endossant la tunique des lettres de Laurence voici ce que je choisis : la vie poétique, la vie spirituelle, c'est à dire l'amour."
Prénommée Laurence à la naissance, ayant signé pendant vingt ans ses romans du prénom de Lorette, l'auteure de La démangeaison se réapproprie son prénom initial, pour mieux renaître.
Serait-elle une girouette soumise aux vents de ses caprices ? Que nenni. Elle pose ici un geste fort dont elle s'explique avec son intensité coutumière au long de ses 112 pages.
Quand l'écriture, les mots, "les lettres du nom vrai" touchent autant à la vie,au corps, on ne peut que souligner la démarche de vérité dans laquelle s'inscrit l'autrice.
De son écriture à la fois mystique et poétique, Laurence Nobécourt poursuit une œuvre intimement mêlée à sa vie, à la vie.
Lorette, Laurence Nobécourt, grasset 2016
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : laurence nobécourt
05/06/2016
11 nouvelles supplément à "le un"
"Je n'arrive pas à comprendre l'obsession de rattacher un écrivain à son lieu d'origine. Il est de l'endroit où il est né, mais s'il écrit c'est pour être ailleurs. Comme on lit aussi pour voyager. Les polices du monde voudraient avoir l'adresse où se rendent tous ces écrivains et lecteurs afin de les empêcher de revenir. Éliminer d'un seul coup tous les rêveurs, un vieux rêve du pouvoir. Personne n' a jusqu'à présent pipé mot à propos de ce lieu invisible à ceux qu'un pareil début ne remue de toutes les fibres de leur être: "Il était une fois..." Le seul indice qu'on a de l'existence d'un tel lieu est ce petit dialogue surpris entre un écrivain et un lecteur:
-d'où venez-vous ?
-De nulle part.
-Joli coin."(Dany Laferrière)
Déniché par hasard sur une table de ma librairie préférée, ce petit recueil de nouvelles inédites, hors-série de Le Un , édité en partenariat avec France 5 et la Grande Librairie est un pur concentré de bonheur !
Placé sous le thème de l'ailleurs, ces textes offrent à des auteurs aussi dissemblables que Nancy Huston, Erri de Lucca, Marie-Hélène Lafon, Leïla Slimani, Irène Frain, Dany Laferrière, Michel Quint, William Boyd, Patrick Grainville ou Tahar ben Jelloun l'occasion d'explorer leur géographie, intime ou non, de cet autre part multiforme.
Irène Frain, partant du territoire de l'enfance, est la première à cartographier avec précision les catégories enfantines, hiérarchisées avec finesse"pour appréhender l'espace", plaçant en haut de son hit-parade personnel cet ailleurs longtemps repoussé et qui déclenchera, elle le découvrira a posteriori, son écriture. Une source inépuisable de liberté car "l'ailleurs est en moi."
L'héroïne de Marie-Hélène Lafon le trouve quant à elle dans un bois , dans une promenade devenue un rituel qui la ressource et dont elle emporte les bénéfices.: "on n'a pas de mots pour ça, elle n'en a pas, elle sait seulement que le silence du bois lui traverse le corps, c'est une affaire de corps." Un bois comme une source d'énergie, liée aux bêtes, quelque chose qui "vous prend au corps, et ne vous lâche plus, vous cueille et vous arrache, vous caresse et vous broie, vous remue, vous retourne. On n'a plus qu'à se laisser faire, ou à s'en aller."
à l'obscurité du bois s'opposent la lumière éblouissante et flamboyante de la nouvelle de Patrick Grainville évoquant le musée Picasso d'Antibes et les destinées qui se sont croisées en ce lieu. Si William Boyd nous emmène découvrir les Brésiliens et la musique brésilienne, Erri de Luca, quant à lui, parti chercher la tombe de Borges, découvrira sa maison et les traces de toutes une génération massacrée.
