18/01/2017
Nue sous la lune
"J'étais ton inséparable jouet, ton yo-yo, et tu me maniais à la perfection."
Une femme a tout abandonné, son talent de sculpteur en particulier, pour se mettre au service, dans tous les sens du terme, d'une sorte de géant de la sculpture. Ce dernier, à la tête d'une communauté artistique où il accueille ses disciples, règne sans partage sur son cœur et son corps.
De cette emprise, elle tente de se défaire au début du roman.
Récit à la première personne, Nue, sous la lune, est un texte à la fois fiévreux et maîtrisé où une femme analyse avec minutie son enfermement volontaire dans une relation toxique. Il est parfois difficile de faire prendre la mesure de tels liens mais Violaine Bérot, en 118 pages denses , y parvient avec brio.
Nue, sous la lune, Violaien Bérot, Buchet-Chastel 2017, 118 pages piquetées de marque-pages.
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17/01/2017
Garder la tête hors de l'eau
"C'était ma faute. Pourquoi est-ce que je l'avais écouté ? Et pourquoi est-ce que je l'écoutais tout court ? Il avait failli assassiner mon premier béguin, il m'avait diagnostiqué un problème oculaire imaginaire, et il avait l'art des plans foireux et des catastrophes."
Nicolaïa Rips a grandi entre une mère ancienne mannequin, voyageuse intrépide sédentarisée, métamorphosée en peintre reconnue et un père avocat devenu romancier, spécialiste en catastrophes (cf la citation supra) dans le Chelsea Hotel.
Si dans les années 2000, les célèbres résidents de ce lieu mythique ont mis les voiles depuis longtemps, il n'en reste pas moins que cet endroit est toujours fréquenté par une faune haute en couleurs et surtout bien plus chaleureuse que les camarades de classe , bien trop conventionnels de l'auteure.
Ces derniers lui mènent la vie dure et il faut tout l'humour de la jeune fille pour Garder la tête hors de l'eau, ainsi que des moyens forts peu conventionnels, suggérés par ses parents et amis du Chelsea Hotel.
Une autobiographie échevelée, extrêmement drôle, enlevée, qui se dévore d'une traite. Nicolaïa Rips a dix-huit ans et on lui souhaite volontiers un bel avenir dans le domaine artistique.
Garder la tête hors de l'eau , Nicolaïa Rips,Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Dutheil de la Rochère, Fayard/Pauvert, 312 pages.
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16/01/2017
Génération
"Le mariage est une tombe pour la femme."
Centré sur le printemps et l'été 2010, Génération est un roman choral qui évoque aussi le passé (1958), 2016 et se projette même en 2027, un peu difficile à résumer sans en révéler trop.
Ses personnages sont variés mais ont souvent comme point commun d'avoir quitté leur pays d'origine, de façon provisoire ou définitive. L'une des héroïnes est une irlandaise, Aine, qui envisage de s'installer dans une ferme bio au cœur de l'Illinois, pour travailler gratuitement , échapper à sa vie étriquée de femme divorcée. Tant pis si elle ne connaît que trop superficiellement Joe, le propriétaire de la dite exploitation, qui se révèle beaucoup moins avenant que prévu , voire potentiellement dangereux.
Avec subtilité, Paula Mc Grath tisse des liens entre les époques et les personnages, sans jamais perdre son lecteur en route. On s'attache immédiatement à chacun d'eux, parfaitement croqué, on a plaisir à les retrouver au fil du texte et à constater leur évolution. L'écriture est précise et,pour un premier roman, on ne peut qu'admirer la perfection de la narration. Un grand coup de cœur !
Génération, Paula Mc Grath, traduit de l’anglais (Irlande) par Cécile Arnaud, Quai Voltaire 2017, 224 pages addictives.
L'avis enthousiaste de Cuné !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : paula mc grath
15/01/2017
Le cas Malaussène 1 Ils m'ont menti
"Quand il n' y a plus rien à espérer d'une société demeure la création !"
Enfin, la tribu Malaussène est de retour ! C'est avec un plaisir mêlé d'appréhension (allions-nous retrouver la verve, l'humour, la liberté narrative (et lexicale ) enjouée des premiers épisodes ?) que j'ai ouvert cet opus en commençant par le répertoire, histoire de me replonger dans le bain malaussénien. Ensuite, vogue la galère !
Alors, oui, ils sont tous-là et surtout mes favoris : Julius le chien, réduit un peu à la portion congrue mais fidèle au poste et Verdun, qui nous avait valu un morceau d'anthologie, tout nourrisson braillarde qu'elle était et qui, devenue adulte, n'en est pas moins puissante.
