11/04/2011
Il baissa sa culotte et dans mon estime/Zeugmes au plat
"Il lui fit l'amour et des zeugmes au plat."
Hervé Le Tellier (auteur de la préface du second ouvrage)
En 2001, Maryz Courberand lui dédiait un chapitre et le titre de son ouvrage. Ne reculant devant rien, elle se fendait aussi d'un texte en comportant "une petite cinquantaine (ou une bonne quarantaine)" ; quand on aime on ne compte ni son temps ni les zeugmes.
Le zeugme, késaco ?, se demande le lecteur matutinal bouffi de sommeil et non d'orgueil mal placé. Est-ce
a/ un mot comptant pour 17 points au scrabble ?
b/ une figure de style dans laquelle se sont illustrés Pierre Desproges, Victor Hugo et beaucoup d'autres ?
c/un procédé, dixit Desproges , qui consiste à rapprocher grammaticalement plusieurs noms à un verbe ou à un adjectif qui,logiquement , ne se rapporte qu'à un des noms ?
Pas besoin d'aspirine !
Les trois , nous informe Pierre Bailly, qui lui consacre un petit traité faisant l'éloge de cette tournure à la fois humoristique et poétique. L'incongruité est la marque de fabrique du zeugme et peu nous chaut de savoir si oui ou non si ce bouleversement de la syntaxe est fautif ou pas. Les plus grands lui ont donné ses lettres de noblesse, de Hugo et son classique "Vêtu de lin blanc et de probité candide." à Renaud, plus trivial "Alors elle va manger une pizza / Au jambon et au centre commercial."
Mais le champion du zeugme double salto demeure sans conteste Desproges avec son fameux : "Après avoir sauté sa belle-soeur et le repas de midi le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane."
Si vous avez envie de vous lancer dans le zeugme et dans mes bras (pour me remercier), ce livre est fait pour vous car l'auteur avec générosité et clarté vous en livre le mode d'emploi ! Yapluka !
Il baissa sa culotte et dans mon estime (Bizarreries de langage) , Maryz Courberand, Mots & Cie 2001.
Les zeugmes au plat, Sébastien Bailly, Mille et une nuits, 2011.
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : maryz courberand, sébastien bailly
10/04/2011
Cette main qui a pris la mienne
"Vous autres, les jeunes, vous êtes obsédés par la vérité. C'est une chose qu'on surestime souvent."
Alexandra, rebaptisée Lexie par celui qui va lui mettre le pied à l'étrier et lui ouvrir les portes de l'univers londonien de l'art , a réalisé son rêve : devenir journaliste et mener sa vie professionnelle et amoureuse avec indépendance et insolence. Elle évolue avec aisance dans ce swinging London mais , comme nous en prévient bientôt l'auteure , Lexie ne vivra pas bien vieille...
Quarante ans plus tard, la naissance du bébé d'Elina et Ted vient perturber le bel ajustement de leur vie. Tandis que la jeune femme se remet difficilement d'un accouchement qui a failli lui coûter la vie et semble avoir perdu des pans entiers de sa mémoire récente, son mari, au contraire, recouvre sous forme de flashs des moments de son passé qui ne semblent pas correspondre à ce qui lui a été raconté par sa mère. Bientôt, il découvrira en quoi les non dits ont pesé sur sa vie.
Assez rapidement, on pressent de quelle manière les destins d'Elina et Lexie sont liés mais tout l'art de Maggie O'Farrell est de parvenir néanmoins à surprendre son lecteur et à le plonger dans un profond malaise.
Il est question ici de filiation et O'Farrell analyse avec une sensibilité extrême la manière dont à quarante ans de distance deux femmes se laissent bouleverser par l'arrivée de leur premier enfant, ce qui nous vaut de très belles pages, n'occultant pas l'aspect à la fois sauvage et exclusif de cette relation. Elle fait également la part belle au nouveau père qui se trouve quelque peu démuni devant cet enfant qui restera longtemps sans prénom...
Un roman plein de vigueur, d'énergie et de sensibilité qu'une fois commencé on ne peut lâcher et dont on prolonge à loisir la lecture pour en profiter un peu plus encore...
Ps: il faut passer outre le titre très harlequinesque et se régaler !
Cette main qui a pris la mienne, Maggie O'Farrell, traduit de l'anglais (Irlande) par Michèle Valencia, Belfond 2011, 419 pages à savourer.
Récompensé par le très prestigieux Costa Book Award.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : maggie o'farrell, famille, naissance, de l'importance des prénoms...
