15/09/2012
Retrouvailles...en poche.
"Nous sommes des êtres humains à l'état brut."
Onze mois de différence entre Veronica et son frère Liam. Onze petits mois qui expliquent peut être l'affection indéfectible qui les unit et les particularise dans cette famille nombreuse (ô combien !) irlandaise. Quand son frère se suicide,Veronica écrit furieusement pour remonter à la source de ce geste pour elle incompréhensible, tenter de mettre à jour la scène qui a pu déclencher le mécanisme aboutissant à cette mort.
Alternant passé et présent Retrouvailles est un roman puissant, dérangeant ,qui reconstitue le passé, non pas avec une assurance tranquille, bien peignée, lisse, (et un tantinet suspecte) mais d'une manière hirsute," à la diable",n'hésitant pas à dire qu'il s'agit peut être de souvenirs inventés, mais revenant avec obstination sur cette scène primitive qui devrait lui livrer-peut être- la clé de cette famille marquée par l'influence d'Eros.
La narratrice,surtout au début du roman utilise un langage cru, que ce soit pour parler de sa famille ou de sa relation de couple qui s'effiloche : "Il y avait des filles, à l'école, dont les familles augmentaient jusqu'au nombre conséquent de cinq ou six. il y en avait chez qui ça grimpait jusqu'à sept ou huit- ce qui était jugé un tant soit peu enthousiaste-et puis il y avait les pitoyables comme moi, avec des parents totalement désarmés qui se reproduisaient comme on irait aux chiottes."Mais cette violence n'est là que pour montrer le maëlstrom d'émotions de Veronica, qui triture les phrases, malmène son mari et embarque le lecteur ,parfois abasourdi mais totalement conquis dans une lecture qui le laisse un peu groggy mais en même temps séduit.
Au diable les bons sentiments ! "Le truc merveilleux quand on est élevé à la diable, c'est qu'il n'y a de reproches à faire à personne. Nous sommes entièrement élevés en plein air. Nous sommes des êtres humains à l'état brut. Certains survivent mieux que d'autres, c'est tout."Pourtant il y a de l'amour qui court tout le long de ce livre, un amour qui ne dira son nom que quand la narratrice aura enfin trouvé l'apaisement.
Quant au style, il est tout à la fois sensuel, le passé étant très lié aux sensations,cru, cahotique, fougueux et plein d'humour féroce. On se laisse embarquer dans ce roman comme on ferait un tour dans une essoreuse à plein régime et on en sort étourdi mais bourré d'énergie.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : anne enright, irlande, famille
07/09/2012
Serena...en poche
"Faut dire qu'on avait encore jamais vu sa pareille dans nos montagnes."
Quand Serena rencontre Georges Pemberton, riche exploitant forestier, elle est persuadée d'avoir enfin rencontré quelqu'un à la mesure de son ambition et de sa personnalité, forte, implacable. Les deux époux entendent bien dévaster à leur profit la forêt que tentent de préserver quelques écolos avant l'heure (nous sommes dans les années 30 aux Etats-Unis), en créant un parc national.
Que Pemberton fasse mine de préserver la vie du bâtard qu'il a conçu avant son mariage va bientôt changer la donne car on ne se met pas impunément en travers du chemin de Serena.
A la lecture de la scène initiale du roman de Ron Trash, le lecteur , à peine remis du choc, a un doute, se croyant au temps du Western tant la violence semble banalisée et quasi impunie. Mais ce sont bien les années de la crise de 29, qui entraînent des hordes de chômeurs dépenaillés à se présenter en rangs serrés pour remplacer les bûcherons dont l'espérance de vie est très réduite, étant donné leurs conditions de travail, qui sont ici décrites avec souffle et puissance.
La destruction de la forêt - et de toutes les formes de vie qu'elle hébergeait- ainsi que le comportement de prédateurs des époux Pemberton, qui usent indifféremment de la violence ou de la corruption, sont commentés par une équipe de bûcherons qui assume le rôle de choeur dans cette tragédie moderne. Leur langue truculente et leurs commentaires acérés insufflent un peu d'oxygène dans une atmosphère qui emprunte à la fois au thriller quand la traque se met en place et au réalisme magique, tant la figure de Serena évoque celle de la femme maléfique et ensorcelante. On a le coeur qui bat la chamade , on étouffe devant tant de noirceur et on ne peut s'empêcher de penser que la situation décrite trouve des échos dans notre XXI ème siécle tout aussi destructeur, avide et gaspilleur. Magistral.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : ron rash
06/09/2012
Swamplandia
Une famille d'excentriques vit dans un parc d'attractions de Floride où est mis en valeur le courage de la mère de famille, Hilola Bigtree, dompteuse d'alligators de classe internationale. Hélas au décès de cette dernière, tout va partir en décrépitude et la famille va exploser, chacun cherchant par des moyens bizarres à redonner au parc le lustre d'antan.
