22/08/2012
Acharnement
"dans le plaisir, également, quelque peu fébrile et grisant de manier des paroles qui détiendraient la puissance de se transformer en faits, de nommer (car tel est l'apanage de la langue du pouvoir) des actes et des décisions qui auraient une incidence directe et concrète dans le réel."
Longtemps speech writer d'un ministre,Müller vit désormais retiré à la campagne. Là, entre feuilletons télé et verres de Chartreuse, il tente de composer Le discours parfait.Sa solitude est à peine troublée par la présence quasi mutique de son jardinier, Marceau, seul lien qui le relie au village voisin. Pourtant,la tranquillité des lieux sera brisée par des suicidaires qui viennent se jeter du viaduc surplombant le jardin de Müller.
Commencé de manière quelque peu austère, Acharnement prend rapidement son rythme de croisière et brosse par petites touches d'abord, par grands pans ensuite, le portrait d'un homme, praticien de la langue et observateur lucide des moeurs politiques actuelles. Ceci nous vaut quelques portraits au vitriol de politicards tocards, quelques scènes croquées sur le vif mettant à jour la fatuité et l'histrionnisme de certains, morceaux de bravoure forcément réjouissants. Pour autant, même si l'on peut facilement mettre des noms sur certains personnages , tel n'est pas l'essentiel.
En effet, c'est surtout à l'usage dévoyé de la langue que s'attache l'auteur, fustigeant ces hommes politiques qui méprisent leur auditoire, auquel "il n'est même pas besoin de s'adresser en disant ce que l'on pense, mais simplement, ce que l'on croit qu'elle (cette masse) veut entendre, c'est à dire une adjonction de stéréotypes et de slogans, de tournures immuables , de grandes considérations morales creuses et d'émotions primaires". Aux speech writers d'alimenter en allocutions et réponses toutes prêtes, en bouillie de mots, ces hommes qui , dans la colère peuvent parfois se lâcher dans "une longue diatribe informe, décousue, mue par une rage sanguine et syncopée, traduisant (...) la bousculade des idées et des sentiments dans [leur] esprit" avant de retrouver leur self contrôle.
Le style est ample, le vocabulaire soutenu et le décalage, entre l'univers de Müller et celui du monde politique qu'il a quitté ,radical. Un roman acéré et vif, un regard nécessaire sur le monde politique actuel.
Un de mes coups de coeur de cette rentrée !
Acharnement, Mathieu Larnaudie, Actes Sud 2012, 199 pages corrosives.
Lu dans le cadre de l'opération On vous lit tout , organisée par Libfly et le Furet du Nord . Merci ! ....
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21/08/2012
Vole le chagrin des oiseaux
06:00 Publié dans à vos oreilles! | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : emily loizeau
20/08/2012
Quand nous étions grands
"Il était une fois une femme qui s'aperçut un beau jour qu'elle était devenue étrangère à elle même."
Qui aurait cru que cette jeune Rebecca, intello timide, épouserait sur un coup de foudre cet homme plus âgé qu'elle, père de trois fillettes et propriétaire d'une maison de famille où il organise des réceptions ?
Devenue mère à son tour, elle continuera à élever les filles de Joe et reprendra le flambeau de l'entreprise familiale au décès de son mari.
à cinquante-trois ans Rebecca , tout en organisant à tour de bras des réunions familiales ou non, prend le temps de faire le point sur sa vie, se demandant par exemple si Joe l'avait épousée pour son utilité , si leur amour ne reposait pas ur des malentendus (elle n'est pas aussi enjouée qu'elle le paraît) et surtout s'il était encore temps de faire des changements dans sa vie.
Sur une trame assez classique, Anne Tyler, par la finesse de ses observations, par l'entrain de cette famille recomposée atypique (le personnage de la première femme de Joe est un poème !), par cette élégance de l'héroïne qui signale en passant ses petits pincements au coeur mais sans jamais les transformer en récriminations, nous donne un roman plein de vie qui réchauffe le coeur !
Quand nous serons grands, traduits de l'anglais (américain) par Sabine Porte, Calmann-Lévy 2002, 343 pages qui se lisent toutes seules !
Déniché à la médiathèque.
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : anne tyler, les quinqua sont sympa
18/08/2012
La citation du jeudi qui arrive le samedi mais c'est pas grave.
