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20/08/2020

Térébenthine

"L'urgence de devenir sujet."

Il suffit d'un article dans un magazine d'art, proclamant le grand retour de la peinture pour que la narratrice retrouve le souvenir de ses études aux Beaux-Arts, quinze ans plus tôt, quand Luc, Lucie et elle-même formaient un drôle de trio.carole fives
Surnommés les Térébenthine, par dérision, car ils s’obstinaient à peindre dans une époque où prévalait l’art conceptuel et le discours qui le justifiait , ils étaient relégués dans les caves. Ces "illuminés du sous-sol" entraient alors en résistance et en amitié et c'est leur parcours que nous relate ce roman.
Roman d'apprentissage, d’émancipation aussi , à une époque où il n'y pas de modèles nus masculins et où les artistes femmes sont systématiquement ignorées  par les profs des Beaux-Arts, par routine peut être pour certains, plus que par mauvais volonté. Quant aux critiques, ils "ont beau dire que l'art n'a pas de sexe, tu sens qu'ils manquent d'objectivité et que le but est bien plutôt de faire passer pour neutre une histoire de l'art tout empreinte de virilité." Ces artistes existent pourtant et une magnifique accumulation d'artistes femmes (plus d'une centaine !) vient nous le rappeler.
Une pensée est en formation, tout autant qu'une artiste et une femme, et ces métamorphoses qui nous sont données à voir sont passionnantes car pleines de justesse et de sincérité. Un roman constellé de marque-pages qui file sur l'étagère des indispensables.

 

Gallimard 2020

Tenir jusqu'à l'aube...en poche

"Elle ne pouvait se permettre aucune erreur, aucun écart. L'enfant et elle devaient filer doux, afficher zéro défaut, ne laisser aucune prise à la société. A tout instant, ils risquaient d'être étiquetés "famille à problèmes". Ils étaient hors-normes, ils étaient fragiles, ils étaient suspects."

Dans l'espoir de maintenir un lien ténu avec le père de son enfant de deux ans, la narratrice, graphiste free-lance, continue à vivre dans une ville où elle n'a ni amis, ni famille qui pourraient la sortir de ce huis-clos parfois étouffant avec son fils.
Les difficultés matérielles s'accumulent et la jeune femme commence à fuguer hors de l'appartement pour échapper à "cette créature qu'elle avait créée de toutes pièces: la bonne mère ".
Ces fugues "comme une respiration" un entêtement" créent une tension dans le roman car elles deviennent de plus en plus une nécessité et la narratrice ne peut s'en empêcher, même si elle a bien conscience de "Tirer sur la corde", titre de la deuxième partie du roman.
Cette tension est d'autant plus grande qu'elle est mise en parallèle avec le récit dont le petit ne se lasse pas: "La chèvre de Monsieur Seguin", cette chèvre ,qui, par amour de la liberté est prête à affronter le pire. Scandant le roman, les extraits de la nouvelle d'Alphonse Daudet seront aussi l'occasion d'un clin d’œil final à la fois jubilatoire et  violent.product_9782072874567_180x0.jpg
Car oui, de la violence il y en a dans ce roman. Celle des internautes intervenant sur les forums de mamans solos, sortes de harpies vengeresses prêtes à lapider toutes celles qui osent se plaindre de leur fatigue,de leurs galères, de leur solitude... Celle des institutions (crèches, personnel de santé...), des propriétaires de logements, celle d'une société où les violences physiques faites aux femmes sont banalisées et niées, ne serait-ce que par les mots...
Mais Carole Fives sait aussi se faire intimiste en décrivant le quotidien de ce couple fusionnel mère-enfant, en soulignant la nécessité de "Réintégrer son corps." ,"Un corps sans enfant qui s'y cramponne. Un corps sans poussette qui le prolonge". Là, l'écriture colle au plus près des sensations et fait partager au lecteur ce sentiment de grande respiration nécessaire.
Un roman dévoré d'une traite puis relu dans la foulée, plus lentement cette fois pour mieux le savourer. Et zou sur l’étagère des indispensables !

18/08/2020

#LaPetiteDernière#NetGalleyFrance

"Je m'appelle Fatima.
Je recherche une stabilité.
Parce que c'est difficile d'être toujours à côté, à côté des autres, jamais avec eux, à côté de sa vie, à côté de la plaque."