Roman polyphonique, original et chatoyant, à la langue superbe, Swamplandia avait tout pour me séduire. Hélas, trop de longueurs ont eu raison de mon enthousiasme initial et, cruelle que je suis, j'ai abandonné la benjamine Bigtree dans sa quête initiatique, en route pour l'enfer, rien que ça.
06:01 Publié dans Lâches abandons, rentrée 2012, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : karen russell
01/09/2012
Sukkwand Island...en poche
"Il savait que son père s'infligeait cela tout seul. »
Un homme et son fils de 13 ans, seuls sur une île sauvage au Sud de l'Alaska, difficilement accessible. Viennent en tête du lecteur les notions de « pionnier », de "conquête du territoire ", liées à l'histoire des Etats-Unis, mais d'emblée l'auteur instaure une atmosphère lourde de « bourbier ». Il ne s'agit donc pas ici de « robinsonner » en toute sécurité mais , pour le père, à défaut d'arriver à maîtriser sa vie et ses pulsions, de réussir à assurer sa survie et celle de son fils, Roy, ainsi que de restaurer une relation père/fils pour le moins défaillante. Très vite le lecteur se rend compte que le plus mature des deux n'est pas forcément le plus âgé et son coeur bat la chamade en tournant les pages ...jusqu'à la fin de la première partie qui arrive comme un uppercut et le laisse groggy. Magistral.
La suite du récit est une plongée hallucinante dans un esprit malade, alternant auto apitoiement et déni de la réalité. On sort de là estomaqué par ce premier roman de David Vann , au style tout en retenue et qui montre une maîtrise totale de la narration .
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : david vann
31/08/2012
Le signal...en poche
"Tu es comme un autobus plein de fantômes."
Mack et Vonnie c'est de l'histoire ancienne. Mack s'est laissé englué par les dettes, l'alcool et les fréquentations douteuses. Vonnie est en train de refaire sa vie mais accepte de partir avec son ancien amoureux pour une dernière balade dans les montagnes du Wyoming, leur balade.
Elle ignore que Mack, l'impénitent menteur, compte bien faire d'une pierre deux coups et récupérer par la même occasion une mystérieuse balise. Après un début des plus agréables, le temps se couvre et les ennuis commencent...
On suit avec beaucoup de plaisir les retours en arrière nous montrant un Mack dans la plus belle tradition du mec laconique et posé. On apprécie aussi le fait que malgré toutes les conneries qu'il a commises, on sent que c'est un homme fiable qui sait s'ajuster dans la nature dans laquelle il évolue. On croise les doigts et on profite des somptueux paysages. Bref, on se régale d'un bout à l'autre et on se sent des foumis dans les pieds.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : ron carlson
25/08/2012
Les privilèges ...en poche
"Les gens avaient des réactions bizarres avec l'argent. Ne pas le dépenser leur paraissait condescendant. Etre riche signifiait agir en riche, si cela avait le moindre sens, ne pas vivre de la manière dont on pouvait le faire à tout instant de la journée, c'est de la prétention à l'envers. Ou le désir de passer pour normal , ce que vous n'étiez pas."
Comment s'attacher à des personnages qui ont tout pour eux : jeunesse, beauté, richesse, à qui tout réussit et qui deviennent ultra-riches, perdant sans sourciller 480 000 dollars , pour donner un ordre d'idée ? On ne peut que suivre, fasciné par tant de perfection, leur évolution.
Ici pas de richesse ostentatoire, pas de citations de marques de luxe, pas d'amour effréné de l'argent. Il s'agit juste de s'offrir le meilleur à soi et à sa famille, créant ainsi une bulle confortable d'où l'on chassera sans vergogne toute émotion susceptible de bouleverser ce bel ordonnancement.
Bien évidemment tant de perfection n'est pas viable à long terme et chacun des membres de cette famille devra un jour affronter la cruauté d'un monde qu'ils ne pourront tenir éternellement à distance.
Un style impeccable et cruel en diable pour une histoire glaçante.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jonathan dee
20/08/2012
Quand nous étions grands
"Il était une fois une femme qui s'aperçut un beau jour qu'elle était devenue étrangère à elle même."
Qui aurait cru que cette jeune Rebecca, intello timide, épouserait sur un coup de foudre cet homme plus âgé qu'elle, père de trois fillettes et propriétaire d'une maison de famille où il organise des réceptions ?
Devenue mère à son tour, elle continuera à élever les filles de Joe et reprendra le flambeau de l'entreprise familiale au décès de son mari.
à cinquante-trois ans Rebecca , tout en organisant à tour de bras des réunions familiales ou non, prend le temps de faire le point sur sa vie, se demandant par exemple si Joe l'avait épousée pour son utilité , si leur amour ne reposait pas ur des malentendus (elle n'est pas aussi enjouée qu'elle le paraît) et surtout s'il était encore temps de faire des changements dans sa vie.
Sur une trame assez classique, Anne Tyler, par la finesse de ses observations, par l'entrain de cette famille recomposée atypique (le personnage de la première femme de Joe est un poème !), par cette élégance de l'héroïne qui signale en passant ses petits pincements au coeur mais sans jamais les transformer en récriminations, nous donne un roman plein de vie qui réchauffe le coeur !