09/04/2011
Une fois deux...en poche
"D'une pierre deux coups, elle s'était débarassée des deux personnes qui comptaient le plus pour elle.
Essayez donc d'en faire autant !"
L'histoire d'amour entre Senta et Thomas ne pouvait commencer que dans la ville de Berlin, cette ville qui porte encore les traces de son ancienne déchirure...En effet, rien ne prédisposait ces deux quadragénaires (perso au début, je les imaginais plus jeunes) à se rencontrer. Situation classique donc mais que Iris Hanika va dynamiter avec un bel aplomb. La rencontre, figure imposée de la littérature amoureuse n'a jamais été racontée d'une manière aussi surprenante et mérite d'emblée d'entrer dans les anthologies !
Las, après l'éblouissement de la rencontre viennent les atermoiements de Senta, reine des autodestructrices (et des pleureuses), car elle se rend compte qu'elle est tombée amoureuse d'un homme qui n'est pas son genre...La description de l' héroïne battant du lait en mousse pour son amant, action domestique toute simple qui va tourner au désastre apocalyptique , et son explication ensuite, valent absolument le détour!
Iris Hanika nous promène dans la ville de Berlin comme elle nous balade de scène de théâtre en article d'encyclopédie voire en discours entreprenarial féministe comme en rêverait d'en entendre un jour !, le tout entrelacé de citations de chansons.
Et si comme Antigone, j'ai regretté les quelques longueurs, je me suis beaucoup divertie à la lecture de ce roman bourré d'énergie et d'humanité. Autre petit bémol: Senta la pleureuse impénitente a eu parfois le don de m'agacer mais bon...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : iris hanika
08/04/2011
L'homme qui marchait sur la lune...en poche
Rambo poète ?
Il n'a pas l'air commode sur la photo de 4 ème de couverture, Howard Mac Cord. Et le héros de L'homme qui marchait sur la lune non plus.
La" lune" est une "montagne de nulle part. Elle est délaissée par ceux qui y vivent à portée de vue, comme par ceux qui,à différents moments, peuvent être fascinés par son isolement et sa difficulté.(...) ses charmes (...) ne sont pas évidents et ne se dévoilent qu'à de rares marginaux."
Embarqué à la suite du narrateur dans une balade dans cette montagne en plein coeur du Nevada, le lecteur se dit d'abord qu'il va se régaler d'une ode à la nature, lyrisme et petits oiseaux à la clé.Que nenni !Il part surtout à la découverte progressive d'une personnalité hors du commun, au passé plein de violences et qui a une drôle de façon d'engager la conversation avec celui qui, on le découvre progressivement, le poursuit...
Epris de liberté, le narrateur se définit comme bougon, loin des montagnes et "[il ] ne tolère pas facilement la présence d'une barrière entre [lui] et la courbe infinie de l'univers." Nous avons ici un homme qui "maîtrise la monotonie", maîtrise de soi acquise par le tir ,et cette tension se , retrouve également dans la narration car petit à petit c'est dans un récit entremêlé de souvenirs réels ou imaginaires que le narrateur se dévoile et nous ne le lâchons plus, estomaqué par des découvertes que je vous laisse le plaisir de lire. Noces d'une nature âpre et d'un marcheur-escaladeur , "une constante en mouvement, jamais vraiment évident à définir par l'observation."
Le rythme s'accélère à la fin et le roman se termine sur les chapeaux de roues. Vous restez le souffle coupé.
Même si on peut rester dubitatif par rapport à certaines idées exprimées par le personnage, mais qui sont forcément en adéquation avec sa logique particulière, on ne peut qu'être séduit par ce texte qui rudoie le lecteur, le happe et le fascine
06:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : howard mccord
07/04/2011
Danbé
"On souffre tout seul et sans bruit et il n'y a personne alentour pour le voir ni pour l'entendre."
Née en France de parents maliens, Aya connaît une enfance plutôt heureuse, même si ses parents ne disposent pas de tous les codes leur permettant d'intégrer la vie en France.
La mort,dans un incendie criminel, de son père et de sa petite soeur va métamorphoser la petite fille : plutôt rebelle à l'école, ellle reste néanmoins fidèle au danbé, la dignité en malinké. La boxe lui offrira aussi une échappatoire et elle enchaînera les titres avec une apparente facilité.
