23/03/2009
D'"une main faible et légère" mais diablement efficace!
Flirtant parfois avec le fantastique , les dix-huit nouvellesdu recueil d'Agnès Laroche et Eric Rouzaut Mal assise sont toutes noires, voire très noires.
D'emblée, "la fuite des corps" vous cueille à l'estomac et vous flanque un grand coup au coeur. Au fil des textes, l'émotion , qui avait parfois un peu tendance à céder la place à l'efficacité de la nouvelle "à chute"gagne en intensité et on finit sa lecture un peu sonné.
Point commun à tous ces personnages ?Leur équilibre fragile (d'où le titre du recueil), qui les fait basculer sans préméditation dans le drame. Les personnages sont souvent à deux doigts d'intervenir pour se mettre en travers du destin mais il leur sera rarement accordé une seconde chance car trop souvent ils mentent, à eux-mêmes autant qu'aux autres. Les exceptions n'en acquièrent que d'autant plus de valeur comme dans le texte très émouvant "une main faible et légère".
Les auteurs explorent aussi bien nos petits enfers quotidiens que les travers de notre société, exagérant à peine le contenu d'un nouveau jeu télévisé, traquant la violence partout où elle se trouve , fût-ce dans le coeur d'une araignée...car de l'humour il y en a aussi mais évidemment, vous en devinez d'avance la couleur !
Tour à tour sociales ou plus intimistes, ces nouvelles nous entraînent aussi bien au coeur de la foule d'un carnaval (de Dunkerque ?) que dans les "coulisses" d'un hôpital ou d'une usine pour le moins étrange...Un univers riche et varié où résonnent les échos des grands maîtres de la nouvelle , de Maupassant à Buzatti . A découvrir sans tarder !
ps: Une seule nouvelle , "La vieille dame et la rate" n'a pas su me toucher.
Mal assise, Agnès Laroche, Eric Rouzaut, Editions Quadrature.124 pages noires et noires.
Le blog d'Agnès Laroche.
Le blog des éditions Quadrature.
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : mal assise, agnès laroche, eric rouzaut, noir c'est noir...
20/03/2009
"La nature n'était pas tendre."
Eté 1976, Paulette, la parfaite maîtresse de maison, son mari Franck et leurs enfants profitent de la demeure familiale de Cape Cod. Tout ce bonheur en apparence paisible va voler en éclat quand, en bon scientifique qu'il est , Franck découvre que leur fille, Gwen, est atteinte du syndrome de Turner : elle conservera à jamais son corps d'enfant.
Chaque membre de la famille va réagir à sa façon à ce coup du sort : Paulette se réfugie dans un premier temps dans le déni tandis que Franck conserve son attitude scientifique et cherche une solution au problème. Quant aux enfants, chacun d'eux évoluera de manière différente (et pas forcément plaisante pour leurs parents...) Il faudra attendre vingt ans pour que la famille soit à nouveau réunie dans la villa de Cape Cod.
Jennifer Haigh, dans La condition alterne les points de vue des différents protagonistes,les faisant évoluer avec une grande vérité psychologique, nous laissant libres d'accepter les points de vue de chacun. Elle se penche avec une grande sensibilité sur les problèmes générés par le syndrome de Turner mais aussi sur les relations existant entre les différents membres de la constellation familiale. Nous ne trouverons pas ici le cliché "Nous sommes une famille et nous devons faire face ensemble à l'adversité" dont nous gavent allègrement les feuilletons américains. au contraire, tous les personnages revendiquent avec force leur individualité, quel que soit leur âge. J'ai particulièrement apprécié la justesse et la beauté de ces portraits d' adultes vieillissants et leur manière d'appréhender les renoncements nécessaires auxquels les contraint le passage du temps. A noter aussi une superbe scène de plongée nocturne nous peignant "l'équipe de nuit" des fonds sous-marins. Un bon gros roman confortable.
Jennifer Haigh, la condition, Michel Lafon, 416 pages d'une grande justesse psychologique.