Quand nous serons grands, traduits de l'anglais (américain) par Sabine Porte, Calmann-Lévy 2002, 343 pages qui se lisent toutes seules !
Déniché à la médiathèque.
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : anne tyler, les quinqua sont sympa
17/08/2012
Les trois lumières...en poche
"Et c'est alors qu'il me prend dans ses bras et me serre comme si j'étais à lui."
Parce qu'ils sont surchargés d'enfants et qu'un nouveau bébé va bientôt arriver, une famille irlandaise confie l'une de ses filles à un couple de fermiers taciturnes, les Kinsella.
Pourquoi cette enfant et pas une autre, pourquoi ce couple ? à ces questions il ne sera jamais apporté de réponses claires.
De la même façon, c'est par petites touches que l'enfant- narratrice va prendre conscience tout à la fois de l'amour qui va se tisser entre elle et le couple qui l'accueille et du drame qui les a frappés.
Souffrance réprimée, cruauté consciente ou non, tout se donne à voir à travers des gestes en apparence insignifiants: quelques tiges de rhubarbe que personne ne veut ramasser, uin chien qu'on n'appelle jamais par son nom. à la curiosité inquisitrice, on répond par le silence, silence auquel la narratrice sera initiée .
C'est aussi tout un monde rural en voie de disparition qui se donne à voir ici, un monde plein de poésie qu'on savoure quand la journée de travail est enfin terminée.
Un univers riche en émotions et qui tient en une centaine de pages denses , cruelles, pleines d'émotions et qui se terminent avec une phrase parfaite d'ambiguïté.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15)
13/08/2012
Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants
"Je comprends soudain que tu dois souffrir beaucoup avec moi. Parce que je suis puissante et exigeante avec les mots, moi aussi. Et le plus grave c'est que tu dois supporter mon anglais tous les jours. tu n'as pas de chance d'être avec moi."
Venue étudier l'anglais à Londres, une jeune chinoise de 24 ans va , sur un malentendu linguistique, emménager chez un londonien quadragénaire, sculpteur, végétarien et livreur.
Elle apprend "comme une folle" dit-elle et note sur un journal de bord, ayant comme entrée un mot dont elle a recopié soigneusement la définition, l'évolution de sa relation avec cet homme et ses étonnements devant la vie occidentale. Par la même occasion, le lecteur note les progrès linguistiques de Z, comme elle préfère qu'on l'appelle. Mais plus que la barrière linguistique ne serait-ce pas plutôt deux conceptions différentes d'une relation amoureuse qui risque de séparer les amants ?
Un regard étranger sur un mode de vie est toujours extrêmement intéressant et permet par la même occasion de glaner des éléments culturels sur le spectateur extérieur. De plus, ici, les caractères complexes des protagonistes confèrent une gravité au récit qui ne tombe jamais dans les pièges du pathos ou de la guimauve.
J'ai commencé ce récit avec plein d'a priori qui ont pris la poudre d'escampette très rapidment et je me suis vraiment régalée avec ce roman tout bruissant de marque-pages.
Un régal à s'offrir en poche !
Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants, Xiaolu Guo, traduit de l'angalis (Chine) par Karine Laléchère, pocket 2012375 pages à savourer !
L'avis de Florinette qui vous enverra chez plein d'autres !
Celui de Mango.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : xialu guo
10/08/2012
Rupture...en poche
"Triste et solitaire , et incapable de casser le moule dans lequel sa vis s'était installée."
Un prof ouvre le feu dans un collège anglais.Trois élèves et un professeur tués. Suicide du meurtrier.Affaire bouclée en un rien de temps. Mais ce serait sans compter sans l'obstination de l'inspecteur Lucya May qui ne se contente pas de la version officielle qui satisfait un peu trop de monde.
Alternant les interrogatoires des différents protagonistes et la quête obstinée de Lucya, le récit avance et devient de plus en plus oppressant, brossant le portrait sans concession d'une société qui, cyniquement , sacrifie son système éducatif, détournant les yeux pour ne pas voir le harcèlement, la violence, le racisme qui la gangrène à tous les niveaux.
La solitude de Lucya, lâchée par sa hiérarchie, n'en devient que plus poignante et on avance le coeur serré au fur et à mesure que se déploie l'éventail de petites lâchetés qui, accumulées, ne pouvaient mener qu'au drame.
Une écriture qui nous ménage heureusement quelques bouffées d'humour mais pour mieux nous piéger au détour d'une information cruciale révélée quasi par inadvertance par l'un des protagonistes. Quand on croit pouvoir souffler un peu , Simon Lelic nous cueille du au creux du plexus solaire et l'on reste sonné devant cette montée de l'horreur.Un récit tendu mais qui laisse la part belle à l'humanité des personnages néanmoins. Un coup d'essai , Rupture est un premier roman, qui est un coup de maître
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : simon lelic, école