22/03/2018
Sofia s'habille toujours en noir
"Elle m'avait dit un jour qu'elle avait un seul et vrai talent, celui de savoir reconnaître le moment où les choses s'achèvent."
Alors que sa mère se rêve à l'horizontale -sur elle plane l'ombre de Sylvia Plath- Sofia est d'emblée dans la verticalité, la lutte. Ainsi, enfant, perdue dans un magasin flanque-telle une gifle à sa mère pour la peur qu'elle avait eue, ou bien affirme avec aplomb dans une rédaction qu'elle ne connaît pas son père, manière de signaler à ce dernier qu'il est trop souvent absent de la maison.
Ce caractère bien affirmé et la manière dont Sofia évolue, nous les découvrons au fil de chapitres où elle ne tient pas forcément le rôle principal, dans une chronologie bousculée qui ne perd pourtant jamais son lecteur en route et éclaire -ou laisse volontairement dans l'ombre, certains aspects de sa vie. Au lecteur de combler les vides à son gré.
Ce portrait-mosaïque, fait aussi la part belle à la mère et la tante de Sofia, personnages hauts en couleur, chacune à leur façon. Vite, faites-vous une nouvelle amie, découvrez Sofia !
Paolo Cognetti, Liana Levi Piccolo 2018, 213 pages aux mille tonalités qui filent sur l'étagère des indispensables !
Traduit de l'italien par Mathilde Bauer.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : paolo cognettti
16/03/2018
Au premier regard
"Il règne un silence de mort. La nuit hésite. Je ne sais pas si , après cette fois, j'aurais encore envie de continuer ce manège. Rencontrer, raconter, rencontrer, raconter. traquer les faits, les talonner jusqu'à ce qu'un jour peut-être ils se laissent acculer dans une impasse. Où enfin, je pourrais les coincer, leur faire les poches, leur extorquer leur marchandise de contrebande."
Dans l'écrin d'une nuit d'hiver, une femme insomniaque descend faire un gâteau, laissant dans la chambre son amant endormi. Tout en maniant la pâte, elle se remémore sa trop brève histoire d'amour avec Ton, victime de ce que tout le monde a appelé à l'époque un accident. Un coup de feu a mis fin à une union de quelques mois. Treize ans plus tard, devra-t-elle encore se contenter de relations éphémères recrutées par le truchement d'une petite annonce ou pourra-t-elle enfin avancer ?
C'est un magnifique moment d'intimité que nous offre ici Margriet De Moor, un concentré d'émotions discrètes qui laissent la part belle à la subjectivité du lecteur, lui font confiance pour mieux le ravir. On entre de plain pied dans cet univers à la fois charnel et poétique où seul le titre peut paraître mièvre. On savoure les moments passés en compagnie de l’héroïne, la connivence qui s'établit entre les personnages, la manière subtile et pudique dont le sujet est traité. Un pur enchantement .
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Grasset 2018, traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7)
13/03/2018
Les faux plis de l'amour
"Il traversa l'esprit de Graham qu'il venait enfin de trouver le point commun entre les deux femmes qu'il avait choisi d'épouser: toutes deux étaient également imperturbables, l'une par froideur extrême, l'autre par inconscience totale."
Sans l’appréciation hyperbolique de Kate Atkinson "Une pure merveille", figurant sur la couverture nul doute que je n'aurais jamais ouvert ce roman. En effet, les pires clichés semblent y figurer.
Jugez un peu: le narrateur, Graham ,a divorcé il y a des années de cela d'une femme quasi parfaite, Elspeth, pour en épouser une plus jeune et plus belle, Audra. Ensemble, ils ont un fils, Matthew, une dizaine d'années maintenant, enfant dont ils préfèrent dire pudiquement qu'il a besoin d'attentions particulières. Mais Graham, qui flirte avec la soixantaine, commence à se demander parfois si la vie trépidante et souvent chaotique que lui fait mener Audra en vaut vraiment la peine.
