23/03/2017
Au début de l'amour
N'y a-t-il pas quelque chose qui les lie l'un à l'autre malgré tout ? "
Stella , mariée, une petite fille de quatre ans, mène une vie très calme dans un quartier résidentiel de banlieue. Elle est infirmière à domicile et ses patients âgés sont quasiment les seuls adultes avec qui elle peut discuter, son mari, un taiseux par ailleurs, étant souvent au loin pour son travail.
Pourtant, quand un inconnu sonne à sa porte alors qu'elle est seule chez elle, elle refuse de lui parler. Il insiste et peu à peu s'installe un harcèlement d'autant plus insidieux qu'il remue en Stella des sentiments contradictoires et la mène à s'interroger sur sa vie et ce qu'elle est devenue.
Plus que le phénomène de stalking (harcèlement), ce que Judith Hermann dépeint ici , c'est la prise de conscience de la petitesse de nos vies comparée à ce que nous en attendions et le personnage de la meilleure amie, exilée à mille kilomètres de Stella, tout comme le réparateur de vélos, aident aussi l’héroïne à ne prendre conscience.
Premier roman de Judith Hermann (autrice auparavant de recueils de nouvelles) Au début de l'amour est un texte d'une redoutable efficacité qui, avec une grande économie de moyens, installe une atmosphère épurée et anxiogène.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : judith hermann
21/03/2017
Quand monte le flot sombre
"Ces deux mois ont été très longs. Elle était beaucoup plus jeune, il y a deux mois. Elle avait traversé la soixantaine et dépassé les soixante-dix ans en marchant régulièrement sur un plateau des années durant, mais, maintenant, elle a brusquement descendu une marche. Voilà ce qui se passe. Elle sait tout là-dessus. Elle a été avertie plusieurs fois de l'existence de cette marche vers le bas, de cet étage inférieur. Ce n'est pas une falaise de la chute, mais c'est une descente vers un nouveau genre de plateau, vers un niveau inférieur. On espère rester sur ce terrain plat encore quelques années, mais on peut ne pas avoir cette chance."
Tandis que Fran sillonne l'Angleterre, évaluant des maisons de retraite, des inondations menacent, métaphore poétique de la mort dont sont proches presque tous les personnages du roman de Margaret Drabble Quand monte le flot sombre.
Pour autant ce roman n'est en rien lugubre ou désespérant. Fran est pleine de vigueur et ses amis ou connaissances abordent le dernier rivage avec, sinon, sérénité, du moins sans acrimonie. Il est vrai qu'ils ont eu des vies plutôt protégées, du moins dans leur âge adulte, riches d'un point de vue intellectuel et bénéficient de conditions de fin de vie confortables. Veuve mais s'occupant d'un ex-mari alité, Fran entretient aussi des relations subtiles, parfaitement décrites ,avec ses enfants, mais néanmoins empreintes d'une tendresse prudente.
Avec sa finesse et son humour parfois acidulé, Margaret Drabble nous livre une analyse psychologique fouillée, tissée de citations poétiques ou littéraires ,mais aussi un portrait d'une certaine Angleterre. Avec empathie, mais se tenant aussi à distance de ses personnages pour éviter tout pathos, la narratrice du roman affirme ignorer certaines de leurs pensées ou balayer d'un revers de la main, sans précisions, la fin de certains d'entre eux.
Un bon gros roman anglais comme on les aime!
Quand monte le flot sombre, Margaret Drabble, Christian Bourgois , 2017,Traduit de l’anglais par Christine Laferrière.
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16/03/2017
La vie selon Florence Gordon...en poche
"La croulante scandaleuse."
Florence Gordon, 75 ans, est une icône féministe à l'esprit aussi acéré que la langue.Plus penseuse qu'épouse, mère ,voire grand-mère, elle entend bien, vu son âge, se consacrer tranquillement à ses mémoires, mais le monde conspire pour qu'il en soit autrement.
Forcée de faire appel à sa petite fille, Florence entend bien ne pas lâcher le cap et ne pas changer d'un iota son comportement, tout sauf agréable.