Portrait troublant d'une jeune fille qui ne semble tirer ni plaisir ni orgueil des victoires sur le ring. Très peu de descriptions d'ailleurs de ses combats, Aya attache plus d'importance aux personnes qu'elle rencontre qu'à la manière de combattre.
Récit troublant aussi d'une vie où le mot "racisme" n'apparaît jamais mais où on ne peut s'empêcher de penser que si cette famille avait été blanche, elle aurait été logée dans un immeuble plus décent, traitée de manière moins désinvolte par certains avocats ou médecins et aurait ainsi évité bien des drames.
Un récit plein de dignité, sans pathos, mais qui m'a émue aux larmes.
Danbé, Aya Cissoko, Marie Desplechin, Calmann-Lévy 2011.
Merci à Chiffonnette pour le prêt !
L'avisde Stéphie qui organise une semaine Marie Desplechin !
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : aya cissoko, marie desplechin, boxe, portrait d'une résilente.
06/04/2011
La septième vague
"Et avec les mails, on passe aussi ensemble le temps qui sépare deux messages."
Leo Leike, en exil à Boston, est de retour. Emmi et lui vont donc pouvoir reprendre de zéro leur romance épistolaire (par courriel) basée sur trois grands principes: pas de rencontres, pas de sexe, pas d'avenir.
Mais , de part et d'autre de l'ordinateur, la situation a bien évolué et "la folle histoire" va reprendre de plus belle, sans doute avec de nouvelles règles, La septième vague balayant tout sur son passage...
Bon sang qu'ils m'avaient énervée ces deux -là, leurs atermoiements, leur jeu de chat et de souris ,leur minauderies presque. Et pourtant l'enthousiasme de Clara et Cuné ont eu raison de mes a priori et je me suis lancée.
Et là, je me suis régalée, cornant les pages à qui mieux mieux, appréciant les moqueries, l'autodérision "J'en ai assez de ne pas attendre ! J'attends !", la pudeur, la complexité des émotions, les coups de théâtre, la manière de fouiller au plus profond des sentiments sans pour autant sombrer dans la guimauve, l'utilisation des temps d'attente, les retournements de situation. On ne s'ennuie pas une minute, on est tenu en haleine jusqu'au bout et on sort de là , un peu étourdi, mais souriant !
La septième vague, Daniel Glattauer, traduit de l'allemand par Anne-Sophie Anglaret, Grasset 2011, 348 pages de mails et d'émotions.
L'avis de Tamara
De Fashion qui vous mènera vers plein d'autres !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : daniel glattauer, amateur de laurent voulzy passez votre chemin, merci !
05/04/2011
Une jeune fille aux cheveux blancs
"La vie est courte, autant avoir les idées longues."
Malgré ses réticences, Caroline fraîchement retraitée, teste le club de loisirs pour seniors auquel ses filles l'ont inscrite. Elle qui rêvait d'oisiveté, la voici donc en train de prendre des cours d'oenologie et de poterie avec des résultats pour le moins surprenants...
Epouse, mère, grand-mère , belle-mère , Caroline cumule sans souci toutes ces étiquettes mais n'aurait-elle pas laissé en friche la jeune fille qui est enfouie en elle ? Sensualité, humour, ne sont pas des mots que l'on a remisés par devers soi à soixante ans et Caroline entend bien profiter de la vie quitte à découvrir sur le tard les" joies" de l'épilation "ticket de métro" dans une scène particulièrement hilarante. Beaucoup de tendresse mais aussi quelques coups de griffes sur les stéréotypes dans lesquels on voudrait commodément enfermer les personnes âgées.
Le discours de Caroline à ses filles m' a évoqué celui du personnage de Maria Pacôme dans la crise (et c'est un compliment), dans le même esprit de revendication tranquille. Seul bémol: la fin un peu ratée car trop télescopée et démonstrative à mon goût.Une bien jolie entrée en littérature néanmoins !
Une jeune fille aux cheveux blancs, Fanny Chesnel Albin Michel 2011, 217 pages pour passer un bon moment.
Merci à Tamara pour le prêt et à Cuné pour avoir enfoncé le clou et joué les passeuses !
Clara a aimé la fin (mais pas que ! )
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : fanny chesnel, des vieux ? encore des vieux, toujours des vieux
04/04/2011
San Francisco
"C'est ma spécialité, les choses qui ne sont plus là."
Contrairement à ce que donne à penser le titre de ce roman de Catherine O'Flynn, l'action ne se déroule pas à San Francisco mais à Birmingham, ville où Franck présente les infos régionales sur une chaîne de télévision locale. Nettement moins exotique donc, pourtant le présentateur est très attaché à cette ville où son père, architecte autrefois renommé, a construit de nombreux bâtiments dans le style brutaliste .
