07/07/2011
Le cuisinier
"-Eh! Il y a des gens à l'intérieur qui ont encore du travail !"
Sous-employé dans un restaurant suisse à la mode où on le cantonne aux tâches subalternes, le jeune réfugié tamoul Maravan, une fois licencié, concoctera à son compte des repas moléculaires et aryuvédiques aux propriétés aphrodisiaques. Loin de faire son bonheur, ces repas le mettront en contact avec des clients en apparence policés mais qui pratiquent l'hypocrisie avec une belle ardeur .
La Suisse, paradis fiscal en perte de vitesse en cette année 2008 demeure néanmoins celui des compromis et des tractations souterraines.
Dans ce roman, Martin Suter dénonce aussi bien les agissements des Tigres Tamouls rackettant leurs compatriotes réfugiés en Helvétie que les manigances des autochtones ,trafiquant d'armes par opportunisme, soulignant au passage l'importance d'agir en conscience, quelle que soit sa profession.
L'intrigue est parfaitement huilée( jusqu'au coup de théâtre final), les personnages bien campés, la style fluide et sans aspérités . D'où vient alors ce sentiment de rester quelque peu sur sa faim, un comble pour un texte célébrant la nourriture ? Peut être de la volonté de boucler à tout prix de manière optimiste, affaiblissant ainsi la portée d'un texte qui manque un peu d'acicidité.
Le cuisinier, Martin Suter, traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, Points Seuil 2011,317 pages qui se lisent sans déplaisir, pages suivies de quelques recettes destinées aux amateurs de cuisine exotique moléculaire...
Mais aucune recette de gâteau d'anniversaire pour fêter la cinquième année de ce blog !
06:00 Publié dans romans suisses | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : martin suter, cuisine tamoule
06/07/2011
Ariel...en poche, enfin !
"Elle a l'habitude de ce genre de choses.
Et ses ténèbres craquent et ses ténèbres durent."
Comme le rappelle Valérie Rouzeau dans sa préface"la biographie occulte parfois l'oeuvre [de Sylvia Plath] et c'est dommage."
S'imposant défi sur défi ,cette jeune poétesse américaine qui par amour pour Ted Hughes, s'était installée en Grande-Bretagne, avait laissé un recueil de poèmes encore en chantier , Ariel, poèmes dont elle était persuadée "Qu'ils feraient sa renommée" et qui ne paraîtront qu'en 1965, deux ans après que Plath se soit donné la mort.
Les notes de la traductrice- et poètesse elle même- Valérie Rouzeau- éclairent les poèmes et d'emblée nous précisent l'ordre voulu par Sylvia Plath pour organiser ce recueil, ordre que changea son mari Ted Hughes.
Si comme moi vous attendiez que ce recueil sorte enfin en poche, vous ne pouvez que dévorer ces poèmes fiévreux , pleins d'énergie, solaires , brassant les thèmes de la mort, de la chair corrompue, de la résurrection aussi, traversés par la luminosité des voilages blancs et du rouge qui blesse les yeux. ..
112 pages qui vont m'accompagner longtemps.
06:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : sylvia plath, valérie rouzeau
05/07/2011
Léger, humain, pardonnable
Martin Provost est un artiste aux multiples facettes. Réalisateur , entre autres de Séraphine et de Ou va la nuit, il est aussi l'auteur de la fable pleine de verve Bifteck.
Jugez donc de ma surprise quand j'ai entamé ce roman ,visiblement autobiographique ,qui nous raconte la vie d'une jeune garçon du côté de Brest.
La mort annoncée de la mère, près de laquelle sont venus se réfugier un frère et une soeur adultes ravivent les souvenirs d'une enfance pas si rose que cela. Entre un père plutôt rigide mais qui saura faire face avec un amour dont auraient pu douter les enfants à des révélations traumatisantes pour cet homme, et une mère bourgeoise qui s'est mésalliée, la vie était plutôt agitée.
Roman de facture plutôt classique donc, et je poursuivais ma lecture, vaguement ennuyée quand l'auteur m'a littéralement tordu le coeur et amené les larmes aux yeux en racontant la mort de son frère, comme si tout ce qui précédait n'était là que pour enchasser cette scène bouleversante.