Si le héros de Tahar Ben Jelloun vit une expérience hors du commun dans le désert, point n'est besoin d'aller aussi loin pour Leïla Slimani, une simple rêverie suffit. Ou bien comme dans le texte de Michel Quint une microbrasserie en face de la gare de Lille.
Terminons avec Nancy Huston, qui, forte de ses multiples dépaysements, évoque les dysfonctionnements de nos vies à un vieil Indien imaginaire et brosse un portrait sans concession de nos sociétés. La dernière phrase de son texte offre une parfaite conclusion : "En somme, plus je voyage, moins j'ai de repères , de fierté, de certitudes."Se dépayser" de cette manière-là est une grande leçon philosophique. Pas rassurante pour deux sous, mais édifiante.
Je vous le recommande."
Pour 5,90 euros, on aurait tort de s'en priver !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : le un
04/06/2016
Dites aux loups que je suis chez moi
" J'avais besoin de savoir que ma mère comprenait qu'elle aussi avait sa part de responsabilité dans cette histoire. Que toute la jalousie et la honte que nous portions en nous étaient notre maladie propre. Une maladie aussi grave que le sida de Fin et Toby."
Milieu des années 80, États-Unis, une maladie encore mal connue frappe Finn, peintre de talent . Son dernier tableau représente les deux filles de sa sœur: June ,adolescente écrasée par la forte personnalité de son aînée, Greta.
à l'enterrement de l'artiste apparaît son compagnon , Toby, violemment rejeté par la sœur de Finn, mais avec lequel June va nouer une relation complexe, tissée de jalousie et d'affection , pour retrouver, même partiellement ,le parrain qu'elle adorait.
Avec ce premier texte, Carol Rifka Brunt nous propose un roman d'apprentissage sensible et prenant qui évoque de manière très fine les relations fraternelles et sororales, à l'adolescence, mais aussi à l'âge adulte. Elle crée une atmosphère particulière, ouatée, évoquant le monde secret de June qu’elle s'est créé dans un bois où l'on entend hurler des loups, les secrets des adolescentes, délaissées par des parents aimants mais trop pris par leur travail, et aussi, par petites touches la honte et les peurs qui entachent le sida.
Un texte qui vous prend tout de suite par la main et qu'on ne peut lâcher.
Dites aux loups que je suis chez moi, Carol Rifka Brunt, traduit de l'anglais (E-U) par marie-Axelle de la Rochefoucauld, Buchet Chastel 2015, 492 pages qui auraient peut être gagné à être un peu élaguées parfois.
- 10/18 2016
"
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : carol rifka brunt
31/05/2016
Je suis si bien ici sans toi
"On aime les gens. Et ils nous déçoivent. Mais pas toujours. Parfois ils continuent à nous aimer indéfectiblement , dans l'attente qu'on ouvre les yeux et qu'on réponde à leur affection.C'est comme un "je t'aime. je t'ai toujours aimé."
Richard, artiste anglais a épousé une française très belle et très intelligente, Anne-Laure. Ils ont une petite Camille de cinq ans et vivent à Paris. Le paradis donc. sauf que Richard ne se remet pas du départ de sa maîtresse (hou, le vilain) et qu'évidemment sa femme a découvert le pot aux roses. Pour tout gâcher, Richard a vendu un tableau "L’ours bleu" un symbole important pour son couple.
Dans l'espoir de reconquérir sa belle, le voilà donc parti en Grande-Bretagne à la recherche du tableau, mais peut être aussi des secrets de l’amour qui durent.
Courtney Maum, qui fait de Paris un personnage à part entière et sait exploiter le caractère romantique de cette ville, parvient même à ne pas rendre Richard totalement antipathique. En dépit de quelques longueurs, cette comédie romantique est attachante,par ses personnages principaux ou secondaires. Mention particulière pour ces vieux couples à qui l'artiste tente d'extorquer les secrets de durée de leur couple. Une bonne idée de lecture pour les vacances.
