27/10/2016
J'ai vu un homme...en poche
"Aucun de leurs choix n'avait été malintentionné. Et cependant, leur combinaison avait engendré plus d'obscurité que de lumière."
Pourquoi Michael Turner explore-t-il la maison de ses voisins en leur absence ? Voilà à peine sept mois qu'il s'est installé à Londres et très vite, il est entré dans l'intimité des Nelson, une sympathique petite famille.
Différant la réponse à cette question, le récit remonte le temps ...
Michael peine à se remettre du décès de sa femme, Caroline, journaliste tuée au Pakistan. Il n'est pas le seul : le commandant Mc Cullen ,responsable de cette mort, semble lui aussi perturbé par ce cadavre de trop et l'américain qui ne supporte plus d'être "dissocié de ses actes" , a bien l'intention d'agir et d'assumer les conséquences ,par-delà les frontières ,d'une décision prise sans états d'âme.
Owen Sheers , dès la première phrase de son roman, instaure un malaise qui ira s'amplifiant et perdurera même quand sera identifié "l'événement qui bouleversa leur existence". En effet, les liens , bien plus complexes qu'il n'y paraît à première vue, entre les différents personnages, vont les entraîner dans des chemins très tortueux .
Remords, conflits de loyauté, culpabilité sont analysés avec finesse et sensibilité. La narration est extrêmement efficace, le lecteur se perd en conjectures sur la nature de cet événement avant de rester le souffle coupé.Le récit,ponctué de réflexions sur l'écriture (Michael est écrivain), gagne encore en profondeur et crée même peut être une mise en abyme, comme semble le suggérer la dédicace...
Un roman qui nous ferre d'emblée et qu'on ne lâche pas car il allie , et c'est rare, qualité de l'écriture et subtilité de la narration. Du grand art !
Il y avait la page 51 de David Vann il y aura maintenant celle d' Owen Sheers (je me garderai bien de vous donner sa numérotation !)
J'ai vu un homme, Owen Sheers, traduit de l'anglais par Mathilde Bach, Rivages 2015, 351 pages insidieusement addictives. Rivages poche 2016
Et zou, sur l'étagère des indispensables! Nuits blanches en perspective !
Une dernière citation pour la route :" Une histoire qui n'est pas racontée , dit-elle en le pointant d'un doigt accusateur, c'est comme une décharge. Enfouis-la tant que tu veux , elle finira toujours par refaire surface."
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : owen sheers
24/10/2016
Le linguiste était presque parfait...en poche
"Hoosier: subst, étymologie obscure et ennuyeuse. Crétin de Blanc assorti d'une grasse épouse blanche qui mange des légumes verts, accroche un silencieux à son pot d'échappement à l'aide d'un cintre, et laisse traîner des réfrigérateurs dans son jardin pour que des enfants s'étouffent à l'intérieur."
Quoi de plus calme en apparence qu'un institut de linguistique étudiant le langage des nourrissons ? Et pourtant, outre leurs inimitiés, l'intérêt maniaque porté aux mots prononcés , ces charmants linguistes doivent aussi penser à l'avancement de leurs carrières professionnelles , de leurs projets amoureux, veiller au maintien des subventions qui leur sont accordées , voire même sauver leur peau. En effet, l'un d'entre eux vient d'être assassiné. Jeremy Cook va mener sa propre enquête sur le meurtre de son collègue de manière bien peu orthodoxe, utilisant ce qu'il connaît le mieux : la linguistique !
Le microcosme évoqué dans ce nouveau roman de David Carkeet n'est pas sans rappeler celui de David Lodge mais avec des personnages encore plus farfelus et déjantés qui parviennent à rendre la linguistique follement attrayante (ce qui n'est pas une mince affaire, vous l'avouerez !). L'auteur joue à merveille des oppositions entre ses personnages et nous entraine avec un sérieux imperturbable dans un monde où les énigmes dignes de Gaston Leroux sont résolues grâce à des signaux linguistiques ! Un monde fou fou fou qui nous distrait avec intelligence et bonne humeur !