Beaucoup d'émotion donc dans ce roman qui avance mine de rien avant de vous flanquer au tapis de manière magistrale.
L'avis de Clara, vile tentatrice s'il en est !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : martin provost
04/07/2011
Avec mon meilleur souvenir
à cause d'un documentaire chopé par hasard à la télévision, à cause d'un livre dont je parlerai prochainement, j'ai mis la main sur ce recueil de texte où Françoise Sagan évoque des moments heureux, brosse le portrait sensible des gens qu'elle a aimés : Billie Holiday, l'ogre Orson Welles qui la trimballait "comme un sac de vêtements à travers toutes les rues de Paris et les Champs Elysées" "sous prétexte qu'[elle] ne [se] fasse pas écraser", Sartre à qui elle écrivit une lettre d'amour/admiration.
Sagan évoque aussi son addiction au jeu, à la vitesse,dans des pages qui nous montrent- si on en avait douté - son talent de styliste. Sans oublier une évocation teintée de mélancolie de Saint Tropez qui n'est pas sans rappeler une autre habitante de cette station: Colette.
Mais c'est à la littérature que l'auteure de Bonjour tristesse consacre ses plus belles pages car elle lui voue un amour"d'une grande supériorité sur l'amour tout court, l'amour humain."car, selon elle, "la littérature en revanche offre à notre mémoire des coups de foudre autrement fracassants, précis et définitifs."Et Sagan de nous décrire avec un entousiasme intact sa rencontre avec les quatre textes qui lui "restent toujours comme des tremplins , des boussoles"dans cette "existence aisément qualifiable d'agitée", existence où elle affirme ne rien avoir appris.
Ces quatre textes ? Les nourritures terrestres (Gide), L'homme révolté (Camus), Les Illuminations (Rimbaud) et Proust bien sûr, dont elle recommande de commencer la lecture par Albertine disparue.
Pour conclure quelques phrases d'un chapitre qui mériterait d'être cité en entier :
"Je découvris que le don d'écrire était un cadeau du sort, fait à très peu de gens, et que les pauvres nigauds qui voulaient en faire une carrière ou un passe-temps n'étaient que misérables sacrilèges. Qu'écrire demande un talent précis et précieux et rare-vérité devenue inconvenante et presque incongrue de nos jours; au demeurant, grâce au doux mépris qu'elle éprouve pour ses faux prêtres ou ses usrpateurs, la littérature se venge toute seule: elle fait de ceux qui osent la toucher, même du bout des doigts, des infirmes impuissants et amers- et ne leur accorde rien- sinon parfois, par cruauté, un succès provisoire qui les ravage à vie." Des mots forts, définitifs et toujours d'actualité...
Avec mon meilleur souvenir, Françoise Sagan, Folio 2010 (1ère édition folio 1985)150 pages délicieuses .
06:03 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : françoise sagan
02/07/2011
La patience de Mauricette...en poche
"Je recycle la souffrance."
Un cahier jaune où elle écrit pour sa thérapeute.Un panier vert dans lequel elle trimballe de drôles de trésors. La tentation serait grande de résumer Mauricette à ces deux objets. Mais quand elle disparaît de l'hôpital où on soigne sa santé mentale, son ami Christophe Moreel va prendre conscience de la richesse de la personnalité de cette femme de soixante quinze ans, beaucoup moins ordinaire qu'il n'y paraît à première vue...
