17/10/2011
L'intranquille
"Comme toujours, je ne raisonnais pas comme les autres. J'étais retenu quelque part."
156 pages pour brosser un "autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou." Celui de Gérard Garouste, fils d'un marchand de meubles qui récupéra les biens des Juifs déportés. Un père nocif ,dangereux, un, je cite "salaud" qui saccagera l'enfance de son fils par sa violence et ses mensonges mais aura l'intelligence de le sauver en le faisant partir en pension. Une pension évoquée par Patrick Modiano, un des amis fidèles que se fit Garouste dans cette institution, comme une prison mais que, paradoxalement , le futur peintre vécut comme une libération.
Devenu jeune adulte Gérard Garouste parvient enfin à se concentrer en cours à l'Ecole du Louvre car "je sentais qu'il y avait là une issue, qu'au bout de mes doigts était ma force.".De très belles pages sur la peinture , sa position par rapport à ses prédécesseurs, ses matériaux (il alla jusqu'à créer lui-même ses peintures), sa démarche, sa manière si particulière de peindre. "La suite est une succession de livres et de mots. ils m'ont lavé , récuré même, et ils m'ont fait peindre."
Garouste, fils d'un antisémite convaincu, ira même jusqu'à apprendre l'héreu "dériva[nt] doucement vers ce monde juif obscur et malin dont on m'avait appris à me méfier.", poursuivant sa recherche de vérité, lui qui avait vécu sous le poids de tant de mensonges au sein de sa famille.
Quant aux épisodes de folie , Garouste les décrit simplement, épisodes où la souffrance côtoie le loufoque (Il ne souviendra pas d'avoir obligé le directeur d'un établissement à danser le tango avec lui !). Sa bipolarité, il en parle sans ostentation, il a appris et ses proches avec lui à s'en accommoder, à repérer les signes avant-coureurs et démystifie tous les liens traditionnels qu'on établit souvent entre la folie et l'artiste.
Un livre dense et profond, un ton mesuré, jamais dans la récrimination, une expérience humaine terriblement troublante.Un livre hérissé de plein de marque-pages . à découvrir sans plus tarder car il vient de sortir en poche !
L'avis d'ICB, le tentateur !
Celui de Mango .
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : gérard garouste, judith perrignon, autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou
26/09/2011
New York, journal d'un cycle
"Le vélo est une forme modérée de vitesse, une forme modérée de lenteur, une forme modérée de contrôle, une forme modérée de dérive. J'aime le vélo pour sa modération."
Description de New York à vélo, illustrée par de très jolies photos en couleurs, mais aussi récit d'un couple qui ne parvient pas à être sur la même longueur d'ondes en ce qui concerne leur désir d'enfant, on trouve tout ceci dans le récit à la première personne de Catherine Cusset.
Mais est-ce parce que que je n'ai pas d'affinités particulières avec les États-Unis ou parce que comme le remarque son mari "ce n'est pas le désir d'enfant qui [la] rend folle mais l'absence de contrôle sur le cours des choses", j'ai lu sans déplaisir ce texte mais aussi sans beaucoup d'intérêt.Pas envie de me montrer sarcastique mais à part les photos, dont une très surréaliste façon montre molle à la Dali d'une roue de vélo emboutie probablement par une automobile, je n'ai pas gardé grand chose de ce texte.
L'avis plus enthousiaste de Lily.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : catherine cusset, new york, vélo, désir d'enfant
05/09/2011
Mots de tête
"Je connais tout.
La superficie du Groenland au centimètre carré près, le poids de l'armure de Bayard au gramme près et le temps de digestion de la loutre des Pyrénées à la seconde près.
Tout.
Je sais absolument tout.
(...)
Tout.
Nomal je suis prof."
Il a de l'aplomb , Dominique Resch ! Et ça vaut mieux, pour ferrailler- à coups de mots- depuis vingt ans avec les élèves d'un lycée technique des quartiers Nord de Marseille, élèves dotés d'une présence d'esprit particulièrement vive. Les mots fusent, les humeurs changent en une fraction de seconde, l'attention varie le lundi matin en fonction des résultats de l'OM...Si victoire il y a , alors le prof peut tout exploiter du vocabulaire sportif, et faire passer dans la foulée les figures de style les plus pointues. En cas de défaite, c'est une autre paire de manche , mais il faut s'adapter. S'adapter, séduire, les prendre à leur propre piège, aller visiter les entreprises les plus improbables et tenir bon quand un gardien de camping veut refouler la petite troupe pour délit de faciès.
