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04/11/2016

Le livre des songes

"Dans la lumière faiblarde, son visage paraissait étrange. Un instant, j'eus l'idée qu'elle pouvait être quelqu’un qui faisait semblant d'être ma mère et pas ma vraie mère du tout."

jenny offill

Grace Davitt, huit ans, la narratrice de ce singulier roman, nous entraîne dans le monde onirique qu'elle s'est construit.
Son père, professeur de chimie, tente d'instiller un peu de rationalité dans l'esprit de sa fille, mais ne peut lutter contre son épouse , Anna, ornithologue qui nourrit Grace de récits fabuleux. Il finira par fuir le domicile conjugal.
Ne fréquentant plus l'école, la petite fille suit sa mère dans son univers, sans se rendre compte immédiatement que celle-ci s'enfonce progressivement dans la folie.
Vue à travers les yeux d'une enfant qui manque de points de repères pour jauger efficacement l'attitude de sa mère, le récit captive le lecteur et le trouble.
Si la fin est un peu décevante, l’expérience n'en reste pas moins à tenter.

Le livre des songes, Jenny Offill, traduit de l’anglais (E-u) Par Édith Odis, Calmann-Levy 2016.

jenny offill

03/11/2016

Une famille trop parfaite

"Pourquoi j'ai accepté docilement de devenir...personne."

Une jeune mère de famille, Olivia Brookes, et ses trois enfants ont disparu.L'inspecteur Tom Douglas, chargé de l'enquête, se rend vite compte qu'Olivia a déjà été liée dans le passé à d'autres disparitions inexpliquées. En outre, si le mari paraît sincèrement éploré, il n'en reste pas moins qu’une atmosphère particulière règne dans cette maison cossue...rachel abbott
Roman d'une  emprise amoureuse qui tourne à l'obsession meurtrière, Une famille trop parfaite est un récit haletant qui multiplie les rebondissements (parfois un peu trop) et ne ménage pas son lecteur.
On sent un grand souci de véracité et ,même si l'héroïne m'a paru parfois un peu agaçante, j'ai dévoré ce roman d'une traite sans pouvoir le lâcher.
Un thriller efficace qui donne envie de visiter les îles anglo-normandes.

Une famille trop parfaite, Rachel Abbott, traduit de l'anglais par Murie Levet, Belfond 2016.rachel abbott

02/11/2016

Les petites reines

"- Mais comment tu peux avaler ça, toi, d'être élue Boudin du lycée Marie-Darrieussecq ? C'est dur...C'est vraiment dur quand même.
-Oh, je dispose d'une capacité de détachement surhumaine. je sais que ma vie sera bien meilleure quand j'aurai vingt-cinq ans; donc , j'attends. J'ai beaucoup de patience.[...]
Bon, sauf quand je suis un peu crevée, ou que j'ai mes règles ou un rhume; dans ces moements-là, OK, il peut arriver que je perde de mon imperméabilité."

Loin de se lamenter sur leur sort, les trois "Boudins "du Lycée de Bourg-en Bresse, alias Mireille, Astrid et Hakima, vont se lancer dans un périple à vélo qui les mènera jusqu'à la garden -party du 14 juillet à l’Élysée , où elles ont bien l'intention de s'incruster, chacune avec un objectif différent.
Comme elles ont le sens de l'autodérision, elles ont décidé pour financer leur expédition de vendre du boudin...clémentine beauvais
Progressivement, cette expédition va prendre de l'ampleur sur les réseaux sociaux, dans les médias et dépasser un peu ces jeunes filles auparavant ostracisées.
Avec un humour décapant, une pointe de féminisme, Clémentine Beauvais traite d'un sujet grave sans pour autant tomber dans les pièges inhérents à ce thème : la récupération de la transformation des corps de ces trois" boudins" (faites du sport, vous maigrirez) ou l'optimisme à tout crin.
Il se dégage de ce roman une belle énergie et l'écriture dynamique et imagée de Clémentine Beauvais contribue au plaisir de la lecture. Pas étonnant que ce roman soit couvert de prix ! Un grand coup de cœur, déniché à la médiathèque.