Entrecroisant passé et présent, Lucien Suel brosse le portrait d'une personne, marquée par la souffrance dès l'enfance mais qui trouve refuge dans les mots et dans la poésie en particulier. Débusquant les alexandrins dans les phrases de la vie quotidienne, jouant avec les mots, les triturant, les faisant rouler dans sa bouche, tout comme son "noyau de souffrance. Je le suce et le roule entre les gencives depuis des années. Quelquefois je le prends dans ma main et je la referme. Il est caché dans ma paume je regarde les taches de vieillesse sur le dos de ma main et je remets le noyau dans ma bouche." ,Mauricette recèle bien des trésors et des originalités littéraires...Ses mots partent parfois en roue libre, comme ses pensées, mais l'humour n'en n'est jamais absent : "Le mou des veaux, les mots de vous" et ce n'est certainement pas un hasard si Mauricette avait entrepris une anthologie regroupant les phrases où apparaît le mot "veau" comme un écho au livre de Lucien Suel et Patrick Roy Têtes de porcs moues de veaux (merci, Cath!). L'émotion est aussi au rendez-vous avec cette personnalité aux multiples facettes, qui "se conduisait dans l'univers moderne comme une femme des cavernes. Une femme d'avant l'invention des horloges et des tranquillisants ."Je marche avec les yeux au plafond.""et qui s'estime elle même être son pire tribunal...Ce pourrait être lourd et étouffant, c'est poignant, lumineux et plein de joyeuses surprises car l'écriture de Mauricette est d'une richesse poétique inouïe Un livre aux très nombreuses pages cornées, bien sûr. Un livre qui résonne longtemps en nous et qu'à peine fini on a envie de rouvrir pour mieux le savourer, plus lentement cette fois. Un gros gros coup de coeur !
03:45 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : lucien suel
01/07/2011
Histoire de commencer juillet...
"Chaque matin, il t'appartient de décider :
soit rien n'est grave, soit tout est grave."
Alain Chabat
Phrase commentée par Joann Sfar qui dit entre autres : "Je crois profondément qu lorsque je suis triste, c'est par paresse intellectuelle. Je lutte en décidant de rester joyeux et de ne pas embêter les autres."in Psychologies , juin 2011
06:19 Publié dans Bric à Brac, Je l'ai lu ! | Lien permanent | Commentaires (4)
27/06/2011
Les colocs
La colocation est en vogue chez les jeunes mais cette fois ce sont six amis entre 60 et 85 ans qui ont décidé de cohabiter, près du Bon Marché , à Paris.
Tous sont pittoresques et attachants, même les plus ronchons, et ils font fort à faire pour tenter de sauver le cabaret transformiste de Jean , qu' une société immobilière a décidé de remplacer par un hôtel de luxe.
Alternat moment d'émotions et d'humour, Les collocs est un roman sympathique qui souffre peut être d'un manque de rigueur dans la relecture. On s'étonne en effet qu'une dame ayant de graves ennuis de santé n'utilise pas le fauteuil roulant qui lui avait été conseillé et trotte allègrement ou presque au chapitre suivant.
L'écriture est agréable et j'ai passé un bon moment en compagnie de ces six loustics qui ne m'ont pas ennuyé une seconde.
Les colocs, Vincent Pichon-Varin, Le Cherche -Midi 2011, 224 pages.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vincent pichon-varin
25/06/2011
Stupeur et tremblements/Les myrtilles
Récit d'un harcèlement moral d'une jeune française dans une grande entreprise japonaise, récit d'une fascination aussi entre "maître" et "esclave", Stupeur et tremblements reste un de mes romans préférés d'Amélie Nothomb , qui n'est jamais aussi bonne que quand elle parle d'elle même, à mon avis.
En soutien aux victimes du tremblement de terre du 11 mars 2011, l'auteure et le livre de poche ont décidé de ressortir ce livre et de lui adjoindre une nouvelle inédite, Les myrtilles dans une édition à ne rater sous aucun prétexte.
D'abord parce que l'intégralité des bénéfices sera versé à l'association Médecins du monde mais aussi parce que tout dans cet objet est parfait: le coffret de carton avec ses impressions différentes recto et verso ,avec ses découpes laissant apparaître d'un côté le titre du roman et de l'autre celui de la nouvelle.
Deux autres couvertures pour le roman proprement dit qui devient aussi un "flip book" ou "folioscope" car feuilleté rapidement la petite geisha de bas de page s'anime et salue.
Quant à la nouvelle inédite, son objectif est de nous montrer une "parcelle de la splendeur du Japon" et nous relate une rencontre lumineuse et parfaite sur un volcan japonais...Le texte est vraiment très court mais sa pésentation en est si réussie que je ne me lasse pas de l'admirer :un texte présenté sous forme d'accordéon , agrémenté de motifs japonais (grues, fleurs de cerisiers, carpes...) d'une extrême délicatesse.
à (s')offrir sans plus attendre !