L'histoire ? Un affairiste haut en couleurs et fort en gueule (toute ressemblance avec un certain Bernard T. ...) a été enlevé. Benjamin Malaussène, qui cornaque tranquillement un écrivain adepte de la vérité vraie, va évidemment se retrouver mêlé à cette affaire , bien malgré lui.
Benjamin a vieilli, les enfants ont grandi, le monde a terriblement changé et malgré un humour toujours présent, on sent une légère mélancolie, un désenchantement, qui se dégagent de ces pages. ça cavale à toute allure, ça défouraille mais, de on sent bien que notre anti-héros par excellence aimerait bien rester tranquille dans son Vercors...
Un excellent remède à la mélancolie, pour faire la nique à la grisaille ! j'attends déjà le prochain volume avec impatience !
18:55 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : saga malaussène, daniel pennac
14/01/2017
La cache....en poche
"Chacun a essayé de s'échapper à sa manière. Cet espace clos, plongé dans le silence, rétif à tout rituel, iconoclaste et anachronique généra des rangées de boîtes de biscuits, des milliers de planches contact, quelques livres d'histoire et des études sur la phonétique ou les rapports aux autres."
Il faut accepter de se perdre (un peu) dans la chronologie et parmi les membres de cette famille qui, sur deux générations,va transmettre aux siens ses névroses et ses peurs. En effet, l'antépénultième chapitre consacré à l'"Entre-deux" éclaircit ,dans le labyrinthe de cette maison, à la fois refuge et prison, le secret du grand-père du narrateur.
Celui-ci, mettant en scène un faux départ, vivra en effet caché chez lui, en plein Paris, pour se mettre à l'abri des rafles visant les Juifs .
De ce traumatisme lié à l'identité, la famille ne sortira pas indemne, refusant de se séparer, recréant dans la voiture cet espace clos et sécurisant, quand il est impératif de sortir.
Christophe Boltanski, le neveu du plasticien Christian Boltanski, écrivant ce roman-vrai , brosse, à travers le portrait d'une maison qui structure son récit (et devient un personnage à part entière),celui d’une famille hors-normes , à la fois marquée par l'Histoire et par la créativité.
Une expérience qui rend un peu claustrophobe, récompensée, à juste titre, par le prix Femina 2015.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : christian boltanski
13/01/2017
Femme au foyer...en poche
"Je ne suis rien qu'une série de mauvais choix mal mis en œuvre. C'était une accusation à laquelle elle ne pouvait rien objecter."
Expatriée en Suisse alémanique, "Anna était une bonne épouse, dans l'ensemble." La première phrase du roman porte déjà cette restriction, cette fêlure et cette opacité qui caractérisent le personnage de cette américaine ayant épousé un Suisse, vivant avec leurs trois jeunes enfants à l'ombre d'une église qu'elle ne fréquente pas; Femme au foyer , comme un écho "des 3K"( Kinder, Küche und Kirche, que l'on traduit en français par « enfants, cuisine et église », représentation des valeurs traditionnelles dévolues aux femmes durant le IIIème Reich).
Et pourtant comme le lui fait remarquer le Dr Messerli :"Un femme moderne n'est pas obligée de mener une vie aussi étriquée.Une femme moderne n'est pas obligée d’être aussi malheureuse.[...] Anna se sentit rabrouée mais ne répliqua pas."
Ayant fait des études d'économie domestique, qu'elle ne semble guère mettre à profit, Anna trompe son ennui et son malaise en consultant une psychiatre, en suivant des cours d'allemand, et en ayant des relations sexuelles extraconjugales non dénuées de plaisir, mais de toute volonté de sa part ,ou presque.
Elle évolue dans un périmètre très limité, tant dans l'espace que dans la langue, que malgré les années, elle ne maîtrise toujours pas. Anna semble subir et s’interdire toute vérité, toute autonomie.
Placé sous les auspices de ses sœurs en littérature, Emma Bovary et Anna Karénine, le personnage central du roman de Jill Alexander Essbaum ne peut aller que vers la tragédie, programmée dès la première page.
Alors oui Anna pourra sembler agaçante à certains, mais tous les thèmes abordés, la langue poétique et évocatrice de l'auteure, l'opacité des personnages et le malaise diffus qui se dégage de ce texte m'ont séduite au plus haut point !
