21/02/2017
Troisième personne
"Ils ne savent plus comment c'était de n'être responsables que d'eux-mêmes. Ils se questionnent mais ils ne peuvent revivre cet état comme on enfilerait un vieux vêtement retrouvé par hasard."
Commencé par un magnifique travelling où l'on suit à travers les rues de Paris transfigurées le trajet d'une mère et de son enfant tout juste née jusqu’au domicile devenu familial, le roman de Valérie Mrejen se clôt par la course effrénée de la fillette, éperdue de liberté ("Vos enfants ne sont pas vos enfants", disait Khalil Gibran...).
Entre les deux,toutes les métamorphises induites par cette Troisième personne:les doutes, les émerveillements, les angoisses, la fatigue...
Un roman plein d'amour et de poésie qui parlera à toutes les générations de mères, un parfait cadeau de naissance, jamais mièvre.
Le billet de Cuné qui m'avait donné envie.
Sur le même thème, en plus punchy et plus féministe: clic.
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : valérie mréjen
20/02/2017
Le pull où j'ai grandi
" On m'a dit de faire dans la vie ce que je savais faire de mieux, je m'y emploie chaque jour : je raconte des histoires qui servent à fabriquer des livres et à maintenir le monde à température. Je tue le temps mais jamais les insectes, ni les taupes, ni les plantes. A-t-on besoin d'en savoir plus ? "
Comment ne pas apprécier un auteur qui termine sa présentation par un tel paragraphe ?
De plus, en douze chapitres, il nous livre le roman d'apprentissage plein de charme d'un adolescent de dix-sept ans, chiffre figurant fièrement sur le pull que lui a tricoté sa mère. Un pull qui va le suivre au fil de ses aventures, entre concerts de rock, petits boulots en Turquie, grandes plages de lecture, sans oublier les copains avec qui on se fâche mais qu'on ne laisse pas tomber.
C'est tendre, cocasse, on a souvent l'impression de découvrir ce que nos mutiques ados dissimulent sous un grognement peu amène et on passe un excellent moment en compagnie de cette bande de lascars de la classe moyenne.
Le pull où j'ai grandi, Hervé Giraud, Thierry Magnier 2016, 129pages
06:01 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hervé giraud
18/02/2017
Quand le diable sortit de la salle de bain...en poche
"Il y avait bien entendu la question du crédit, ces satanées charges, mais je ne m'enlèverai pas entièrement du crâne que le travail, c'est aussi de la came, du chasse-conscience, c'est l'évacuation de soi par un moyen extérieur."
Sophie, trentenaire au chômage,connaît "la dèche" et en analyse avec précision les conséquences, l'une d’elle étant "de vous claquemurer dans vos soucis".à cet enfermement, à cette raréfaction des relations humaines aussi, s'oppose la grande liberté d'expression de la narratrice qui ne s'interdit rien ni les fantaisies typographiques, ni les remarques de sa mère qui commentent ses actions ( un peu comme une voix off), ni les longues énumérations foutraques (je n'aime pas les hommes qui... ), les listes de synonymes, l'intervention d'un diable lubrique, sans oublier celles un ami tout aussi désargenté qu’elle qui connaitra un entretien surréaliste et hilarant chez Pôle Emploi. Quant au plaidoyer du grille-pain qui ne veut pas être vendu, en vers raciniens, s'il vous plaît, c'est un petit chef d’œuvre d'émotion, si si !
Les ruptures de tons et la fantaisie débridée ne doivent pour autant pas faire oublier les descriptions très justes du monde de la restauration, la réflexion sur la manière dont ceux qui travaillent envisagent les chômeurs et l'impossibilité de partager avec sa famille, pourtant bienveillante, ses soucis.
Sophie Divry réussit un pari a priori fou: évoquer la pauvreté de manière extrêmement précise sans jamais tomber dans le pathos et en faisant tout à la fois sourire et réfléchir son lecteur.Jubilatoire.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : sophie divry
02/02/2017
Le grand n'importe quoi...en poche
-Si possible, il faudrait éviter le centre. Il y a des culturistes à mes trousses, des policiers à ma recherche, des extraterrestres sur mes talons, et le père Cadick qui patrouille avec sa carabine."
Bienvenue (ou pas) à Gourdiflot-le-Bombé, sa rue du Poney myope, son impasse du Marcassin Boiteux et ses habitants tous plus frappadingues les uns que les autres. Arthur aurait sans doute mieux fait de refuser l'invitation de Framboise, cela lui aurait éviter de se retrouver coincé dans une boucle temporelle, "pour vivre des situations toujours plus humiliantes" en compagnie de lémuriens et de quelques extraterrestres. L'occasion pour lui de trouver un sens à sa vie et accessoirement à la nôtre. Oui, rien que ça.