05:45 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : amélie nothomb, japon
24/06/2011
les veuves d'Eastwick...en poche
"Pour revoir la scène de notre fleur de l'âge."
Trente ans après, Les sorcières d'Eastwick sont devenues Les veuves d'Eastwick et reviennent sur les lieux de leurs forfaits, nettement moins séduisantes et avec des pouvoirs affaiblis. A leur actif autrefois, sexualité débridée et mort provoquée par leurs incantations. pas sûr que leur retour soit apprécié par les autochtones...
Ultime roman de John Updike, Les veuves d'Eastwick souffre dun début laborieux. Certes les voyages en Egypte et en Chine permettent d'enviasger la mort sous des formes différentes mais on a parfois l'impression de lire un guide de voyage en à peine moins ennuyeux. Passé ces trente premières pages ,on se laisse enfin charmer par ces sorcières qui ont vieilli mais n'ont rien perdu de leurs fortes personnalités. C'est l'heure des bilans et même si certaines se voilent la face, il n'est guère brillant. Tout à leur envie de liberté, ces femmes ont négligé leurs enfants et une seule sorcière essaiera de combler le fossé qui s'est creusé entre sa fille aînée et elle.
Le propos est sombre, sans concessions, on s'est bien amusé mais les temps ont changé et les sorcières , à l'image des Etats-Unis, ont perdu de leur superbe. Updike les décrit de manière lucide et presque cruelle ces femmes riches ou moins riches mais jouissant d'une liberté confortable.
Des pages explicatives techniques alourdissent parfois le propos et l'on sort de ce roman inégal un peu désenchanté mais néanmoins ravi d'avoir retrouvé Alexandra, Jane et Sukie.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2)
23/06/2011
La vie sexuelle des libellules
"Des fois elle est chiante la poésie
Elle arrive sans qu'on l'invite"
prologue :ouvert au hasard en pleine période toutmetombedesmains *, je découvre ceci :
"Pas envie de lire
sauf une lettre anonyme
truffée d'insultes injures insinuations salaces
que je trouverai dans ma boîte aux lettres un samedi matin
en revenant du marché
C'est sûr je reconnaîtrai l'écriture
puisque c'est moi qui l'écrirai"
J'étais cuite.
Des libellules et de leur vie sexuelle il n'en sera fait mention qu'une seule fois, au passage. Tant pis pour les odonatologues **, tant mieux pour les amateurs de poésie, libre et foutraque car Bernard Friot se lâche dans ces textes jouant avec l'espace, avec les mots, y compris les gros, dans une énergie débordante et jubilatoire.
Pas de titres, sauf parfois un vers qui se détache et qu'on pourrait considérer comme tel. Pas facile donc de les identifier mais pas grave, on s'en arrange et on avance. Comme on s'arrange de cette vie quotidienne semblable à un théâtre où des "morts vivants" sont "trimballés cahin-cahot dans le bon vieux métro brinquebalant". Heureusement que le poète-Créateur est là pour "allumer dans leur cervelle éreintée quelques ampoules / basse tension .
Célébrant l'amitié "allez on continue", l'imagination, Bernard Friot vitupère contre cette société qui fait la part belle aux messages prémâchés de la publicité:
"fraîcheur citron en super-promotion
donnez-moi ma ration d'illusions"
A chaque page, on glane des vers, des trouvailles, des surprises en pagaille et les "dessins et gribouillis" de Bruno Drouin, sans oublier une couverture facétieuse qui joue aussi les 4 èe de couv', (gare aux étourdis qui trouveront le texte sans dessus dessous !)contribuent à cette atmopshère créative en diable !
La vie sexuelle des libellules, Bernard friot, Milan 2011, 93 pages*** enthousiasmantes !
*Oui, je sais c'est dur à croire vu mon rythme apparent de croisière mais ça sert aussi à ça un blog : embellir la réalité !:)
** scientifiques étudiant les libellules (appris dans un autre livre commencé, et abandonné pour l'instant).
*** dont certaines ont été testées et approuvées par mes élèves !
06:00 Publié dans Jeunesse, Les livres qui font du bien, Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : bernard friot, amis libidineux passez votre chemin !