Chaque chapitre de ce court roman à résonance autobiographique commence par la même affirmation identitaire: "Je m'appelle Fatima Daas."Suivent ensuite des variations permettant de préciser l’une des multiples facettes de cette jeune femme qui creuse avec opiniâtreté le même sillon, mais en changeant les angles d'attaque. 71gKfdkra4L._AC_UY218_.jpg
Des souvenirs affluent après ce leitmotiv et se construit ainsi, par petite touches, le portrait de La petite dernière , aimée mais peut être pas désirée, seule née en France d'une famille algérienne, adolescente qui se situe plus du côté des gars que des filles, musulmane mais qui n'honore pas son prénom, tiraillée entre toutes ces définitions et inadaptée à la vie.
 Cette recherche identitaire , ce monologue à multiples facettes ,se clôturera d'une manière apaisée quand la narratrice arrivera enfin à  ce paragraphe fluide qui résume le livre qu'elle est en train de rédiger : "Ça raconte l'histoire d'une fille qui n'est pas vraiment une fille, qui n'est ni algérienne ni française, une musulmane je crois, mais pas une bonne musulmane, une lesbienne avec une homophobie intégrée. Quoi d'autre ? " On a envie de lui répondre  :une autrice qui emporte ses lecteurs et ne le lâche plus.pro_reader.png

Éditions Noir et Blanc 2020

13/08/2020

à la ligne...en poche

"L'usine bouleverse mon corps
Mes certitudes
Ce que je croyais savoir du travail et du repos
De la fatigue
De la joie
De l'humanité"

D'abord il y a la forme, à mi-chemin entre prose et poésie, une longue phrase sans point final, organisée en 66 séquences, la forme imposé par le rythme de la ligne de production où travaille l'auteur-narrateur. Pas le temps de réfléchir, la machine impose sa vitesse et les aléas mécaniques doivent sans cesse être compensés par les efforts humains.joseph ponthus
Adaptabilité des horaires, adaptabilité des corps, l'usine règne en maîtresse absolue . Il ne faut pas déplaire aux petits chefs, ne pas refuser les missions d'intérim, sans quoi on se retrouve sur le carreau, main d’œuvre infiniment remplaçable.
Pour tenir le coup, l'auteur puise dans sa culture (il a fait des études de lettres, a été dans une autre vie éducateur social, mais en Bretagne où il a choisi de vivre avec sa femme,  il travaille dans une conserverie de poissons ou aux abattoirs), culture littéraire ou populaire, les chansons tenant une place importante sur les chaînes de production.
Il dit la fatigue qui empêche de retrouver la phrase trouvée au boulot, "Mes mots peinent autant que mon corps  quand il / est au travail ", la solidarité  entre certains ouvriers ,mais aussi l'énervement contre les tire-au flanc. Il a  aussi des réflexions surprenantes quand il compare les effets de la psychanalyse et de l'usine sur lui-même.Il pose surtout des mots forts et vrais sur tout ce qu'on ne peut pas raconter, comme le dit sa tante page 93.

Un texte nécessaire et inoubliable.

Évidemment sur l'étagère des indispensables.

11/08/2020

La vie ordinaire

Roman ? Essai ? Autobiographie ? Est-il vraiment nécessaire de poser une étiquette sur ce texte qui fait la part belle certes à la vie de l'autrice, philosophe de formation.71zM+e27YlL._AC_UY218_.jpg
Son existence devient le point de départ d'une questionnement qui n'apporte pas toujours de réponses, tel n'est pas le but , mais permet d'envisager les choses sous un  angle différent.
L'écriture est fluide, les propos concernant la grossesse souvent fort bien écrits et le tout reste plaisant à lire même si j'ai bien compris ce que n'était pas la vie ordinaire, mais pas vraiment ce qu'elle était.

17/07/2020

Les hordes invisibles...en poche

Alex s'interrogeait sur leur responsabilité collective. Tous, ils laissaient le vocabulaire commun enjoliver ce qui s'apparentait à des meurtres de masse."

Quel plaisir de retrouver les personnages des Ravagé(e)s ! Alexandra a arrêté la bière et tente de faire une place dans sa vie à l'amoureux qui bosse avec elle à la Brigade Des Crimes et Délits Sexuels.louise mey
Si le roman ne joue plus sur l'effet de surprise, il approfondit les thèmes abordés dès le premier volume et montre bien l'aspect quotidien, quasi banal des violences faites aux femmes et ce dans tous les milieux sociaux.
Le péché mignon d'Alexandra, les statistiques, permettent d'étayer les faits et de convaincre de l'ampleur du phénomène.
Un roman un peu didactique, dont l'intrigue est parfois relâchée, mais qui remplit parfaitement son contrat et qu’on ne lâche pas !

De la même autrice : clic et reclic.

13/07/2020

Avant que j'oublie

"Une dernière fois, je l'ai admiré pour son esprit original et si mal compris, pour l'élégante précision de ses idées, pour son entêtement insensé à ne s'être jamais autorisé que ça alors qu'il avait tant d'ampleur et pour m'avoir appris à être sensible à la poésie que dégagent les choses modestes."