Le linguiste était presque parfait, David Carkeet, traduit de l'anglais (E-U) par Nicolas Richard, Monsieur Toussaint Louverture 2013, 287 pages .Points Seuil 2016.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : david carkeet
14/10/2016
Etta et Otto (Et Russell et James)...en poche
"Quelques mois auparavant, elle avait commencé à se sentir entraînée dans les rêves d'Otto à la place de siens, la nuit."
Etta, quatre-vingt-trois n'a jamais vu l'océan et décide un beau jour de parcourir les milliers de kilomètres qui l'en séparent depuis sa ferme du Saskatchewan. Elle laisse derrière elle son mari, Otto et leur ami, Russell.
Au fur et à mesure de ce périple, le passé affleure et , au fil des rencontres et des souvenirs, se tisse un texte à la fois poétique, simple et plein de fraîcheur qui éclaire, tout en délicatesse, les rapports qui unissent ces personnages, bien plus complexes et riches qu'il n'y paraît de prime abord.
Les drames, petits ou grands , se laissent deviner, rien n'est jamais clairement nommé, tout est dans l'implicite, les paroles parfois échangées par la seule force de la pensée et c'est beaucoup plus efficace.
Quant à James, mon personnage préféré, je vous laisse le soin de faire sa connaissance.
Etta, Otto, des prénoms presque semblables pour des personnages qui se fondent l'un en l'autre par le biais de leurs rêves, un récit en forme de boucle, qui se joue du temps et de l'espace. Un roman magnifique et dont les personnages m'accompagneront longtemps !
Q
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : emma hooper
13/10/2016
L'éternel rival
"Il est vrai, se dit-elle, que personne ne connaît vraiment le passé d'autrui.Pourquoi devrions-nous le connaitre ? Dès la sortie de la matrice, nous habitons des mondes différents."
Avec L'éternel rival se clôt brillamment la trilogie dite "Des enfants du Raj". Personnage le plus mystérieux, le plus romanesque donc, dont la vie engendre de nombreuses "légendes", Terence Veneering est peut être celui qui reste le plus surprenant.
Rival tant dans le travail qu'en amour du juge Filth, ce héros aux origines controversées, nous est dépeint au soir de sa vie . S'il se remémore le passé, il ne l’idéalise pourtant pas, ce qui nous vaut un portrait sans fard de son amante, Betty.
Personnages excentriques et toujours vaillants en dépit de leur grand âge, tous sont dépeints avec bienveillance et nous entraîne dans un récit qui évite toutes redites et ne lésine pas sur les révélations. Un final parfaitement réussi !
L'éternel rival, Jane Gardam, Traduit de l’anglais par Françoise Adelstain,Lattès 2016.
06:00 Publié dans Rentrée 2016, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jane gardam
05/10/2016
Le journal intime de Baby George
"Maman est tellement épuisée par Ringo qu'elle a un mal fou à rester éveillée. Heureusement, Dada lui a appris à dormir les yeux ouverts, comme une crevette, un truc qui se transmet de génération en génération. Maman est ravie d'y être arrivée. Elle dit qu'elle n'a pas le moindre souvenir de la journée mais ça ne se voit pas du tout sur les photos."
Pas besoin d'être abonnée à Point de vue pour craquer sur le trop mignon Baby George ! Aussi, me suis-je précipitée sur son journal intime "Le meilleur livre d'une enfant de deux ans que j'ai lu cette année." comme l'affirme la citation apocryphe de Huhg Grant. Je confirme.
Seule une anglaise pouvait trouver le ton juste pour dépeindre les coulisses de la famille royale britannique, s'en moquer gentiment et la rendre infiniment sympathique. Les chahuts des frères et belle-sœur, les tiraillements de la jalousie de George envers la petite sœur à naître, sans oublier la nuée de conseillers improbables qui entoure la royale famille, tout cela est délicieusement croqué et nous fait passer un excellent moment ! à (s') offrir sans plus attendre !
Le journal intime de Baby George, Clare Bennett, traduit de l'anglais par Géraldine d'Amico, Autrement 2016.