Magnifique portrait de femme au crépuscule de sa vie, La vie selon Florence Gordon est aussi un récit de transmission. C'est plus par l'exemple que par les paroles que la grand-mère, tout sauf gâteau, montrera la voie à sa petite-fille.
Allez savoir pourquoi, tout au long de ma lecture, j'ai visualisé Florence sous les traits d'une romancière, non pas new-yorkaise ,mais britannique, la grande Doris Lessing, regrettant au passage que Brian Norton n'ait pas su donner davantage d'épaisseur à ses personnages. Un bon moment de lecture néanmoins.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : brian morton
09/03/2017
Quoi qu'il arrive ...en poche
"Le sujet du tableau, c'est la multitude de chemins que l'on n'emprunte pas, la multitude de vies que l'on ne vit pas. Il l'a intitulé Quoi qu'il arrive."
La rencontre, accidentelle, entre Jim et Eva a lieu en 1958. Trois versions pour une rencontre entre ces jeunes gens nous sont proposées.Trois versions pour deux vies qui verront se concrétiser, ou pas, ce qui est encore en germe.
Choisissant un montage alterné, Laura Barnett nous offre la réjouissante possibilité de voir les conséquences de nos choix, conscients ou pas, héritages plus ou moins assumés de nos histoires familiales
Car il est aussi beaucoup question de familles dans ce roman qui choisit de conserver aux principaux protagonistes leurs origines dans tous les cas de figure.
La littérature, l'art dramatique et la peinture sont aussi des fils conducteurs de ce roman qui nous promène de Cambridge à Londres en passant par Los Angeles , Paris ou l'Italie, car nos héros ont quelque peu la bougeotte ! Nous les suivons ainsi jusqu'au soir de leur vie, partageant leurs vies riches en émotions.
On prend beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman original et enlevé qui réussit le pari de ne jamais perdre son lecteur en chemin, même s'il faut accepter en début de chapitre de ne pas savoir immédiatement de quel version il s'agit. Un léger flou artistique dont on s'accommode fort bien. Un petit bonheur de lecture dont on aurait tort de se priver !
Quoi qu'il arrive, Laura Barnett, traduit de l'anglais par Stéphane Roques
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : laura barnett
27/02/2017
Les filles des autres
"...les gens étaient prêts à tout accepter, sauf la vérité."
Julie Whitaker, 13 ans, se fait enlever sous les yeux de sa sœur. Huit ans plus tard, une jeune fille blonde et amaigrie s'évanouit à la porte de la famille Whitaker.C'est Julie. Ou pas. Car d'emblée le doute s'instille dans l'esprit de la mère de famille, et donc dans le notre car c'est ce personnage qui prend en charge la partie essentielle de la narration. L'autre est assumée par des narratrices qui remontent le temps et traversent bien des épreuves. L’alternance des deux évite de plonger trop dans le pathos et déroute assez le lecteur dans un premier temps, avant que tout ne s'éclaire à la toute fin du roman.
L'aspect policier reste quasi anecdotique, le récit étant davantage centré sur les relations mère/fille et sur les mensonges au sein d'une famille passablement ravagée par cette disparition.
Mais plus que l'aspect psychologique, d'ailleurs plutôt réussi, c'est le côté manipulateur de ce roman qui m'a séduite. En effet, il n'y a en apparence que deux solutions possibles au problème initial: soit l'enfant enlevé est bel et bien revenu (effusions, bla bla bla), soit c'est un imposteur (qui ? pourquoi ?).
Amy Gentry opte pour une solution médiane, sans pour autant frustrer son lecteur. En dépit de quelques longueurs, le texte est bien écrit, fluide et nous ferre d'emblée. Il y a longtemps que je n'avais été captivée par un tel suspense !
Les filles des autres, Amy Gentry, traduit de l’américain par Simon Barril, Robert Laffont 2017.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : amy gentry, suspense
19/02/2017
La douleur porte un costume de plumes...en poche
C'est ce que je fais, je lui offre des performances décousues , des trucs de corbeau. je crois qu'il a un peu l'impression d'être un chamane de Stonehenge qui entend l'esprit de l'oiseau. Moi ça me va tant que ça le fait tenir.)