Il faut pas mal de culot pour oser intituler son roman Le grand n'importe quoi car si le contenu n'est pas à la hauteur des objectifs,le titre risque de se retourner contre son auteur !
Et pourtant , le pari est tenu: J.M.Erre s'en prend cette fois à l'univers des romans et films de science-fiction qu'il passe à la moulinette et secoue dans son shaker déjanté , y ajoutant quelques zeugmas "puis il prit en même temps une bouteille et un air menaçant", un soupçon de virelangue "un grand gras à gros goitre", force personnifications et autres ingrédients pleins d'humour dont il a le secret.
On pourra regretter une petite baisse de forme vers la fin ,qu'une pirouette de dernière minute ne parvient pas vraiment à sauver, mais c'est un bon moment de lecture déjantée dont on aurait tort de se priver.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : j.m. erre
31/01/2017
La femme brouillon
"Le bébé siphonne notre tendresse. On s'adresse l 'un à l’autre comme deux vieux collègues exaspérés."
Entre bonheurs et inquiétudes, "Le père du bébé aurait fait une bien meilleure mère. Son instinct de sacrifice est plus développé, et c'est toujours lui qui fait les crêpes.", mais toujours avec beaucoup d'humour et d'énergie, la narratrice nous raconte les étapes obligées de sa grossesse, de l'annonce à une conclusion qui évoque très joliment la transmission.
Celle qui se définit successivement ou simultanément comme "la gosse qui n'a pas les mots, l'ado blessée, la femme-lézard, la féministe, l'écrivaine et la demi-mère", une femme brouillon donc, dont on devine que le rapport à sa propre mère est plutôt douloureux, pose des mots très justes sur cette grossesse.
Si elle souligne l'attendrissement de certains devant son gros ventre, elle n'en oublie pas néanmoins que, bizarrement, ce dernier semble devenir invisible dans les files d'attente ou les transports en commun...Avec lucidité, elle décrit ses propres contradictions de féministe et de mère en devenir, tiraillée entre le fait qu'on veuille la limiter à ce rôle et l'acceptation de ce rôle, trop normatif à son goût.
Ne perdant jamais son regard critique, dénichant la violence sous la guimauve, la narratrice s'en tire haut la main, ne reniant jamais son aspect revendiqué de Femme brouillon, bien loin des mères parfaites qui nous sont imposées comme modèles.
Un livre qui pose un regard décapant, drôle et intelligent sur la grossesse, voilà qui ne se refuse pas, quel que soit son âge !
Un grand coup de cœur, constellé de marque-pages !
La femme brouillon, Amandine Dhée, Éditions la Contre Allée 2017 , 86 pages enthousiasmantes !
D'Amandine Dhée: clic
06:03 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : amandine dhée
30/01/2017
L'abandon des prétentions
"A bien y regarder, le bureau de Jeanine est le paysage d'une confiance en soi dévastée mais, si je le sentais, longtemps je n'en sus rien."
En soixante-cinq courts chapitres, une fille brosse le portrait d'une mère, enseignante à la retraite, qui noue des liens avec des gens à la marge. Cette femme, parfois excentrique sans le vouloir, veut "Tout apprendre des autres, ne jamais parler de soi.", ce qui ne va pas sans certaines micro-aventures tragicomiques.
Mais ce qui domine par dessus tout est le manque de confiance en elle de Jeanine, qui bien que douée, ne croit pas en ses capacités. Plus jeune, elle refuse ainsi de se présenter à l'oral du Capes d’espagnol,son frère lui forcera la main et elle sera brillamment reçue.
On sent beaucoup de tendresse mais aussi un peu d'agacement dans ces pages, mais qui a dit que les rapports mères/filles étaient simples ? un roman tout en nuances et un magnifique portrait de femme.
06:04 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : blandine rinkel
27/01/2017
Une activité respectable
"Dans mon enfance, l'excès ne m'a pas été désigné comme un défaut-et sans doute était-ce une erreur- mais depuis j'arpente la littérature comme un champ dans lequel mes pas laissent l'herbe ployée un instant derrière moi, juste le temps de voir le chemin parcouru, et l'immensité encore inconnue."
Pour les parents de Julia Kerninon, écrivain était Un métier respectable. Normal : ayant grandi dans l'amour des livres, des mots, de l'écriture, l'autrice toute petite se voit offrir une machine à écrire électrique, se sent comme chez elle dans la fameuse librairie Shakespeare and Compagny où elle éprouve "la sensation la plus forte que j'avais jamais éprouvée en cinq ans et demi d'enfance."