06:00 Publié dans Humour, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : clare bennett
27/09/2016
Les règles d'usage
"L’héroïne, c'est une survivante ,comme toi."
Le matin du 11 septembre 2001, Wendy 13 ans s'est disputée avec sa mère. Rien de grave, les remous de l'adolescence.
Mais sa mère ne reviendra pas: elle travaillait dans une des tours du World Trade Center. Commence alors une période troublée pour l'adolescente, dans un premier temps en compagnie de son petit frère Louie et de son beau-père, un homme responsable et profondément amoureux de la disparue.
Elle rejoindra ensuite en Californie son père biologique, qu'elle ne connaît quasiment pas et qui s'est très peu investi jusqu'à présent dans son éducation.
Passant d'un univers très cadré à une façon de vivre beaucoup plus détendue, Wendy cherche son chemin et, au fil des rencontres (un libraire, une mère adolescente, une jeune skater à la recherche de son père), elle finira par trouver ce qui lui convient vraiment.
On pouvait craindre le pire avec un tel thème mais l'héroïne adolescente de Joyce Maynard avance sans pathos, guidée par quelques lectures conseillées par son ami libraire et aussi aidée par la musique. La bienveillance domine même si la situation de la mère adolescente n’est en rien édulcorée.
L'avenir dira si le roman de Joyce Maynard restera dans les mémoires aux côtés des autres romans de formation évoqués dans Les règles d'usage mais en tout cas, pour moi, il le mériterait largement. Un roman apaisant et apaisé.
Les règles d'usage, Joyce Maynard, traduit de l’anglais (E-U) par Isabelle D. Philippe, Editions Picquier 2016, 472 pages qui se tournent toutes seules.
l'avis de Sylire, celui de Séverine
06:00 Publié dans Rentrée 2016, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : joyce mainard, 11 septembre 2001
26/09/2016
Ne mords pas la main qui te nourrit
"Je pense avoir mis en évidence un lien statistique entre le don de soi excessif et la victimologie en rassemblant un échantillon de femmes accomplies, intelligentes et dévouées, qui deviennent la proie de prédateurs sociaux à cause, justement, de leur empathie."
Morgan, trentenaire préparant une thèse en victimologie, rentre à son appartement de Brooklyn et découvre, horrifiée, le cadavre de son fiancé canadien, Bennett. Les coupables?Tout désigne les trois chiens de Morgan, deux pitbulls et une chienne Montagne de Pyrénées.
Rapidement, la jeune femme va découvrir que son amant n'était pas celui qu'il prétendait. Elle va donc mener l'enquête, tout en essayant de sauver ses chiens, dont elle est persuadée qu'ils sont innocents.
Je ne vous cacherai pas que le leitmotiv "Nous en connaissons pas nos proches" aurait plutôt tendance à me faire fuir, tant il est utilisé dans ce type d'ouvrage. Seul le nom de Amy Hempel, nouvelliste chaudement recommandée par Véronique Ovaldé, et le thème des chiens m'a décidée à emprunter ce roman.
Grand bien m'en a pris car une fois en main, je ne l'ai plus lâché !
L’héroïne, Morgan est bien parfois exaspérante de naïveté, il n'en reste pas moins qu'on apprend plein d'informations sur la psychologie et la manière dont les chiens sont traités dans le système judiciaire américain.
L'intrigue est bien ficelée et ce n'est qu'après coup qu'on s'aperçoit de quelques incohérences, mais en attendant le contrat du page turner a été rempli.
à noter, la présence brève, mais très drôle d'un beagle...
Ne mords pas la main qui te nourrit, A.J Rich, Mazarine 2016, traduit de l'anglais (E-U) par Stéphane Carn, 358 pages haletantes.
Déniché à la médiathèque.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : a.j rich, jill clement, amy hempel, chiens
23/09/2016
Album...en poche
"Un matin, je me réveillai avec mes premières règles dans ma culotte. Je décidai de faire comme si je n'avais rien remarqué, car il y a des limites à ce dont on peut s'accommoder à la fois, et je descendis à la cuisine d'une humeur de chien."