"Oh, les femmes peuvent bien trouver le mariage relativement utile pendant cette petite phase de la maternité. Mais au fil des années, elles ont de moins en moins besoin de leur mari, alors que leurs maris ont de plus en plus besoin d'elles. Les hommes comptent sur l'écoute, l'émerveillement, les mais-oui-chéri-tu es extraordinaire, les repas équilibrés, les draps propres, les parquets cirés, et puis la surveillance de leur hypertension, les régimes sans sel, et la main dans la leur quand ils se retrouveront perdus à l'âge de la retraite. Et c'est alors que els femmes se mettent à rêver de prendre leur liberté. Elles se précipitent sur leurs déjeuners de dames, leurs réunions de clubs de lecture féminins, leurs expéditions entre filles dans le désert.
-Génial, Tina, intervint Zeb. Une chose est sûre, c'est que tu sais trouver les mots justes pour t'adresser à un couple de futurs mariés."
Anne Tyler, Quand nous étions grands (billet à venir)
06:00 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : anne tyler
17/08/2012
Les trois lumières...en poche
"Et c'est alors qu'il me prend dans ses bras et me serre comme si j'étais à lui."
Parce qu'ils sont surchargés d'enfants et qu'un nouveau bébé va bientôt arriver, une famille irlandaise confie l'une de ses filles à un couple de fermiers taciturnes, les Kinsella.
Pourquoi cette enfant et pas une autre, pourquoi ce couple ? à ces questions il ne sera jamais apporté de réponses claires.
De la même façon, c'est par petites touches que l'enfant- narratrice va prendre conscience tout à la fois de l'amour qui va se tisser entre elle et le couple qui l'accueille et du drame qui les a frappés.
Souffrance réprimée, cruauté consciente ou non, tout se donne à voir à travers des gestes en apparence insignifiants: quelques tiges de rhubarbe que personne ne veut ramasser, uin chien qu'on n'appelle jamais par son nom. à la curiosité inquisitrice, on répond par le silence, silence auquel la narratrice sera initiée .
C'est aussi tout un monde rural en voie de disparition qui se donne à voir ici, un monde plein de poésie qu'on savoure quand la journée de travail est enfin terminée.
Un univers riche en émotions et qui tient en une centaine de pages denses , cruelles, pleines d'émotions et qui se terminent avec une phrase parfaite d'ambiguïté.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15)
16/08/2012
La dernière nuit de Claude Eatherly
"C'est comme un sujet sur une photo qui n'arrêterait pas de bouger. (...) J'arrive pas à le saisir."
Quand la jeune photographe-reporter Rose Carter croise la route d'un certain Claude Eatherly en 1949 au Texas, elle est loin de se douter que ce vétéran de l'armée de lair occupera ses pensées pendant trente ans.
Fascinant, insaisissable, joueur de poker à ses heures- et peut être même au-delà- cet homme est le pilote de l'avion qui s'est assuré des conditions météo avant le bombardement d'Hiroshima. Mais le retour à la vie civile est loin d'être glorieux et, torturé apparemment par la culpabilité, Claude enchaîne petits braquages et séjours en hôpital psychiatrique.
La description de la relation trouble qui s'établit entre les deux protagonistes est finement analysée, riche en rebondissements et passionnante. Les informations sur l'utilisation de l'énergie atomique et ses conséquences, dans le monde de la guerre froide sont tout aussi éclairantes et c'est un pan entier de l'Histoire qui renaît ici à travers la vision sélective de Rose Carter.
Le style est impeccable, riche en notations dûment soulignées, et le temps passe trop vite en compagnie de Rose et de Claude. Un excellent cru !
La dernière nuit de Claude Eatherly, Marc Durin-Valois, Plon 2012, 340 pages.
L'avis de Clara
Celui d'Ys.
....
06:00 Publié dans rentrée 2012, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : marc durin-valois, bombe atomique
14/08/2012
Cliente
"Mais c'est quelqu'un de léger, qui ne pèse pas."
Judith, pimpante quinquagénaire, animatrice d'une émission de téléachat, n'éprouve aucune honte à utiliser les services tarifés de jeunes hommes pour combler le vide sexuel de sa vie. Elle a établi des règles très claires qui vont quelque peu vaciller quand elle rencontre Marco, escort-boy occasionnel.
Ce dernier n'a rien dit à sa jeune femme Fanny car tous deux galèrent pour obtenir leur indépendance financière et cet argent facilement gagné , en apparence, leur est plus que nécessaire. Mais évidemment, Fanny va découvrir le pot aux roses...