L'avis de Cuné. (à deux , c'est mieux, lecture tandem !)
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : jennifer haigh, la condition, syndrome de turner, renoncements nécessaires, cape cod
19/03/2009
Refaire nos attaches
Avec Permis provisoire, Christine Stroobandt évoque sa propre enfance dans le Nord-Pas-de -Calais, dans l'immédiat après-guerre. Ce pourrait être misérabiliste la vie dans une cité "provisoire" avec un père français et une mère, tour à tour traitée de "boche" ou de "peau laque", comme l'entend la petite fille. Ce pourrait être larmoyant et c'est juste sensible et émouvant. Par séquences courtes, comme autant d'instantanés précis et fouillés (quelle mémoire !) renaissent sous nos yeux le samedi, jour du bain avec " des lessiveuses remplies d'eau mise à chauffer sur la cuisinière", car la baignoire, faute d'eau courante chaude"sert uniquement à faire tremper le linge".
Avec son regard d'enfant, la narratrice observe aussi des enfants qui "sont sûrement très riches :leur mère leur interdit de sortir du jardin."Une époque où les pauvres ont un souci d'éducation très stricte de leurs enfants avec "des tuteurs dans la tête pour maintenir leurs pensées sur la ligne de cequi doit être l'éducation."
Une évocation chaleureuse et touchante où se révèle une plume en apparence légère mais qui sonne juste et résonne longtemps en nous.
Prix littéraire 2008 La Voix du Nord, le Furet du Nord.92 pages .
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : permis provisoire, christine stroobandt, prix littéraire 2008 la voix du nord, le furet du nord
18/03/2009
"Elle s'était demandé si quand elle n'aurait plus personne à qui parler, elle écrirait."
Une petite annonce fonctionnant comme un aimant et commençant par ces mots: J'aimerais tant te retrouver. Une bouteille à la mère lancée par un homme abandonné à sa naissance. Un texte qui va attirer l'attention de deux femmes très différentes et nouer les destins de ces trois personnages.
L'une de ces protagonistes est Rose-Marie, une femme "naturelle" qui vit en compagnie de chiens et de chevaux, sans oublier un âne tonitruant et qui, ayant perdu l'homme aimé ,affirme : "Je crois que je me suis davantage employée à me suffire à moi même qu'à rencontrer quelqu'un."
Jouant le rôle de la briseuse de solitude,Claire va débouler dans la maison et l'existence de Rose -Marie, pleine d'énergie et de vie mais décidée à faire une pause dans sa série d'hommes- divorcés- avec- enfants, condition sine qua non car "Face à la maternité, [elle] était objecteur de conscience."
Avec jubilation et tendresse, Fanny Brucker va tricoter les destins de ces trois personnages, destins qui se nouent autour des thèmes de la maternité et de la perte. Ces pertes nécessaires qu'il nous faut apprendre à accepter comme Rose-Marie"désormais habituée à devoir rendre à la mort des êtres qu'elle avait empruntés le plus longtemps possible à la vie, comme un livre de bibliothèque qu'on aurait aimé pouvoir garder toujours."
Evitant tous les écueils de la facilité, l'auteure réussit à établir un subtil équilibre entre ses personnages qui ne se contentent pas de subir ou de regimber contre leur destin mais apprennent à l'apprivoiser petit à petit.Parfois traversé de violence, ce texte , bourré d'énergie et de tendresse jamais mièvre, nous fait souvent frémir et même si la fin , un peu télescopée à mon goût, vient un tantinet gâcher notre plaisir, je le range sans hésitation dans la catégorie des romans confortables et sensibles. Un livre bien évidemment tout hérissé de marque-pages !
Fanny Brucker, J'aimerais tant te retrouver, Jean-Claude Lattès, 333 pages.
Billet sur le premier roman de l'auteur qui se déroulait aussi au bord de l'Atlantique, Far Ouest
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : j'aimerais tant te retrouver, fanny brucker, chiens, chevaux, mère et mer et compagnie
17/03/2009
"Chacun jouait son rôle dans une comédie à laquelle il ne voulait même pas participer."