J'avais manqué cet Album de Gudrùun Eva Minervudottir (dont j'avais beaucoup aimé le recueil de nouvelles Quand il te regarde tu es la vierge Marie clic) et j'ai sauté dessus à sa sortie en poche.
Placé sous le signe de la brièveté, tant par le nombre de pages (112 ) que par les chapitres très courts, ce texte est aussi le royaume de l'ellipse. Pourtant on se retrouve très bien dans ce récit autobiographique de l'enfance de Minervudottir. L'autrice a raison de faire confiance à son lecteur,qui comble les trous ,et savoure d'autant plus le style imagé et plein d'énergie de ce récit hors-normes.
Que la narratrice tricote "des foulards blindés, les mailles devenant sans cesse plus petites et plus serrées jusqu'à faire grincer les aiguilles et demander beaucoup d'efforts pour passer de l'une à l'autre", grimpe à cru sur un cheval (un pur joyau que ce texte ) et le fasse obéir "par la pensée", elle n'est jamais dupe des pièges de la mémoire et n'embellit pas" la péquenaude" qui n'avait pas "l'usage du monde".
S'opèrent ainsi de singuliers virages qui minent le récit autobiographique et l'éloigne de toute tentation de mièvrerie. J'ai adoré !
Traduction de l'islandais, toujours aussi réussie de Catherine Eyjolfsson.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : gudrùn eva minervudottir
19/09/2016
Une famille passagère
"Je l'avais emmené avec moi pour donner quelque chose à aimer à l’amour qui était en moi."
Profitant d'un moment d'inattention des parents, une femme, la narratrice, enlève un bébé dans la station balnéaire de Margate en septembre 1938. L'acte ,qui paraît d'abord impulsif, s'avère en fait clairement préparé.
De la voleuse d'enfants, nous ne connaîtrons jamais l'identité, tout au plus glanerons-nous au fil du texte quelques informations , très lacunaires, sur son passé.
Visiblement perturbée, alternant périodes de lucidité, réflexions pragmatiques et obsession délirante, cette femme nous entraîne dans une vison très dérangeante de la famille et de la maternité. On frémit de la voir observer calmement la mère de l'enfant, éplorée, on a le cœur qui bat quand elle abandonne le petit qui l'encombre pour aller au cinéma, son seul plaisir apparemment.
Dans une prose à la fois poétique et précise, Gerard Donovan nous emporte dans un univers troublé et fascinant. Du grand art.
Une famille passagère, Gerard Donovan, traduit de l'anglais par Georges-Michel Sarotte, seuil 20156, 191 pages troublantes.
Du même auteur : Julius Winsome, clic.
06:00 Publié dans Rentrée 2016, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : gerard donovan
17/09/2016
Delivrances...en poche
"Mais cela nécessiterait du courage, chose que, puisqu'elle réussissait dans son métier, elle croyait posséder en abondance .ça et une beauté exotique."
De Lula Anne à la peau beaucoup trop noire pour sa mère, "sa couleur est une croix qu'elle portera toujours." , à Bride, la jeune femme qui ne porte que du blanc, et dont la peau "rappelle la crème fouettée et le soufflé au chocolat" a su tracer son chemin dans la société américaine et se réinventer.
Tout semble lui réussir, elle évolue dans l'univers de la beauté et enchaîne les succès jusqu’à ce que la mécanique se grippe : Brooker la quitte sans un mot et elle se fait rosser par une femme qu'elle entend aider.
Commence alors une ultime métamorphose où le corps de Bride régressera vers l'enfance, une touche de "fantastique" de l'ordre du symbolique qui ne m'a pas tout à fait convaincue, et partira à la recherche de celui qui l'a abandonnée.
Racisme, pédophilie mais aussi résilience, sont les thèmes de ce court roman choral qui nous donne à voir sous plusieurs angles le personnage de Bride. Un roman fluide et prenant qui marque ma rencontre -réussie- avec cette auteure partout célébrée.
J’avoue préférer le titre américain"God Help the Child" (que Dieu aide l'enfant), bénédiction qui clôture ce roman.
10/18, 2016.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : toni morrison