Je suis si bien ici sans toi, Cortney Maum, traduit de l’américain par Sophie Troff, éditions Rue Fromentin 2016, 328 pages pétillantes.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : courtney maum
30/05/2016
Blonde à forte poitrine
"Changer de corps pour changer de vie. Depuis ses débuts, c'est en modifiant son aspect physique qu'elle a forgé son destin."
Fantasme par excellence, la Blonde à forte poitrine draine à la fois des idées de candeur et de luxure. Cette synthèse improbable, l'héroïne de Camille de Peretti la réussit pour son plus grand malheur.
S'inspirant du destin d'Anne Nicole Smith, bimbo qui épousera un sugar daddy millionnaire quasi nonagénaire, l'autrice dissèque ici le destin d'une femme emblématique qui, manipule un corps qui en fait jamais ne lui a appartenu,car elle lui a fait subir de nombreuses violences pour l'adapter aux désirs masculins. D’éprouvantes descriptions d’opérations de chirurgies esthétiques nous font bien prendre conscience que ces actes n'ont rien d'anodin et entraînent des conséquences à plus ou moins long terme.
La tragédie file à toute allure, décrivant les multiples facettes d'une femme qui avait tout à la fois besoin de protéger ses enfants et de se faire protéger elle-même mais,victime de son physique, s'y est prise d'une manière fort dangereuse.
Un roman prenant qui dépasse largement le cadre de l'anecdote et peut s'appliquer à d'autres blondes à fortes poitrines. Un bon moment de lecture.
Blonde à forte poitrine, Camille de Peretti, Éditions Kero 2016.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : camille de peretti
28/05/2016
Les adieux pour débutant...en poche
"Nous n'avons jamais réussi à devenir un couple semblable aux autres.Nous aurions dû prendre des cours, suivre une formation quelconque, voilà ce que je me dis."
Légèrement handicapé, Aaron est passé de la coupe de sa mère à celle de sa sœur. Son mariage avec Dorothy a donc été une bouffée d'air pur. Malheureusement, le décès brutal de son épouse va laisser Aaron désemparé.
Au tout début du roman, Dorothy est revenue d'entre les morts lui tenir un peu compagnie. Rien d'étrange à cela aux yeux d'Aaron qui s'étonne bien au contraire des réactions ou plutôt de l'absence de réactions des autres.
Remontant le temps, le veuf va réexaminer son mariage et parviendra progressivement à aller de l'avant , comme si la réapparition de sa femme était une étape obligée avant leurs adieux définitifs.
Un roman sans pathos, au plus près du quotidien, qui, tout en douceur, apprivoise la disparition.
le billet de Papillon qui m'avait donné envie de renouer avec cette autrice que j'ai beaucoup lue autrefois (mais pas chroniquée) clic.
De la même autrice, clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : anne tyler
27/05/2016
Elle
Peut-on sortir d'un film commençant par le viol d'une femme quinquagénaire vu à travers les yeux de son chat avec la pêche ?
Oui. Aussi surprenant que cela paraisse ce personnage de Michelle, interprété par la frêle et unbreakable Isabelle Huppert, ne réagit jamais comme on s'y attend. Elle affirme avoir l'habitude des fous et au vu de son parcours, découvert au fil de confidences faites à de quasis inconnus au fil de la narration, on veut bien la croire.
Toutes les zones d'ombre ne seront pas éclairées, et c'est tant mieux, mais en aucun cas Michelle , comme les autres femmes du film d'ailleurs, ne sera une victime. Les hommes, eux, n'ont pas la part belle, faibles, égocentriques, violents, le réalisateur ne les épargne pas n'hésitant pas à nous montrer le violeur dans une attitude triviale, les fesses à l'air en train de remonter son collant ! Le sourire affleure à plus d'une reprise dans ce film qui brouille sans cesse les tonalités.