La vie de Lewis bascule à l'âge de dix ans, quand il assiste, impuissant, à la noyade de sa mère, jeune femme fantasque et aimante.Vite remarié, ni son père ni sa jeune belle-mère ne parviendront à briser la carapace d'indifférence dans laquelle s'enferme le garçon. Cette attitude lui vaudra de se couper de la communauté bien-pensante dans laquelle sa famille évolue. Tant de violence rentrée ne peut, bien sur qu'exploser, ce qui lui vaudra deux ans de prison. En 1957, il a dix-neuf ans et sa révolte à sa sortie de prison, va faire exploser tous les faux-semblants et balayer comme un raz-de-marée toute l'hypocrisie de ce petit village du Surrey.
Délinquance, automutilation, violences conjugales, autant de mots qui me rebutaient d'emblée et pourtant, à peine avais-je commencé Le Proscrit que j'étais happée par les personnages, emportée par la houle des sentiments de Lewis, qui affecte une impassibilité toute britannique face aux affronts qu'il doit subir.
Sadie Jones fouille les replis des âmes et nous les montre dans toute leur crudité et leur vérité. Ainsi la tante de Lewis qui ne propose pas d'élever cet enfant avec les siens parce qu''elle sait confusément qu'elle ne pourra le supporter. On déteste avec force le hobereau, sorte de Dr Jekill et Mr Hyde, qui humilie Lewis et son père,on frémit en se disant que toute cette souffrance aurait pu si facilement ne pas exister, un peu moins de flegme, un peu plus de communication et on referme ce livre le souffle court. Un grand et beau roman.
Un grand merci à Cuné pour l'envoi.
Le proscrit , Sadie Jones; Buchet-Chastel, 377 pages.
L'avis d'Amanda, de Laurence, de Fashion, de Clarabel, de Lily.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : sadie jones, le proscrit, années 50, petite ville du surrey, rebellion
16/03/2009
"Et ces manteaux-là, il ne serait que trop heureux de les tenir toute la soirée."
Cette douce obscurité est à la fois une citation d'un madrigal, spécialité de la musicologue Eliza, et représente également la situation dans laquelle se trouve le lecteur qui, au fil du récit, verra s'éclairer sous une autre jour bien des personnalités et des comportements.
Dido, orpheline bien plus mûre que ses neuf ans officiels, navigue avec assurance entre sa tante qui l'a élévée et le futur ex-mari de celle-ci, Giles. Giles, chanteur lyrique et Eliza, qui traîne une thèse de musicologie depuis des années, n'arrivent pas à se séparer franchement et définitivement. Il faudra le départ pour la Cornouailles d'Eliza et de Dido pour que tout se mette en marche ...
Patrick Gale nous fait ici découvrir le monde de la musique classique, ses egos surdimensionnés et ses faiblesses cachées, et explore avec délicatesse habituelle les tours et détours de l'amour. Une très jolie balade et un récit plein de revirements et de surprises, évitant avec soin les écueils des clichés. On tremble jusqu'au bout : qui repartira avec qui, qu'adviendra-t-il de tous ces personnages auxquels nous nous sommes attachés ? (A noter un personnage d'agriculteur particulièrement craquant !)
534 pages sans mièvrerie, où je ne me suis pas ennuyée une minute !
Patrick Gale , Une douce obscurité, 10/18
06:00 Publié dans Les livres qui font du bien | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : patrick gale, une douce obcurité, cornouailles, musique, love etc, patriiiiick !
14/03/2009
Vient de sortir en poche...
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (9)
13/03/2009
"Que voulez-vous, on s'attache à toute créature vivante au secours de laquelle on s'est portée."
Parfois déroutantes , souvent pleines d'un humour subtil, les nouvelle du recueil de Lydia Davis, Kafka aux fourneaux ,analysent en profondeur des situations du quotidien , apparemment banales. Mais l'oeil exercé que l'auteure porte sur chacune de ces situations est si aiguisé qu'il en donne parfois le tournis. Ainsi le narrateur de la nouvelle qui donne son titre au recueil se torture-t-il mentalement afin de réussir La soirée avec une jeune femme : "Certains homme s se battent à Marathon, d'autres dans leur cuisine."