Et aux pages cornées par Cuné (que je remercie très chaleureusement) s'est ajoutée une flopée de marque-pages (jamais aux mêmes endroits !)
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jill alexander essbaum
12/01/2017
Une femme au téléphone
« Ah, j’en vire des hommes, qu’est-ce que je peux en virer ! j’en ai plein ma corbeille ! »
Une mère laisse des messages sur le répondeur de sa fille. Par le truchement de cette situation de communication perturbée ( autant que la narratrice !) se dessine le portrait d'une femme tour à tour dragueuse sur internet, mère envahissante, qui refuse de vieillir et fait preuve d'un humour, parfois noir « Il faut choisir, le cancer, la phlébite ou la dépression » , dévastateur.On devine très bien, en creux, les réactions des interlocuteurs invisibles et le procédé n’est jamais pesant, bien au contraire.
Les revirements de la mère vis-à-vis de sa petite-fille, ses tentatives de culpabilisation i la mélancolie, la dépression qui s’immiscent entre deux tout cela sonne très juste. L’émotion n'est pour autant pas oubliée, en particulier quand s'amorce une possible inversion des rôles.Ça cavale à toute allure et quand la fin arrive, on est tout étonné et un peu déçu car on aurait bien continué !
Carole Fives nous fait vivre des montagnes russes émotionnelles, c'est rondement mené, brillamment écrit (j'ai surligné à tour de bras) et ce roman file donc directement sur l’étagère des indispensables !
Une femme au téléphone, Carole Fives, Gallimard 2017
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : carole fives, rapports mèrefille
11/01/2017
L'homme est un dieu en ruine
"Les gens ne s’adoucissaient pas avec l'âge, ils se décomposaient, c'était tout, constatait Viola."
Deuxième volet du diptyque de Kate Atkinson consacré à la Seconde Guerre mondiale, L'homme est un dieu en ruine aborde cette fois le destin de Teddy, frère d'Ursula, l'héroïne au centre de Une vie après l'autre.
Pas de variations cette fois autour des possibles d'une existence mais néanmoins un travail d’orfèvre sur la temporalité puisque l'autrice alterne passé et présent , sans jamais perdre son lecteur en route.
Teddy donc qui a vingt ans, en 1940, s’enrôle dans pilote de bombardier et participera à des raids sur l'Allemagne. Teddy qui vivra très longtemps, connaîtra une belle et tragique histoire d'amour, aura une seule fille et deux petits-enfants, aux destins très variés.
J'avoue ne guère être attirée par les récits de guerre mais Kate Atkinson, à son habitude, parvient à nous rendre sensible la bravoure de ces très jeunes gens embarquant dans des avions à la sécurité toute relative, sans pour autant minorer la souffrance des populations civiles victimes de ces bombardements.
L'aspect familial n'est pour autant pas négligé et , par l'intermédiaire de Viola, fille unique de Teddy, baba cool et mère en apparence indigne, elle dépeint avec subtilité les relations compliquées entre parents et enfants au fil du temps. Que Viola devienne une écrivaine à succès n'est certainement pas un hasard, car comme nous l'indique Kate Atkinson, dans sa postface très éclairante, ce roman traite aussi de la fiction.
On retrouve,avec énormément de plaisir, l'humour souvent vachard de l'autrice, sa subtilité et son art de la narration. Un très grand bonheur de lecture !
L'homme est un dieu en ruine, Kate Atkinson, traduit de l'anglais par Sophie Aslanides, Éditions Jean-Claude Lattès 2017.
Oui, les deux tomes peuvent se lire indépendamment et même dans le désordre, pourquoi pas !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : kate atkinson for ever !
10/01/2017
Manuel à l'usage des femmes de ménage
"Quand elle voulait exprimer ce qu'elle ressentait mais que c'était trop dur, elle montrait un poème. En général, son interlocuteur ne comprenait pas."
Un recueil de nouvelles de 560 pages. Deux bonnes raison de fuir ou de pousser des cris d'orfraie ? Oh que non ! Ce serait rater la découverte d'une écrivaine et d'une femme hors-normes, Julia Berlin .
Elle a vécu plusieurs vies dès l'enfance, passant d'une existence choyée et confortable à une vie plus chaotique et sombre, illuminée par des amours passagères et marquée longtemps par l'alcool. Elle a trimé pour élever plus ou moins seule ses quatre enfants, côtoyant les pauvres, les alcoolos, les détenus. Bref tous les laissés pour compte de la société. Son empathie et son humanité sont sans pareilles.