Mais il y a des compensations : donner des baffes à un policier en toute impunité, être gavé de pâtisseries orientales (et augmenter en conséquence les notes de certains élèves-ne serait-ce pas de la corruption de fonctionnaire ? tss !) , voir un collègue envoyer (très poliment) paître un inspecteur propret, voilà qui récompense de bien des fatigues, non ?
Avec une générosité et un humour inoxydables, Dominique Resch nous fait partager une année scolaire en compagnie de ses élèves plus que dynamiques. Le ton est joyeux et donne la pêche les jours où l'on se dit, comme lui, que l'on aurait dû être fabricant d'archet ...Mais qu'est-ce qu'on s'ennuierait sans nos élèves hors normes !
Pour tous ceux qui rêvent d'être une petite souris pour savoir comment ça se passe en cours...
Mots de tête, Dominqiue Resch, Autrement 2011, 153 pages revigorantes à glisser dans tous les casiers de profs. Mais pas que !
Du même auteur : ici
et ici !
(oui, je suis fan !)
06:00 Publié dans Récit, rentrée 2011 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : dominique resch
30/08/2011
Un jardin dans les Appalaches
"J'aimerais pouvoir raconter de situations dramatiques, des contes à glacer le sang de familles réduites à ronger les lanières de leur birkenstocks."
Conscients de l'étendue du problème que représente le "simple " fait de manger, l'ognorance crasse de la plupart des gens concernant les produits agricoles , des dégâts occasionnés par l'agrobussiness aux États-Unis et dans le monde, Barbara Kingsolver, son scientifique de mari et leurs deux filles se osnt installés dans les Appalaches pour vivre pendant un an une expérience de locavores.
Locavores, késaco ? cela signifie tout simplement ne consommer que des aliments produits par leurs soins ou par des producteurs locaux, distant au maximum d'une heure de route.
Récit à plusieurs voix de cette expérience, Un jardin dans les Appalaches n'est ni un mode d'emploi ni un plaidoyer (meêm si les interventions de Steven L. Hoop, l'époux sont fort bien argumentées.), ni un moyen de culpabiliser le lecteur en le confrontant à un exemple parfait.
Non, c'est le récit plein d'humour, de doutes, d'échecs et de réussites d'iune famille tout sauf modèle qui nous montre, sans chichis, mais recettes de cuisine à l'appui, que oui, c'est possible de savoir ce que l'on mange, même en hiver.
Un jardin dans les Appalaches Rivages 2008 (oh my goness, depuis tout ce temps dans ma PAL ) et depuis sorti en poche, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claire Buchbinder, 496 pages revigorantes !
Ptitlapin,je ne retrouve plus ton billet !:(
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : barbara kingsolver
15/08/2011
Les forçats de la route
Quand le Tour de France passe près de chez moi, je peste et ne me dérange d'ailleurs même pas pour voir les cyclistes du Paris-Roubaix peiner dans la Tranchée d'Arenberg , à un jet de pierre elle aussi.
Il aura donc fallu toute la force de persuasion de Nadine Morano, ma ministre de tutelle, pour que je me procure ce classique dont le titre est par ailleurs devenu un cliché, signe indéniable de talent.
Hé bien merci Nadine , ou plutôt merci Albert car ce Tour de France 1924 est tout sauf ennuyeux !
Ici pas de robot à la Lance A., moulinant des kilomètres avec une régularité inquiétante, non des hommes qui partent dans la nuit (?!) après une bonne bouffe, réparent eux-mêmes leurs pneus qui ne cessent de crever vu le matériel et l'état des routes, des hommes que Londres a su saisir dans leur naturel et leur humanité.
Ce qui n'a pas changé ? Les spectateurs qui envahissent les routes, encouragent avec ferveur les cyclistes, le dopage dont ces derniers parlent avec une franchise désarmante. Une épopée bien loin des tours aseptisés et un tantinet ennuyeux, vivifiée par la style imagé d'Albert Londres.
Les forçats de la route, Albert Londres, Arléa Poche.1996 et 2008. 62 pages vivifiantes.
06:01 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : albert londres, tour de france 1924
05/05/2011
A coeur et à Kriss
Kriss c'était d'abord une voix éternellement jeune (j'ai été fort surprise de découvrir sa soixantaine passée en ce sinistre jeudi de novembre 2009 ), enveloppante et bienveillante.