Des situations embarrassantes sont passées au crible. Ainsi dans "Ces vents qui passent suivons-nous le raisonnement alambiqué d e la narratrice qui se demande qui a lâché un pet et cherche le moyen de dissiper la gêne si gêne il y a, quitte à accuser le chien, qui après tout est peut être le responsable...Beaucoup de narrateurs s'interrogent ainis scrupuleusement à propos de situations dérisoires et donc décalées.
Parfois très courtes, j'y ai alors retrouvé l'esprit d'un Jules Renard, ces nouvelles dissèquent avec enthousiasme nos luttes dérisoires pour trouver un certain équilibre sans cesse remis en question par la vie.Une Vieille dame lutte ainsi contre l'entropie et la destruction progressive de sa maison en un paragraphe magistral.
Flirtant parfois avec la fantastique "ces étrangers dans la maison", ces nouvelles nous montrent ainsi l'envers de nos vies , ce que nous cachons soigneusement sous une apparence sereine. ça carbure à toute allure, ça gamberge , on adhère totalement ou on passe à côté. Je suis entrée avec enthousiasme dans cet univers décapé et décapant !
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : lydia davis, kafka aux fourneaux, humour, et que je me mette la rate au court-bouillon
12/03/2009
schtroumpf grognon : the end ! (ouf !)
De temps en temps, ça fait du bien de se faire taper (gentiment) sur les doigts, de vérifier le sens ou l'utilisation fautive ou non d'un mot. Quand en plus, Le Répertoire des délicatesses du français contemporain paraît dans la collection dirigée par Philippe Delerm""le goût des mots", on se régale d'avance , en bon gourmand des mots que l'on est.
Mais d'emblée, la mention , en exergue ,que "Beaucoup des phrases "fautives" donnée en exemple dans ce livre proviennent du journal Le Monde, du Nouvel Observateur ou de France Culture", media connus pour leur grand sens de l'humour, aurait dû me mettre à puce à l'oreille : on n'est pas ici pour s'amuser !
Il ne s'agit pas ici de remettre en question le sérieux et la qualité de ces articles, loin s'en faut , mais j'aurais vraiment apprécié un peu moins de rigidité dans le jugement. Comme auraient dit mes élèves africains, je trouve Renaud Camus trop "cintré" dans sa manière de s'exprimer. A le lire , on a l'impression de retrouver le maître d'école qui martyrisait ses élèves, sanglé dans sa blouse grise, arpentant la classe à grandes enjambées. Ce qui n'est pas, avouons-le bien agréable !
Ce livre est en fait la réédition de Répertoire des délicatesses du français contemporain, paru en 2000 aux éditions POL.
Ceci explique peut être cela...
06:00 Publié dans l'amour des mots, très utiles! | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : répertoire des délicatesses du français contemporain, renaud camus, ça rigole pas, c'est rien de le dire...
11/03/2009
Schtroumph grognon, le retour...#2
Un recueil de nouvelles écrites par Colas Gutman,Florence Seyvos,Ellen Willer, Xavier-Laurent Petit et Valérie Zénatti, voilà qui était alléchant et dès que je l'ai vu en médiathèque, hop, il était pour moi ! J'espérais déjà y dénicher un texte susceptible d'intéresser mes élèves mais...rien n'a trouvé grâce à mes yeux, tout m'a paru convenu , prévisible et ennuyeux au possible. Mauvaise pioche donc.
L'avis de Bellesahi qui elle avait bien aimé.
Par contre, chez le même éditeur, je vous signale la réédition du livre de Sophie Cherer, Ma Dolto, que je vous recommande chaudement ! Vous ne croyiez tout de même pas vous en tirer à si bon compte !:)
06:00 Publié dans Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : il va y avoir du sport mais moi je reste tranquille