Mégalithe !"
Un corbeau gigantesque investit le logis et la vie d'un jeune veuf et de ses deux enfants. Usant parfois d'un sabir déclamé en tirades rythmées (bravo au traducteur) ou de méthodes thérapeutiques inédites, le corvidé va insensiblement ramener les humains ,qu'il tarabuste et protège à la fois, du côté de la vie.
Le père n'est pas dupe du fait que "La frontière était mince entre mon imaginaire et le monde réel" et cette ambivalence est aussi marquée par les besoins qu'il affirme avec véhémence: ceux du quotidien , mais aussi ceux de la culture.
Le dérèglement de leur existence, leur souffrance mais aussi les éclats de rire et l'amour qui persistent malgré tout, l"ajustement constant "que lui a appris le corbeau, tout ceci est restitué avec délicatesse dans un roman choral court où se donne à entendre une voix parfois maladroite ,mais qui possède un style bien à elle, jouant avec la typographie et l'espace .
Une expérience à tenter !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : max porter
15/02/2017
Les bottes suédoises
" L'automne serait bientôt là.
Mais l'obscurité ne me faisait plus peur."
La maison de Fredrik Welin , héritée de ses grands-parents, brûle. Réveillé en sursaut, le médecin à la retraite qui vit seul sur une île de la Baltique, n'a que le temps de se ruer dehors, deux bottes bottes gauches aux pieds.
Bizarrement, plus que la destruction de souvenirs et de son logis, ce sont les soupçons qui pèsent sur lui qui semblent davantage le perturber.
Cette table rase involontaire va le conduire à se remémorer son passé, pas toujours glorieux en ce qui concerne ses relations avec les femmes, mais aussi à se rapprocher un peu de sa fille, farouchement indépendante, Louise.
Pas de bons sentiments, notre héros ne se révèle pas forcément sympathique , mais un récit émaillé de réflexions sur la mort qui rôde autour de Fredrik et dont il prend de plus en plus conscience. Un récit crépusculaire mais apaisé.
Les bottes suédoises,Henning Mankell, traduit du suédois par Anna Gibson, le seuil 2016, 353 pages que j'ai pris le temps de savourer.
C'est la suite indépendante du roman Les chaussures italiennes clic.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : henning mankell
07/02/2017
Dans la forêt
"Avant j'étais Nell, et la forêt n'était qu'arbres et fleurs et buissons. maintenant , la forêt, ce sont des toyons, des manzanitas, des arbres à suif, des érables à grandes feuilles, des paviers de Californie, ses baies, des groseilles à maquereaux, des groseilliers en fleurs, des rhododendrons, des asarets, des roses à fruits nus, des chardons rouges, et je suis juste un être humain, une autre créature au milieu d'elle."
Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans sont sur le point de quitter le domicile familial au cœur de la forêt pour que l'une s'inscrive à Harvard et l'autre vive son rêve de danse.Las, la civilisation bascule, l'essence, l'électricité disparaissent, après la mère, c'est le père qui meurt à son tour. Les deux jeunes filles, à l'écart de la ville vont donc devoir, seules, survivre en autarcie au sein d'un univers sylvicole qu'elles ne connaissent que de manière superficielle.
Emprunt de sensualité, le roman de Jean Hegland ne dépeint pas ses héroïnes dans une volonté de domination de la nature, voire de reconquête de la civilisation à toutes forces. D'abord dans le déni, puis dans l'abattement, elles se raccrochent chacune à leur passion, l'étude, la danse, et il leur faudra un long temps pour se réapproprier la forêt, inconnue et menaçante.
On sent même de la part de la narratrice, Nell (porte-parole de l'autrice ?), l'idée d'une certaine acceptation d'un état de faits dont il faut s'accommoder de la manière la moins mauvaise, car cette disparition d'une civilisation n'est pas une nouveauté dans l'Histoire. à nous d'éviter de commettre de telles erreurs, un message que les deux sœurs semblent nous adresser .
Un roman puissant et sensuel.
Dans la forêt, jean Hegland, traduit de l’américain par Josette Chicheportiche, Gallmeister 2017, 301 pages piquetées de marque-pages.