Fi du pathos et des bons sentiments ! Le rythme de sa prose est vif, plein d'énergie. On passe parfois à l'intérieur d'un même texte, d'un narrateur à un autre. On est soufflé par une chute (elle n'en abuse pas pour autant) et souvent on relit pour mieux voir comment elle a opéré pour nous cueillir au creux de l'estomac à retardement, en quelque sorte ,ce qui est encore plus efficace.
La préface évoque l'autofiction, mais on est loin chez Julia Berlin de ce que cette catégorie peut recouvrir en France. Ici les textes sont nourris, irrigués de ce que l'autrice a vécu et on retrouve, au fil des nouvelles, des personnages , on découvre leur évolution, comme si l'on prenait des nouvelles de vieux amis perdus de vue.
L'humour, même s'il est discret, est néanmoins présent et s'il est parfois rude , il peut aussi flirter avec l'absurde ou le cocasse.
Julia Berlin sait en quelques lignes , parfois triviales (parune odeur par exemple) ou violentes, dégager l'essence d'un personnage, le croquer en quelques traits et le faire apparaître, là , sous nos yeux .
Bref, ne vous laissez pas intimider par ces 560 pages , prenez-les plutôt comme l'occasion exceptionnelle, de découvrir à votre rythme une écrivaine puissante et diablement efficace pour nous faire passer à travers toute une gamme d'émotions.
Manuel à l'usage des femmes de ménage, Julia Berlin, magistralement traduit de l’anglais (E-U) par Valérie Malfoy. Grasset 2017
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : lucia berlin
Une vie après l'autre...en poche
"Elle n'avait encore jamais préféré la mort à la vie et au moment de partir comprit que quelque chose s’était fêlé, cassé et que l'ordre des choses avait changé. Puis les ténèbres abolirent toute pensée."
Même si Une vie après l'autre commence par l'assassinat d'Hitler par Ursula, l’héroïne qui est abattue juste après, nous n'avons pas affaire ici à une uchronie.
D'ailleurs Ursula ("petite oursonne", comme l'appelle tendrement son père) naîtra plusieurs fois en février 1910 et mourra tout autant, explorant ainsi le champ des possibles de la narration et du romanesque. On pourrait craindre le côté mécanique du procédé mais le lecteur est vite rassuré: l'écriture, tour à tour enjouée et émouvante de Kate Atkinson et son art du récit ont vite fait de nous ferrer et on ne peut plus lâcher ce roman so british, dans son humour vachard "-Elle lui est reconnaissante, je pense. Il lui a donné le Surrey. Un court de tennis, des amis ministres et du rosbif à gogo. Ils reçoivent énormément-tout le gratin. Certaines femmes seraient prêtes à souffrir pour ça. Même à supporter Maurice." et l'attitude bien trempée de ses personnages !
Et si tel personnage avait survécu, et si tel autre avait eu un enfant que serait-il arrivé ?, se demande -t-on parfois à la lecture d'un roman. Kate Atkinson répond à ses questions pour nous et se penche avec une précision extrêmement vivante sur la vie quotidienne des civils en Allemagne (un sommet d'émotion) et en Grande Bretagne (à Londres ,en particulier ,pendant les bombardements) , pendant la Seconde Guerre mondiale.
On suit avec passion les péripéties de la famille Todd (un ancien mot pour désigner le renard), de l'enfance à l’âge adulte. Des personnages aux caractères bien marqués qui nous deviennent familiers en un rien de temps. Sympathiques ou non, sages ou excentriques, il y en a pour tous les goûts !
Un roman tour à tour champêtre ou urbain,paisible ou menaçant, traversé par des renards ,des chiens, des bébés qui "sentaient bon le lait, le talc et le grand air où leurs vêtements avaient séché tandis qu'Emil avait un léger goût de fumet.", des enfants élevés pour affronter la dureté du monde par des adultes aimants mais frôlant parfois la négligence, selon nos critères actuels !
Impressions de déjà-vu, rêves éveillés, réincarnations, toutes les explications sont envisagées pour expliquer cette propension d'Ursula à vivre des événements de différentes façons. Elles sont surtout l'occasion , pour Kate Atkinson, de revenir sur le thème de la temporalité, déjà exploré dans ses précédents romans, Dans les replis du temps et Dans les coulisses du musée et de nous proposer sa propre explication.
Un roman enthousiasmant autant par son style , sa construction que par les thèmes explorés.Une forêt de marque-pages ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : kate atkinson for ever !