Je n'ai pas vu le film réalisé par Josiane Balasko, mais , vu la couverture du livre, j'ai tout de suite prêté les traits de Nathalie Baye à Judith et cela ne m'a en rien gêné car cette actrice possède à la fois la classe du personnage et cette capacité à assumer ces choix avec assurance et liberté. Comme Judith, on l'imagine autant à l'aise dans une boui boui infâme à se bâfrer de pizza que dans un cinq étoiles !
Josiane Balasko n'est en rien une styliste mais elle conduit de main de maître son récit, campe des personnages plus vrais que nature et n'hésite pas à appeler un chat un chat sans pour autant sombrer dans la vulgarité. C'est couillu et sensible à la fois, un mélange rare !
Cliente, Josiane Balasko, Livre de poche 2005, 251 pages pleines de vie !
Déniché à la médiathèque.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : josiane balasko, les quinqua sont sympa
13/08/2012
Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants
"Je comprends soudain que tu dois souffrir beaucoup avec moi. Parce que je suis puissante et exigeante avec les mots, moi aussi. Et le plus grave c'est que tu dois supporter mon anglais tous les jours. tu n'as pas de chance d'être avec moi."
Venue étudier l'anglais à Londres, une jeune chinoise de 24 ans va , sur un malentendu linguistique, emménager chez un londonien quadragénaire, sculpteur, végétarien et livreur.
Elle apprend "comme une folle" dit-elle et note sur un journal de bord, ayant comme entrée un mot dont elle a recopié soigneusement la définition, l'évolution de sa relation avec cet homme et ses étonnements devant la vie occidentale. Par la même occasion, le lecteur note les progrès linguistiques de Z, comme elle préfère qu'on l'appelle. Mais plus que la barrière linguistique ne serait-ce pas plutôt deux conceptions différentes d'une relation amoureuse qui risque de séparer les amants ?
Un regard étranger sur un mode de vie est toujours extrêmement intéressant et permet par la même occasion de glaner des éléments culturels sur le spectateur extérieur. De plus, ici, les caractères complexes des protagonistes confèrent une gravité au récit qui ne tombe jamais dans les pièges du pathos ou de la guimauve.
J'ai commencé ce récit avec plein d'a priori qui ont pris la poudre d'escampette très rapidment et je me suis vraiment régalée avec ce roman tout bruissant de marque-pages.
Un régal à s'offrir en poche !
Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants, Xiaolu Guo, traduit de l'angalis (Chine) par Karine Laléchère, pocket 2012375 pages à savourer !
L'avis de Florinette qui vous enverra chez plein d'autres !
Celui de Mango.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : xialu guo
11/08/2012
La citation du jeudi qui arrive le samedi mais c'est pas grave.
« Le chemin le plus court d'un point à un autre c'est de ne pas y aller. »
(Aphorisme de Philippe Gelück appliqué à la lettre par les ouvriers qui travaillent à la réfection des trottoirs de mon quartier.)
06:00 Publié dans Bric à Brac | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : philippe gelück
10/08/2012
Rupture...en poche
"Triste et solitaire , et incapable de casser le moule dans lequel sa vis s'était installée."
Un prof ouvre le feu dans un collège anglais.Trois élèves et un professeur tués. Suicide du meurtrier.Affaire bouclée en un rien de temps. Mais ce serait sans compter sans l'obstination de l'inspecteur Lucya May qui ne se contente pas de la version officielle qui satisfait un peu trop de monde.
Alternant les interrogatoires des différents protagonistes et la quête obstinée de Lucya, le récit avance et devient de plus en plus oppressant, brossant le portrait sans concession d'une société qui, cyniquement , sacrifie son système éducatif, détournant les yeux pour ne pas voir le harcèlement, la violence, le racisme qui la gangrène à tous les niveaux.
La solitude de Lucya, lâchée par sa hiérarchie, n'en devient que plus poignante et on avance le coeur serré au fur et à mesure que se déploie l'éventail de petites lâchetés qui, accumulées, ne pouvaient mener qu'au drame.
Une écriture qui nous ménage heureusement quelques bouffées d'humour mais pour mieux nous piéger au détour d'une information cruciale révélée quasi par inadvertance par l'un des protagonistes. Quand on croit pouvoir souffler un peu , Simon Lelic nous cueille du au creux du plexus solaire et l'on reste sonné devant cette montée de l'horreur.Un récit tendu mais qui laisse la part belle à l'humanité des personnages néanmoins. Un coup d'essai , Rupture est un premier roman, qui est un coup de maître
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : simon lelic, école