Là, vous vous dites que cette histoire mollassonne on l'a déjà lu cent fois , qu'on passe à autre chose et on aurait vraiment tort car Katherine Heiny possède le don de nuancer ses personnages et de nous les rendre follement attachants. Audra n'est pas une écervelée qui balance tout ce qui lui passe par la tête sans filtre, loin s'en faut. Ses défauts sont autant de qualités et à l'inverse, Elspeth est loin d'être le parangon de vertu qu'elle prétend être.
Il y a beaucoup d'humour dans ce roman, grâce en particulier au personnage d'Audra, toujours surprenant, mais aussi d'émotions quand, par exemple, Graham, décrit a posteriori l'enfance de Matthew, quand ce dernier a été diagnostiqué Asperger. Un bon gros roman confortable avec qui l'on passe un excellent moment.
Jean-Claude Lattès 2018
Une petite citation pour la route : Voici ce que déclare Audra à haute voix, bien sûr, dans une file d'attente lors d’une convention d'origami:
"- Ce qui m'échappe dans l'origami, dit-elle à Graham de sa voix normale, c'est pourquoi il déclenche une telle passion ? Pourquoi n’existe-t’il pas de gens sympas vivant dans l'harmonie qui apprécient l'origami avec modération, comme il y a des gens sympas vivant dans l’harmonie qui apprécient le bondage avec modération ? "
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : katherine heiny
12/03/2018
Une autre histoire
Mags, avocate reconnue aux États-Unis, rentre à Londres où son frère , victime d'un accident, est dans le coma. Les liens s'étaient distendus entre eux, mais Mags a vite la certitude que son frère a été assassiné. Face à la mollesse des réactions de la police, elle décide de mener sa propre enquête. Là, elle va de surprise en surprise, que ce soit sur son frère ou sur la fiancée de ce dernier, la fragile Jody.
Roman choral donnant la parole à différents habitants d'une église reconvertie en logements sociaux destinés à des habitants fragiles psychologiquement ou physiquement, Une autre histoire repose sur l'opposition entre deux personnages féminins qui ont choisi des voies très différentes pour se reconstruire après un passé traumatique. Si Mags apparaît parfois caricaturale, elle a le mérite d'être pragmatique, même si les moyens qu'elle emploie sont pour le moins outrés.
L'idée de départ est pour le moins classique, mais Sarah J. Naughton a su injecter de l'originalité en décrédibilisant efficacement la parole d'un témoin. Reste que le dénouement perd singulièrement de son efficacité,en raison d'une phrase qui m'a fait hurler de rire, mais que je ne peux citer, pour cause de divulgâchage. Un roman policier au style quelconque, appliquant des recettes éprouvées.
Merci à Babelio et à l'éditeur.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sarah j naughton
04/03/2018
Quelle n'est pas ma joie
"Ce sont les abandonnés de l'amour qui doivent essayer de comprendre. Ce sont les délaissés qui doivent se montrer nobles et intelligents, pour saisir que l'autre, on ne l'a qu'en prêt."
Ellinor , soixante-dix ans, est veuve pour la seconde fois. Au grand dam des enfants de son mari, Georg, elle vend la maison familiale et retourne s'installer dans le quartier populaire de son enfance.
A ce moment charnière de sa vie, elle s'adresse, sans aucune acrimonie, à Anna, qui fut et demeure par-delà les années, sa meilleure amie. Celle qui fut aussi la maîtresse de son premier mari, Henning. Les deux amants sont morts accidentellement dans les années 60 et , insensiblement, un nouveau couple s'est formé, entre autres pour assumer l'éducation des jumeaux de Georg et Anna.