Comment s'étonner alors de la voir négocier une année sabbatique où elle ne fera qu'écrire et lire après avoir économisé ses salaires de jobs d'été ?
Des moments et des images très forts émaillent ces 60 pages pleines de fièvre et d'énergie: celle de ces jeunes filles, "horde d'impalas exhibitionnistes qui venait se jeter à l'eau", les conseils intuitifs et justes de la mère sur l'écriture, le travail manuel " j'ai fait l'expérience de la sueur, et ce n'était pas simplement une expérience, c'était un grade." et je pourrai en citer beaucoup d'autres tant ces pages sont denses et riches.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Le billet de Cuné qui m'a donné envie.
De Julia Kerninon, clic.
06:00 Publié dans l'amour des mots, l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : julia kerninon
26/01/2017
Mais qui va garder le chat ?
"La conversation devenait surréaliste entre les vraies et les fausses mères, les grands-mères légitimes et le père qui n'en était pas un."
Après une rupture difficile, une période de flottement, Cécile retrouve l'amour auprès de Cécile. Les deux jeunes femmes décident de fonder une famille, ce qui ne va pas sans de nombreuses questions, tant pour les deux amoureuses que pour leurs proches et leurs familles respectives.
Publié en 2005, ce roman d’Éliane Girard , avec beaucoup de délicatesse, de pédagogie, d'humour,sans tomber dans la mièvrerie, nous présente les perturbations qu'entraîne la décision de faire un enfant dans un couple presque comme les autres.
Les réactions des différents personnages sont décrites avec finesse , pertinence et on sort de là le sourire aux lèvres, en espérant que de telles situations,vécues de manière aussi pacifiées, deviendront parfaitement acceptées.
Mais qui va garder le chat, Éliane Girard, JC Lattès 2006.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : eliane girard, gay friendly
24/01/2017
La plus folle de nous deux
"Sa joie semble calibrée selon le tableau Excel pour resurgir quand mon nom s'affichera sur l'écran."
Une journaliste de quarante-cinq ans, en vue d'écrire un livre, décide d'enquêter sur Noémie Leblond, femme politique en pleine ascension, qui pourrait entretenir quelques points communs avec NKM. Elle s'immisce dans l'entourage de cette femme en apparence parfaite,commence une relation avec un de ses jeunes conseillers, pour qui elle n'est qu'une "milf", comprendre « Mother I'd Like to Fuck » (mère que j'aimerais b..." .
Ayant grandi au milieu de malades mentaux (ses deux parents sont psychiatres), la narratrice entretient un rapport particulier avec la folie et envisage le monde politique par ce biais.
Si j'ai beaucoup aimé l'évocation de monde de la psychiatrie, je suis restée plus réservée sur la description du microcosme politique, trop convenue à mon goût. On ne s’attache à aucun personnage (surtout pas à la narratrice qui s'aveugle avec un bel acharnement) et on reste un peu sur sa faim même si le roman se lit sans déplaisir.
La plus folle de nous deux, Hélène Risser, Plon 2017.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hélène risser
22/01/2017
Blonde à forte poitrine...en poche
"Changer de corps pour changer de vie. Depuis ses débuts, c'est en modifiant son aspect physique qu'elle a forgé son destin."
Fantasme par excellence, la Blonde à forte poitrine draine à la fois des idées de candeur et de luxure. Cette synthèse improbable, l'héroïne de Camille de Peretti la réussit pour son plus grand malheur.
S'inspirant du destin d'Anne Nicole Smith, bimbo qui épousera un sugar daddy millionnaire quasi nonagénaire, l'autrice dissèque ici le destin d'une femme emblématique qui, manipule un corps qui en fait jamais ne lui a appartenu,car elle lui a fait subir de nombreuses violences pour l'adapter aux désirs masculins. D’éprouvantes descriptions d’opérations de chirurgies esthétiques nous font bien prendre conscience que ces actes n'ont rien d'anodin et entraînent des conséquences à plus ou moins long terme.
La tragédie file à toute allure, décrivant les multiples facettes d'une femme qui avait tout à la fois besoin de protéger ses enfants et de se faire protéger elle-même mais,victime de son physique, s'y est prise d'une manière fort dangereuse.
Un roman prenant qui dépasse largement le cadre de l'anecdote et peut s'appliquer à d'autres blondes à fortes poitrines. Un bon moment de lecture.
06:04 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : camille de peretti