Ni hagiographie, ni règlement de compte, le texte d'Anne Pauly est comme le définit elle-même l'autrice un tombeau de mots pour son père. Un père tout à la fois "déglingo" et féru de poésie, alcoolique et autodidacte, qui  s'empêchait d'exprimer sa sensibilité. Un père à l'image de la maison que doit ranger sa fille après son décès: chaotique.anne pauly,prix du livre inter 2020
Avec un tel début on pourrait craindre le pire, surtout pour un premier roman aux accents autobiographiques : bons sentiments à foison, vous êtes priés de préparer vos mouchoirs . Fort heureusement il n'en est rien. D'abord parce que le temps a fait son œuvre et que le texte n'a pas été écrit "à chaud". Ensuite parce qu’Anne Pauly regimbe devant les figures imposées du deuil qu'on veut nous vendre aujourd'hui : un deuil qu'il faut savoir "faire" rapidement. Et l'autrice de se moquer avec un humour grinçant de notre société qui nous vend pour tout et n’importe quoi du bonheur prêt à consommer.
Un texte d'une extrême pudeur, d'une écriture fluide et belle, qui ne se pose jamais en donneur de leçons et dont la fin m'a particulièrement touchée.

 

Verdier 2019.

Prix du Livre Inter 2020.

Prix "Envoyé par La poste"2019

 

 

 

 

08/07/2020

Le chien de Madame Halberstadt...en poche

Tu me laisses passer où je t'éclate la gueule, ai-je articulé, d'une voix parfaitement désincarnée. Je te jure, j'hésiterai pas à te bouffer l'oreille."
 Je ne sais pas d'où ça m’est venu. Des réminiscences de Myke Tyson, de Scarface, du Silence des agneaux. En tout cas, je le recommande dans des circonstances similaires."

Stéphane Carlier nous avait déjà régalé avec son personnage de cochon dans Les gens sont les gens (clic).
Cette fois, c'est à un chien, et plus précisément à un carlin nommé Croquette, que s'attache son personnage d'écrivain à la dérive, persuadé que ce dernier lui porte chance.stéphane carlier
En effet, depuis qu'il rend service à sa voisine hospitalisé en gardant ce petit dogue, les ventes de son dernier roman s'envolent et son ex-petite amie s'est disputée avec son nouvel amoureux. Comment le sait-il ? Sans doute parce qu'il les observe depuis sa voiture...
Pathétique, certes, mais on s'attache à ce loser, à lui et à toute la petite bande de personnages secondaires gravitant autour de lui, tant la plume de Stéphane Carlier st vive et pleine d'humour (j'ai même ri aux éclats à plusieurs reprises).
Petit bémol: le sort réservé aux chiens dans cet opus n'est pas toujours folichon...


 Le Tripode poche 2020, 174 pages où l'on croise aussi Fanny Ardant...

02/07/2020

Des orties et des hommes...en poche

"Chacun dans sa cour de ferme, on n'a pas grandi avec du Nutella entre les doigts mais avec la glaise, la sueur, les caresses animales et la sale matière du travail pur. L'âge qui s'avance nous pèse comme la bosse de Joël. On devient adolescents et lointains."

Pia, double de l'auteure, nous relate dans ce roman poétique et sensuel, le monde rural de la Charente où s'est installée une famille d’origine italienne.
Le travail dur, la sécheresse intolérable d'un été des années 70 qui fait pleurer une mère de faille agricultrice, mais aussi les orties cueillies sans se faire piquer et progressivement le passage à une agriculture industrielle, sont au cœur de ce récit.paola pigani
En parallèle, c'est aussi le passage à  l'adolescence et si, parfois , le rythme semble lent et sans véritable intensité narrative, à la fin, on se retrouve un peu démuni et on aimerait savoir ce que sont devenus les différents protagonistes.

23/06/2020

Les poteaux étaient carrés

"Pendant quatre-vingt-dix minutes, nous avons été spectateurs du même événement, mais nous n'avons rien partagé."

C'est à un drame que nous convie Laurent Seyer dans ce court roman, véritable concentré d'émotions. Unité de temps: les quatre-vingt-dix minutes du match opposant  les Verts de Saint-Étienne au Bayern Munich à Glasgow en finale de la coupe d’Europe. Unité de lieu: le canapé de l'appartement où se côtoient les membres de la famille recomposée de Nicolas, fan de LASSE comme il l'appelle. Unité d'action: le match qui déterminera un avant et un après dans la vie de l'adolescent.laurent seyer
Quiconque a connu cette année 1976 se souvient de la ferveur qui soudainement s'était emparée des Français pour cette équipe des Verts, dont les membres étaient devenus des héros. Chacun, comme le rappelle l'auteur, avait son chouchou , chacun se souvient de ce match maudit où rien ne s'est passé comme prévu.
Lire Les poteaux étaient carrés c'est replonger dans cette période, mais c'est aussi découvrir un roman d'une extrême sensibilité, fluide et émouvant où un adolescent  porte un regard aigu sur un père qui n'en est pas vraiment un. Tout est suggéré de manière discrète mais efficace et les dernières pages du roman nous laissent un peu sonnés. Un grand coup de cœur.

 

Éditions Finitude 2018