Kriss nous a accompagnés de nombreuses années, d'abord sur sur FIP , puis sur France Inter , évoquant tour à tour une île déserte où elle avait vécu un séjour édenique que ses mots bleu lagon faisaient surgir entre nos oreilles, intervenant de manière plus acidulée dans L'oreille en coin, sans oublier tous ces portraits sensibles et ces crumbles dominicaux qu'elle nous mitonnait avec amour et générosité. Elle disparaissait, revenait, au gré des changements de grilles radiophoniques et plus tard des sales tours que lui jouait sa maladie.
Quand son absence se faisait trop longue, ses romans et plus récemment sa Sagesse d'une femme de radio nous permettaient de côtoyer d'un peu plus près encore celle qu'on comptait d'une certaine façon au nombre de nos amies.
Chantal Pelletier, elle fut son amie dans la vie et au fil de ce "Journal des 24 jeudis", elle nous raconte, comme une mosaïque éparpillée, les souvenirs qui lui reviennent en mémoire, tour à tour avec émotion et révolte. Au fil de ces retours en arrière, l'éditrice des Exquis d'écrivains " découvre à quel point un ami est une personne qui change le cours de la vie !".Kriss aura donc bien été notre amie car il ne se passe pas un dimanche sans que je m'efforce de mettre en pratique ce qu'elle nous répétait comme un mantra "Ne faites pas de vos dimanches un jour comme les autres !"
A coeur et à Kriss , Chantal Pelletier, Editions des Busclats 2011, 125 pages pleines d'amour, un portrait sensible, correspondant bien à l'image que je me faisais de Kriss.
A écouter : Chantal Pelletier sur France inter ce dimanche de 10 h à 11 h! Merci, Aifelle!:)
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : chantal pelletier, roman d'amitié, de fidélité
30/03/2011
L'autre fille
"Entre elle et moi, c'est une question de mots."
"Faire le récit de ce récit, ce sera en finir avec le flou du vécu, comme entreprendre de développer une pellicule photo conservée dans un placard depuis soixante ans et jamais tirée."
Ce récit initial c'est celui qu'entend un jour Annie Ernaux de la bouche de sa mère, récit qui pourtant ne lui est pas directement adressé. Elle apprend alors qu'elle a eu une soeur, décédée, et que cette enfant est morte comme une petite sainte lui laissant le rôle de "l'autre". Un récit qui donc l'exclut.
Commence alors un processus d'enkystement de la situation car jamais, même quand elle sera devenue adulte et aura obtenu d'autres informations par des membres plus éloignés de sa famille, l'auteure ne parlera franchement de cette soeur, tout à la fois visible et cachée, avec ses parents.
"Une lettre qui jusqu'à présent n'avait jamais été écrite", tel est le cadre de cette collection où paraît le texte d'Annie Ernaux, récit qui paraît parfois dur, (ainsi la manière dont elle désigne ses parents presque uniquement par des pronoms, et elle s'en explique d'ailleurs), un récit où les mots sont presque les éléments principaux, car leur puissance permet tout à la fois la révélation quasi sidérante, l'exclusion et l'établissement hypothétique d'un lien par de-là le temps. Une oeuvre singulière et dérangeante qui ne tombe jamais dans le pathos mais creuse au plus profond.
L'autre fille, Annie Ernaux, Nil 2011, 78 pages denses.
Merci à Mirontaine pour le prêt.
L'avis de Laure qui vous mènera vers plein d'autres.
06:03 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : annie ernaux, lettre à la soeur disparue
16/03/2011
Mes petites machines à vivre
"Car l'âge ne donne pas toujours le temps fécond de la sagesse."
Bonheur mode d'emploi ? Non, c'est à un partage , celui d'un carnet de route qui emprunte aussi bien aux souvenirs professionnels que privés que nous invite Maryse Vaillant.
Puisant aussi bien dans son expérience de toute jeune éducatrice découvrant le pouvoir des mots et de l'imagination sur des jeunes "délinquants" qu'on préconisait uniquement à l'époque de mater par la violence, que dans celle de son enfance marquée par le manque d'amour maternel, au fil de sa vie et des épreuves qu'elle a dû affronter, Maryse Vaillant ne se pose jamais en modèle mais nous montre de manière simple et chaleureuse le pouvoir de l'esprit qui vagabonde en liberté, dans la rêverie ou le vague à l'âme que ce soit lors d'une promenade ou d'une séance de ménage !