Une configuration singulière donc, tout comme le récit des origines d'Ellinor qui se découvre progressivement. Mais c'est une sensation de grand apaisement qui se dégage de ses pages où l'on retrouve l'écriture sensible de Jens Christian Grondhal. Un pur moment de bonheur. Et zou sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jens christian grondahl
20/02/2018
La fin d'où nous partons
"Il existe tant de silences différents, et seulement un mot pour les désigner. le silence dans la maiosn a mûri, de silence comme absence de bruit à autre chose, un silence texturé, granuleux, une épaisseur à traverser en trébuchant."
La narratrice vient juste d’accoucher quand Londres est envahie par les eaux.Elle, son mari R. et le nouveau-né, baptisé Z., vont devoir faire à cette catastrophe, d'abord ensemble, puis de manière séparée.
Entre la mère et l'enfant le lien se renforce, tandis que se déroule le scénario malheureusement connu de ce type de situations: camps de réfugiés, organisation des secours,le tout entrecoupé de violences évoquées ici de manière succincte et elliptique, en quelques mots dénués de toute émotion apparente.
On est ici à mille lieues des figures imposée et du style afférent à ce type de texte. Le récit est distancié, on assiste ici à une quasi dissociation de la narratrice, sans doute pour mieux tenir à distance les sentiments trop forts qui pourraient l'empêcher de mener à bien sa tâche essentielle: survivre afin que son fils survive aussi. Mais cette grande économie de moyens et le petit nombre de pages (167) rendent l'émotion d'autant plus puissante.
Un récit paradoxalement optimiste dont la discrète poésie ajoute au plaisir de lecture. Une parfaite réussite.
Cuné m'avait donné envie !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : megan hunter
15/02/2018
Défaillances
ça commence façon contes de fées avec une héroïne,Cassandra, qui ne respecte pas l'interdiction de son mari: ne pas prendre le raccourci par la forêt la nuit . Notre héroïne n'y gagnera que de la culpabilité quand, le lendemain, elle apprendra que la femme qu'elle n'a pas secourue a été assassinée.
De quoi perturber les vacances de Cass qui s'annonçaient pourtant palpitantes entre préparations de cours, pots avec ses amis et shopping. Cass a pourtant de quoi s’amuser à la maison puisqu'elle est dotée d'un mari tout neuf qui, de plus, ressemble à Robert Redford jeune, elle tient à le préciser.
Mais bientôt tout dérape quand la jeune femme commence à avoir des trous de mémoire qui deviennent bientôt des gouffres. Angoisse car dans sa famille il y a des cas de démence précoces... Sans compter qu'elle est persuadée que l’assassin rôde près de chez elle.
Et là la lectrice, vu les indices laissés comprend rapidement l'intrigue, façon "Le ruban moucheté" de Conan Doyle et passe à autre chose tant les ficelles sont énormes et l'assassin plein de bonne volonté pour se faire identifier. Une écriture très facile à lire pourra convaincre les lecteurs désireux de se laisser glisser jusqu'à la fin du roman.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : b.a. paris
14/02/2018
Dans les angles morts
"Frances était la seule femme de la famille de Catherine à avoir poursuivi une carrière et dont la vie n'avait pas été assujettie aux besoins et aux intérêts des autres."
Catherine, George Clare et leur adorable petite Franny ont emménagé , pour une bouchée de pain , dans une ancienne ferme laitière d'une bourgade peu à peu envahie par les New-yorkais en mal de week-end. Ce que George a omis de préciser à sa femme est que leur demeure a été le théâtre d'événements dramatiques.
Huit mois, plus tard, Catherine est retrouvée assassinée dans sa chambre. Le shériff soupçonne aussitôt le mari , mais ce dernier ne sera pas inquiété.