Les petites reines, Clémentine Beauvais, Éditions Sarbacane 2015, 270 pages toniques.

 

01/11/2016

Un membre permament de la famille

"Ils ne sont pas inquiets pour Ventana: maintenant qu'on l'a filmée pour la télé, elle a accédé à un autre niveau de réalité et de pouvoir, un niveau plus élevé que le leur."

De la permanence, voilà bien ce qui manque , entre autres, aux personnages des douze nouvelles de ce recueil de Russell Banks.51SuN4nW0DL._SX310_BO1,204,203,200_.jpg
Saisis à des moments où leur vie vacille de façon ténue ou plus dramatique,l'auteur sait capter,toujours avec bienveillance, mais avec une lucidité extrême, les moindres oscillations de leurs sentiments.
Qu'il dépeigne les non-dits qui se révèlent dans une réunion d'artistes et d'intellos , l'effritement d'une famille entériné par un deuil imprévu,les espoirs d'une femme noire modeste ou les glissements de personnalité d’une femme rencontrée par hasard, il règne toujours dans ces textes une grande tension qui tient le lecteur en haleine, l’entraînant même parfois ( ce fut mon cas, en tout cas) à différer la lecture d'un texte, en l'occurrence, "Blue".
Un style magistral ,des récits d'une grande intensité dramatique font de ce recueil une totale réussite !

Et zou,sur l'étagère des indispensables !

Un membre permanent de la famille, Russell Banks,nouvelles traduites de l 'américain par Pierre Furlan  Babel 2016.

31/10/2016

Truismes

"Je me suis demandé ce que j'aimais le plus, les racines ou la parfumerie."

Ayant fait étudier à mes élèves le début de La métamorphose de Kafka, j'ai décidé , dans la foulée, de relire Truismes de Marie Darrieussecq ,que j'avais lu à sa sortie en 1996.

Truismes est le récit à la première personne d'une métamorphose. Celle d'une jeune femme, employée en parfumerie qui devient progressivement une truie. Le récit est fait a posteriori, ce qui permet à la narratrice d'analyser les faits avec du recul, recul limité vu son manque d'éducation( n'oublions pas qu'un truisme est une vérité banale).marie darrieusecq
En même temps que le corps de la jeune femme change, la société évolue aussi et se dérégule progressivement tant au niveau économique (le monde du travail en particulier), politique (régime de plus en plus autoritaire) et social (paupérisation des couches laborieuses, enrichissement des élites). Quant à la sexualité, elle est sans frein pour ceux qui détiennent un pouvoir.
D'emblée, la mainmise sur le corps féminin est posée avec cette scène d'entretien d'embauche où l’héroïne accepte sans broncher  les services sexuels jamais identifiés clairement mais qu'elle laisse deviner et qualifie par exemple de "besogne". Au fil du roman, elle ira de plus en plus loin dans ce type de services , sans que rien ne soit décrit , mais la suggestion n'en sera que plus forte quant aux violences subies et aux tentatives de limites qu'elle pose.
En ce qui concerne la métamorphose proprement dite, elle est fluctuante,évoquée par petites touches, même si l’héroïne tente de la maîtriser, oscillant sans cesse entre l'univers humain et celui de l'animal.
J'ai pris beaucoup de plaisir à cette relecture, grâce au style elliptique et efficace.J'ai même trouvé que la société décrite avait de plus en plus de points communs avec la société contemporaine., ce qui n'est guère rassurant .

Truismes, Marie Darrieussecq, folio 2014.

 

29/10/2016

Une part de ciel...en poche

"-Tu te souviens trop, Carole. Il faut te dépolluer de tout ça."