Elle a ainsi "appris à apprivoiser [son] rapport à l'angoisse en créant [ses] petites machines à vivre, à jouer avec l'incertitude plutôt que de vouloir tout maîtriser, à accepter la tristesse, à savourer les temps de solitude et à ne pas craindre l'ennui."
Des conseils parfois déjà rencontrés mais une approche bienveillante et souriante, qui s'appuie sur la psychanalyse sans jargonner pour autant, plein de conseils à glaner, en témoigne le nombre de pages cornées, un livre fluide dont l'écriture flirte parfois avec la poésie, ce qui n'est évidemment pas pour me déplaire et une femme qui n'hésite pas à nous montrer ses failles, ce qui nous la rend évidemment encore plus proche. Une sacrée dame !
Mes petites machines à vivre, Maryse Vaillant, Jean-Claude Lattès 2011 pages chaleureuses où piocher quand le temps devient nuageux.
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, Récit | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : maryse vaillant
22/02/2011
Dans les vignes
"L'enracinement se précise."
Catherine Bernard semble accumuler à plaisir les obstacles: à quarante ans, après avoir suivi une formation , elle quitte sa profession de journaliste et s'installe comme vigneronne dans une région qui lui est étrangère: les coteaux du Languedoc. Elle nous raconte entre humour et colère (contre les incohérences des directives européennes , les produits chimiques employés à tire larigot et les diktats des oenologues) son installation sur cette terre qu'elle va ressentir jusqu'au plus profond d'elle.
Ceci nous vaut de superbes pages où l'auteure sent qu'elle s'enracine au sens propre : " La terre arrime mon corps, l'asservit à ses conditions, mais exactement dans le même temps , libère mon esprit d'une quête des impossibles de tout genre. Je n'ai plus réellement besoin de vacances, je suis dans la vacance. Je suis dépaysée au sens propre et figuré."
Catherine Bernard s'interroge aussi sur les rapports qu'entretiennent maintenant le vin et les mots, dans un but purement mercantile, et souligne le fait que maintenant "Boire du vin est devenu un exercice intellectuel et compliqué."
Un récit qui va à l'essentiel et même si parfois on aurait aimé en savoir un peu plus (sur sa formation, sa façon de gérer sa vie de mère et de vigneronne) qui peint de manière ni idyllique ni passéiste un monde passionnant, celui du vin.
A recommander aux curieux et aux amoureux du vin, du bio et de la terre en général.
Dans les vignes, Catherine Bernard, Editions du Rouergue 2011, 232 pages pleines de saveur.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : catherine bernard, vignes, reconversion, agriculture
31/01/2011
B. a - Ba La vie sans savoir lire
"Ainsi donc l'année venait de basculer."
3 100 000 illettrés en France, trois millions de personnes de plus de 16 ans qui," bien qu'ayant été scolarisées ne parviennent pas à lire et comprendre un texte portant sur des situations de la vie quotidienne, et ou ne parviennent pas à écrire pour transmettre des informations simples". Plus, comme le souligne l'auteur, "tous les migrants qui travaillent sur les chantiers , dans les cuisines des restaurants ou dans les garages, mais ne savent pas lire leur feuille d'impôts. Pour cela , pas des statistiques mais un dispositif: Les ateliers sociolinguistiques". Et c'est dans un de ces ateliers que Bertrand Guillot, un peu par hasard (mais le hasard existe-til vraiment ? ) va se retrouver à apprendre à lire , sans aucune expérience , à Amah, Ibrahima, Ladi ou Cheikhou.
J'ai toujours trouvé fascinant ce passage, cette bascule, qui fait soudain qu'un apprenti lecteur sait tout à coup lire et la description du long chemin qu'ont parcouru ensemble le maître et ses élèves pour que ces derniers y parviennent se révèle tout à fait passionnant car plein d'embûches ,mais aussi plein d'humanité.
Les portraits de ces hommes et de ces femmes, qui ,malgré les difficultés de tous ordres, tant du côté des volontaires enseignants que des apprenants, se fixent un même objectif et se donnent les moyens d'y parvenir constitue un message plein d'espoir.
Pas de prêchi-prêcha mais un texte plein d'humour et d'empathie qui donne la pêche ! A découvrir de toute urgence !
Ba ba, la vie sans savoir lire, Bertrand Guillot, Editions rue Fromentin, 218 pages pleines de vie.
06:00 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : bertrand guillot