Ce décalage permanent entre ce à quoi nous nous attendons, ce qui arrive, nous désoriente et nous permet d'admirer toute l'étendue du jeu d’Isabelle Huppert dont Gérard Depardieu a dit dans une interview que c'est un char d'assaut. Dont acte dans ce film de Paul Verhoeven où le sourire d'Huppert est aussi insaisissable que celui du chat du Cheshire. un grand coup de cœur !
Le film est inspiré du roman de Philippe Djian, Oh ! clic.
16:44 Publié dans je l'ai vu ! | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : paul verhoeven
25/05/2016
L'année pensionnaire
"Un pensionnat est une institution forte parce qu’en un sens, il est fondé sur le chantage et on y cède."
Fréquentant un pensionnat de jeunes filles au pied des Pyrénées depuis l'âge de sept ans, la narratrice, âgée de quatorze ans, en connaît les codes et les usages par cœur. Elle croyait n'avoir rien à espérer de cette rentrée scolaire quand elle découvre une nouvelle venue, Attalie. Cette dernière, semblant indifférente à tout, lestée d'un passé qui la singularise, devient aussitôt un objet de fascination éperdue.
Raconté à quarante ans de distance cette Année pensionnaire , marquée par la mort,est d'abord un roman d'atmosphère, empli de solitudes qui se frôlent dans un pensionnat glacial , exsudant une "stagnation"où les jeunes filles ont "engluées". Pas d'épanouissement ici mais la prolongation "presque jusqu’à la démence d'une enfance sénile." On se croirait plus au XIX ème siècle que dans les années 70 !
La narratrice, dont nous ne connaîtrons le prénom qu'à la toute fin du texte, porte un regard acéré à la fois sur ses parents qui "n'avaient de parents que la fonction, deux inscriptions joliment manuscrites à la plume, face à face dans un livret de famille: mais il fallait tourner la page pour me voir apparaître, derrière, au verso-cachée aux regards, une présence héritée et peu désirée.", sur le manque de solidarité et la cruauté des pensionnaires envers les plus faibles. Cruauté dont elle ne sera pas exempte.
Il se dégage de ce roman un sourd poison qu'il faut prendre le temps de siroter et de laisser agir. 139 pages maîtrisée, denses, et que je n'oublierai pas de sitôt ! Un grand coup de cœur !
Merci à l'éditeur et à Babelio.
L'année pensionnaire, isabelle Lortholary, Gallimard 2016.
Lu dans le cadre de Masse critique.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : isabelle lortholary
23/05/2016
Non exclusif
"-Je ne t'ai pas menti. Je t'ai dit que je n'avais rien dans ma vie qui puisse m'empêcher d'avoir une relation et c'était vrai."
Laure, à quelques heures de partir en week-end , apprend incidemment que Vincent, son nouvel amoureux, est déjà en couple avec Anne, une peintre. Pour la quadragénaire, le choc est rude. Elle appelle celui qui, estime-t-elle, l'a trahie et ils décident de se laisser une quinzaine de jours avant de se revoir.
Laure ignore encore ce qu'elle va faire, mais les conseils de sa vieille voisine pourront l'aider à y voir plus clair.
Situation digne d'une vaudeville ? à première vue, oui .Mais Catherine Charrier a le chic pour dynamiter les clichés et son héroïne est d'une trempe telle qu’elle saura analyser la situation sans préjugés et l'affronter avec énergie.
Pour elle, Vincent n'a rien d'un Don Juan et son histoire personnelle peut expliquer son comportement. Il n'en reste pas moins que Laure souffre et que certaines de ses décisions auront des conséquences sur plus d'une vie.
J'ai beaucoup aimé ce portrait de femme et les réflexions très pertinentes qui l'émaillent, tant sur la vie amoureuse que sur la vie professionnelle de Laure.
Finesse psychologique, récit mené tambour battant, écriture précise et efficace, Catherine Charrier confirme ici tout le bien que je pensais déjà d'elle !
Non exclusif, Catherine Charrier, Éditions Kero 2016.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : catherine charrier