Noukette recense tous ceux qui l'ont aimé !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : jean hegland
06/02/2017
Le dimanche des mères
"...en ce jour unique entre tous, où c'était le monde à l'envers, se placer, lui seigneur des seigneurs qu'il était, dans le rôle du serviteur."
Angleterre, printemps 1924. C'est Le dimanche des mères (rien à voir avec ce qui sera instauré plus tard),le jour où les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu'elles puissent visiter leurs mères. Un jour où il fait exceptionnellement beau, de quoi donner à Jane, la femme de chambre orpheline,envie de lire au soleil un des romans d'aventure que lui prête son employeur, ou de parcourir la campagne à bicyclette. Elle rejoindra plutôt le fils des aristocrates voisins, dernier survivant d'une fratrie fauchée par la guerre 14.
Arrivés là, vous vous dites qu'on peut déjà dérouler à l'avance le fil de l'histoire et, comme moi, vous aurez tort. D'abord, parce que la relation qui s'établit ce jour-là entre les deux amants est très particulière, emplie de sensualité , de liberté, de renversement de situation comme annoncé dans la citation de ce billet. Ensuite parce qu'au milieu du roman, un événement surgit, qui va totalement changer la donne et sera même l'occasion à la fin du roman d'une nouvelle interprétation. Enfin, parce que Graham Swift titille notre curiosité en parsemant son texte d'indices qui donnent à penser que la destinée de Jane va prendre une toute autre direction.
De magnifiques images,celle d' une femme nue s'appropriant une demeure où elle n'a pas sa place, la peinture d'un monde déliquescent, où les seuls véritables vivants sont les domestiques, une domestique intelligente et primesautière qui saura prendre son destin en main, font de ce roman un indispensable !
Le dimanche des mères, un roman de 144 pages lumineuses, commencé sur la seule foi du nom de l'auteur, traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Gallimard 2017.
Du même auteur clic.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : graham swift
01/02/2017
Attachement féroce
"J'avais dix-sept ans, elle cinquante. Je n'étais pas encore une belligérante aguerrie, juste une adversaire respectable, tandis qu'elle était au summum de son art. Les lignes de front étaient bien tracées, et ni l'une ni l'autre ne se dérobaient au combat. On se jetait systématiquement sur l'appât de l'autre. Nos crises n'étaient pas sans impact sur l'appartement: la peinture cloquait, le linoléum se craquelait, les vitres tremblaient. Nous n'étions jamais très loin d'en venir aux mains et, à plusieurs reprises, nous avons frisé la catastrophe."
Une mère et sa fille arpentent les rues de New-York.C'est laplus jeune qui raconte ces promenades suscitant des souvenirs, des récits, des portraits saisissants de vérité, tout un univers populaire qui resurgit. Petit à petit se construit la trame d'une relation mère/fille, à la fois intense, étouffante mais impossible à dénouer tant l'amour et la haine y sont intrinsèquement mêlés.
La mère se révèle un personnage à multiples facettes, tantôt s'abandonnant avec une sorte de jouissance à la douleur du veuvage, tantôt relevant la tête et travaillant pour élever son fils et sa fille. La communication ne semble guère passer entre les deux femmes, la fille ne parvenant pas , par exemple, à transmettre ses enthousiasmes, aussitôt "douchés"par la mère.Pourtant, l’amour entre elles est bien réel.
"Attachement féroce"cette alliance surprenante de mots est un procédé qui revient à plusieurs reprises dans ce récit autobiographique pour souligner toute l’ambiguïté et l’intensité des sentiments décrits. En effet, on a parfois le sentiment d'étouffer dans ce récit ,surtout quand la mère reste confinée dans son salon, pièce saturée par sa douleur de veuve .
Il n'en reste pas moins qu'on se trouve devant un sacré gros morceau de littérature qui parlera à toutes, mère et/ou fille.
Attachement féroce, Vivian Gormick, magnifiquement traduit de l'anglais (E-U) par Lætitia Devaux, Rivages 2017, 222 pages tout sauf confortables mais indispensables !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : vivian gornick