Mais Birmingham, assoiffée de renouveau, fait abattre un à un ces immeubles tandis que Franck semble hanté par tout ceux qui disparaissent autour de lui : non seulement son vieil ami et prédécesseur, renversé sur une route de campagne par un chauffard, mais aussi celles de tous ces inconnus , morts en solitaire, à qui il s'efforce de redonner une identité.
La vie de Franck n'est en rien clinquante: entre les visites à sa mère qui entretient une vision cynique de l'existence , les petitesses ridicules du milieu médiatique dans lequel il évolue, sans compter les chemins boueux de la campagne où il habite, il y aurait de quoi déprimer !
Hé bien non, Franck vaille que vaille, trace sa route, élucide les mystères et parvient, presque malgtré lui à tirer son épingle du jeu , ayant accepté au final que le changement fait partie de la vie et qu'on ne peut rien contre lui.
Une ambiance un peu triste et feutrée, mais un style précis, en demi-teintes, entre humour et désenchantement qui confirme tout le bien que je pensais du premier roman de Catherine O'Flynn.
San Francisco (The News Where You Are), Catherine O'Flynn, traduit de l'anglais par Manuel Tricoteaux, Jacqueline Chambon 2011, 389 pages.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : catherine o' flynn, disparitions, télévision, vieillesse, temps qui passe
03/04/2011
Paroles de marche
"Certains pensent qu'ils font un voyage, en fait c'est le voyage qui vous fait ou vous défait." Nicolas Bouvier
C'est à Denis Boulbès, psychopédagogue retraité et "infatigable marcheur" que reviennent le choix et présentation de ce recueil de la collection "Carnets de sagesse" consacré à la marche.Il la replace dans son contexte historique, soulignant au passage que celle-ci est encore une nécessité pour les sept dixièmes de l'humanité et que ce n'est qu'au XVIIIème siècle, avec Rousseau , que lui sera adjointe la notion de plaisir. Auparavant primait celle d'exercice salutaire , tant pour le corps que pour l'esprit.
L'éventail des écrivains, pas forcément voyageurs , ayant célébré la marche est très vaste. Qui s'attendrait à trouver ici un texte, très beau d'ailleurs , de Jean Jaurès ou de Julien Gracq ?
Les photos de Joseph Rottner accompagnent notre parcours parmi ces extraits qui, bien évidemment nous donnent non seulement des envies de balades mais aussi de lectures ! La source des textes ainsi qu'une bibliographie des "classiques" à même de proposer une sagesse de la marche complètent idéalement ce carnet de route.
à offrir et à s'offrir sans plus tarder (10 euros)
Paroles de marche, Albin Michel 2011, collection Carnets de sagesse, 50 pages où piocher pour commencer un voyage immobile.
06:00 Publié dans Extraits, Les livres qui font du bien | Lien permanent | Commentaires (12)
02/04/2011
Les privilèges
"Les gens avaient des réactions bizarres avec l'argent. Ne pas le dépenser leur paraissait condescendant. Etre riche signifiait agir en riche, si cela avait le moindre sens, ne pas vivre de la manière dont on pouvait le faire à tout instant de la journée, c'est de la prétention à l'envers. Ou le désir de passer pour normal , ce que vous n'étiez pas."
Comment s'attacher à des personnages qui ont tout pour eux : jeunesse, beauté, richesse, à qui tout réussit et qui deviennent ultra-riches, perdant sans sourciller 480 000 dollars , pour donner un ordre d'idée ? On ne peut que suivre, fasciné par tant de perfection, leur évolution.
Ici pas de richesse ostentatoire, pas de citations de marques de luxe, pas d'amour effréné de l'argent. Il s'agit juste de s'offrir le meilleur à soi et à sa famille, créant ainsi une bulle confortable d'où l'on chassera sans vergogne toute émotion susceptible de bouleverser ce bel ordonnancement.
Bien évidemment tant de perfection n'est pas viable à long terme et chacun des membres de cette famille devra un jour affronter la cruauté d'un monde qu'ils ne pourront tenir éternellement à distance.
Un style impeccable et cruel en diable pour une histoire glaçante.
Les privilèges, Jonathan Dee, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Elisabeth Pellaert, Plon 2011, 298 pages fascinantes.
06:02 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jonathan dee, chez les heureux de ce monde...