Curtil, le père "pigeon-voyageur" a, une fois, de plus envoyé une boule de verre à ses trois enfants pour annoncer son retour. Sans fixer de date, bien sûr.
Mais les enfants sont maintenant adultes et chacun réagit de manière différente à cette convocation. Carole, la seule à avoir quitté  sa vallée natale dans la Vanoise, revient s'y installer provisoirement, en profitant pour effectuer un travail de traduction sur la vie de l'artiste Christo. Elle renoue peu à peu avec les paysages et personnages hauts en couleurs de son enfance ainsi qu'avec sa sœur Gaby, qui travaille à l'hôtel et vit dans un bungalow, attendant le retour de son homme. Quant à leur frère, Philippe, garde-forestier, il tente de préserver sa vallée. claudie gallay
Carole est l'élément perturbateur de ce roman de l’attente et du souvenir. Elle seule veut revenir sur un incendie qui a bouleversé leur enfance et influé durablement sur leur vie.
Claudie Gallay excelle à peindre cette atmosphère d'une vallée comme coupée du monde que certains ne voudraient pas voir évoluer vers l'avenir. Elle peint avec finesse les relations fraternelles, les silences, les non dits, tout ce qui est prêt à se rejouer par delà les années. On se glisse avec bonheur dans ce roman-cocon qui nous enveloppe durablement tant il est riche d'humanité et de bienveillance. Un coup de cœur !

Une part de ciel, Claudie Gallay, J'ai lu 2016.

 

 

28/10/2016

Le monde est mon langage

"J'ai longtemps cru que le français était une langue de l'emportement, de l'irascibilité et surtout celle de ceux qui voulaient à tout prix avoir raison."

Dans ce recueil, Alain Mabanckou revient sur les rencontres d'écrivains ou d'inconnus qui ont jalonné sa vie. Écrivain de langue française né au Congo, il revient ainsi dans un exercice d'admiration et de bienveillance sur tous ceux qui ont contribué à lui faire aimer la langue française. On le suit au fil de ses pérégrinations, un petit carnet à la main, histoire de noter au passage tous ceux qu'il nous revient de découvrir tant les écrivains(e)s francophone sont divers et plutôt méconnus en France.

alain mabanckou


Une balade très agréable , riche en découvertes.

Le monde est mon langage, Alain Mabanckou, grasset 2016.alain mabanckou

27/10/2016

J'ai vu un homme...en poche

"Aucun de leurs choix n'avait été malintentionné. Et cependant, leur combinaison avait engendré plus d'obscurité que de lumière."

Pourquoi Michael Turner explore-t-il la maison de ses voisins en leur absence ? Voilà à peine sept mois qu'il s'est installé à Londres et très vite, il est entré dans l'intimité des Nelson, une sympathique petite famille.
Différant la réponse à cette question, le récit remonte le temps ...owen sheers
Michael peine à se remettre du décès de sa femme, Caroline, journaliste tuée au Pakistan. Il n'est pas le seul : le commandant Mc Cullen ,responsable de cette mort, semble lui aussi perturbé par ce cadavre de trop et l'américain qui ne supporte plus d'être "dissocié de ses actes" , a bien l'intention d'agir et d'assumer les conséquences ,par-delà les frontières ,d'une décision prise sans états d'âme.
Owen Sheers , dès la première phrase de son roman, instaure un malaise qui ira s'amplifiant et perdurera même quand sera identifié "l'événement qui bouleversa leur existence". En effet, les liens , bien plus complexes qu'il n'y paraît à première vue, entre les différents personnages, vont les entraîner dans des chemins très tortueux .
Remords, conflits de loyauté, culpabilité sont analysés avec finesse et sensibilité. La narration est extrêmement efficace, le lecteur se perd en conjectures sur la nature de cet événement avant de rester le souffle coupé.Le récit,ponctué de réflexions sur l'écriture (Michael est écrivain), gagne encore en profondeur et crée même peut être une mise en abyme, comme semble le suggérer la dédicace...
Un roman qui nous ferre d'emblée et qu'on ne lâche pas car il allie , et c'est rare, qualité de l'écriture et subtilité de la narration. Du grand art !
Il y avait la page 51 de David Vann il y aura maintenant celle d' Owen Sheers (je me garderai bien de vous donner sa numérotation !)