Commencé par le meurtre de Catherine, le roman remonte le temps et peu à peu se dévoile une réalité très différente de ce que voulait bien bien montrer les Clare. En parallèle se déroule aussi en quelques épisodes significatifs, la vie des précédents occupants, les Hale, dont les fils vivent encore à Chosen. Passé et présent s'entremêlent dans ce roman polyphonique qui fait aussi la part belle à la maison, personnifiée de manière très efficace, qui fait monter l’intensité dramatique
Petit à petit les convictions se forgent et l’intensité dramatique n'est plus de voir identifier le coupable mais de savoir comment procéder pour que justice soit enfin rendue.
Dans les angles morts est un roman parfaitement construit, tout en tension, qui donne chair à tous ses personnages, qu'ils soient universitaires ou simples habitants de cette bourgade campagnarde. Elizabeth Brundage nous gratifie de magnifiques portraits de femmes, femmes qui, dans ces années 70, sont tiraillées entre les modèles résignés que leur inculquent leurs mères et le vent de liberté qui se donne aussi à voir.
Le style est magnifique, les marque-pages qui le constellent en témoignent- créant l'émotion, sans jamais tomber dans le pathos car l'auteure maîtrise l'art de l'ellipse sans pour autant perdre son lecteur. à dévorer et savourer ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.
Éditions Quai Voltaire (qui ont troqué leur couverture pervenche contre un marron beaucoup plus inquiétant) 2018. Magnifiquement traduit de l'américain par Cécile Arnaud.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : elizabeth brundage
08/02/2018
#Un autre Brooklyn#netgalley
"Je voulais ce qu'elle avaient -six pieds plantés dans le sol. Ici et maintenant."
Le décès de son père est l'occasion pour la narratrice afro-américaine de revenir sur son enfance , dont une partie s'est déroulée à Brooklyn. D'abord vécu comme un exil, ce séjour lui vaudra de connaître une belle histoire d'amitié avec trois jeunes filles qui lui apparaissaient bien plus solides qu'elle. En effet, la narratrice vivait dans le déni d'un événement dramatique et familial.
Évidemment, cette amitié qui se voyait défiant le temps a fini par se déliter,mais en demeurent des souvenirs lumineux ayant éclairé une enfance quelque peu chahutée par le malheur dans les années 70.
Un roman très agréable à lire mais, seul petit bémol, on se sent tellement bien dans l'écriture de cette auteure qu'on y serait bien resté un peu plus longtemps.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jaqueline woodson
07/02/2018
Le paradis des animaux...en poche
"C'était un mensonge. J'étais un homme qui tissait des promesses sur la trame de la tristesse, le genre de promesses que la vie avait bien peu de chances de vous permettre de tenir."
Les personnages des douze nouvelles composant ce recueil sont des gens ordinaires. Ils ne sont pas "stupides" mais, pour certains d'entre eux" simplement sous-performants, des gens qui ,après l'université , avaient opté pour la sécurité d'un travail facile."
Leurs narrateurs, à une exception près, sont des hommes qui ne savent pas forcément maîtriser leurs émotions et que la vie a pas mal malmenés, sans que forcément ils réagissent de la manière adéquate, sans jamais être tout à fait à la hauteur des attentes de leurs compagnes..
David James Poissant, dans un style extrêmement évocateur, nous les peint avec beaucoup de délicatesse, sans jamais les juger. De petites touches d'humour émaillent ces textes extrêmement touchants mais sans pathos, où l'on sent une grande maitrise de l'écriture et un grand sens de l'observation.
Des situations sur le fil du rasoir (le groupe de paroles où les participants se livrent, de manière implicite, à un concours de malheurs ), les regrets, les remords, les rancunes, sont toujours éclairés de lueurs d'espoir, parfois malicieuses comme la fin de "James Dean et moi", mettant en scène un Beagle jaloux.
Quant au père du texte inaugurant ce recueil qui balance littéralement par la fenêtre son fils quand il découvre l'homosexualité de ce dernier, une chance de rédemption lui sera peut être offerte le temps d'un road-trip cathartique , empli de souvenirs ,dans la nouvelle qui clôt le livre.
Une découverte qui file directement sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : david james poissant