J'ai vu un homme, Owen Sheers, traduit de l'anglais par Mathilde Bach, Rivages 2015, 351 pages insidieusement addictives. Rivages poche 2016

Et zou, sur l'étagère des indispensables! Nuits blanches en perspective !

Une dernière citation pour la route :" Une histoire qui n'est pas racontée , dit-elle en le pointant d'un doigt accusateur, c'est comme une décharge. Enfouis-la tant que tu veux , elle finira toujours par refaire surface."

 

26/10/2016

La revanche de Kevin...en poche

"-Il y a des prénoms prédestinés aux pires beaufitudes, dit Olivier."


Iegor Gran partant de la vague de Kevin qui a déferlé en France dans les années 90 et des connotations négatives qui s'y sont aussitôt attachées :"Un marqueur social de la médiocrité crâne car on croit savoir quelles familles sont suffisamment sottes pour se laisser dicter leur vie par l'Amérique et Hollywood." imagine donc un Kevin doublement traumatisé.

iegor gran


En effet, ce dernier évolue dans le monde de la Radio où il n'occupe qu'un emploi vaguement méprisé, car sans aucun lien avec l'écriture dont se gargarise ses collègues. De plus, il est persuadé que parce qu'il porte ce prénom, par lui honni, tout le monde le déconsidère a priori. Prédiction auto réalisée ? Préjugés liés au prénom ? Toujours est-il que notre héros va décider de se venger en s'en prenant au monde des Lettres.
L'analyse du prénom Kevin et des préjugés qui lui sont liés nous vaut quelques morceaux de bravoure fort réjouissants et sa vengeance, cruelle, est elle aussi très réussie. Là où l'intrigue s'affaiblit c'est que l’auteur a jugé bon de s'embarrasser d'"un canular ricochet de canular" sans réelle efficacité. Quant aux interventions de sa presque belle-mère ,à vocation humoristique, elles tombent à plat et plombent le roman par un salmigondis supposé imiter le langage populaire.
Tout cela reste bien léger...

La revanche de Kevin, Iegor Gran Folio 2015, 198 pages.

 

25/10/2016

Songe à la douceur

"C'est frêle,
ces jeunes personnes tellement éblouies par le jour
          qu'elles ne se sont pas apprêtées pour la nuit."

Un roman en vers libres qui dépoussière et revisite Eugène Onéguine avec une couverture rose bonbon pleine de fioritures ? Ce n'était pas gagné d'avance en ce qui me concerne, même si je n'avais jamais lu le roman de Pouchkine ni vu l'opéra de Tchaïkovski.
Et pourtant , une fois commencé, je n'ai pas pu lâcher ce roman destiné aux jeunes adultes (mais pas que).
L'histoire ? Une jeune femme, Tatiana, à l'aube d'entrer dans la vie adulte, rencontre fortuitement Eugène, celui dont elle était tombée amoureuse quand elle avait quatorze ans ans et lui trois de plus. Dix ans plus tard, Eugène est-il toujours aussi désenchanté et cynique ? Les amours adolescentes avortées peuvent-elles renaître de leurs cendres ?clémentine beauvais
On craint le pire et c'est le meilleur que l'on découvre tant Clémentine Beauvais se penche avec empathie que ses héros, les décrivant sans mièvrerie mais avec une acuité non dénuée de poésie. La sensualité est-elle aussi présente, sans tomber pour autant dans l'impudeur et la tragédie qui touche un des personnages est évoquée avec délicatesse.
Un exercice d'équilibre improbable parfaitement réussi dont la forme renforce le plaisir: intertextualité (des vers célèbres s'insèrent au fil du texte) des calligrammes et des interventions de l'auteure viennent encore ajouter au plaisir de lecture. On sort de là avec des étoiles dans les yeux, ravi que la fin évite les clichés du genre. Un grand bonheur de lecture dont on aurait tort de se priver.


Et zou sur l'étagère des indispensables !

 

Songe à la douceur, Clémentine Beauvais, Sarbacane 2016 , 239 pages à savourer !

L'avis de Noukette qui envoie vers d'autres billets enthousiastes.