07/02/2016
Les endormeurs...en poche
"Une perte réveille la souffrance de pertes anciennes et on peut se demander si on est en mesure de résister à tout cela."
à la mort de sa femme, Drik, psychanalyste voit sa constellation familiale se réorganiser.Sa sœur, Suzanne, endosse le rôle d'aînée pour soutenir cet homme qui avait mis sa profession entre parenthèses pour accompagner les derniers mois de son épouse. Elle-même reprend aussi son travail d'anesthésiste, ce qui lui permet d'oublier un peu que sa fille, Rose, a choisi brutalement de quitter le domicile familial, événement que son mari, Peter, accepte plus facilement.
Si Suzanne accomplit ses tâches avec aisance, il n'en est pas de même pour Drik placé par un patient retors dans un conflit d'intérêts inextricable.
Roman sur la perte, Les endormeurs permet aussi à Anna Enquist, elle-même psychanalyste d'explorer deux univers en apparence antinomiques. Comme elle le précise en conclusion: "Dans ma profession, la psychanalyse, nous partons du principe que, dans la plupart des cas, le patient gagne à savoir ce qui se passe en lui, que cela lui est salutaire.[...] Quand le refoulé peut s'exprimer, on accède au symbolique, le refoulé s'apaise et les symptômes disparaissent. L'anesthésiste, lui, épargne les sensations douloureuses à son patient, il considère qu'il a bien fait son travail si le patient n'est absolument pas conscient de la souffrance qu'on lui a infligée pendant l'intervention."
Très documenté sans jamais être pesant, ce roman nous donne l'occasion de visiter les coulisses de deux univers passionnants , de nous remémorer que tous ceux à qui nous confions nos corps et/ou nos âmes sont faillibles, eux-aussi. 361 pages à laisser infuser.
Anna Enquist, Babel 2016
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : anna enquist
02/02/2016
Le choix de Betty
"Personne ne me prendrait pour la linguiste, la sociologue et l’experte en chiffrage que je suis et tout ça après avoir connu les Camps. Il me manque quelque chose. Je suis vide."
Le premier volume de la trilogie des Orphelins du Raj, le Maître des apparences, était consacré au Juge Filth. Cette fois, c'est son épouse qui devient le principal personnage du roman et les faits sont racontés selon son point de vue. Pas de redites, mais un éclairage à la fois pudique et intense qui nous montre sous un autre jour celle qui , à la fin de sa vie, apparaissait comme une dame bien sous tous rapports alors qu'elle avait connu bien des épreuves et des tourments, tiraillée entre son amour pour Filth et son attirance pour son adversaire de toujours, Veneering.
Le personnage de Betty gagne ainsi en épaisseur, sans pour autant qu'on en ait fait le tour. Quant à son mari, après le décès de son épouse, nous verrons qu'il n’était pas aussi inattentif que Betty le croyait...
Quel plaisir de lire, quelques mois après le premier volume, ce nouveau roman de Jane Gardam ! Cette trilogie est un pur régal tant du point de vue de l' écriture que du point de vue romanesque ! Aventures, personnages aux destins hors-normes, le tout sans pour autant tomber dans le sentimentalisme ou l'excès.
On vit avec les personnages, on connaît tour à tour la chaleur de l'Orient et l’humidité britannique et l'on attend avec impatience de les retrouver à la fin de l'année, comme annoncé par l'éditeur !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jane gardam
25/01/2016
Parmi les dix milliers de choses
"Gary était un peu comme un endroit où l'on aime retourner."
Deb ne peut plus fermer les yeux sur les infidélités de son artiste de mari: un paquet contenant des courriels impudiques vient d'être envoyé au domicile familial par la dernière maîtresse en date de Jack. Par manque de chance, cette boîte tombe d'abord entre les mains des enfants.
Chronique d'une famille en déconstruction, Parmi les dix milliers de choses alterne les voix des quatre principaux protagonistes et peint avec pudeur et retenue les réactions de chacun.
Riche en notations fines, le roman pêche pourtant par sa construction. En effet, une prolepse nous projette dans le futur avant que nous ne revenions sur l'été qui suit la séparation des parents, un peu comme si l’auteure avait voulu se débarrasser de ses personnages.
Des passages très réussis, comme le retour inopiné de Jack chez sa mère et son beau-père, font un peu oublier le manque d'empathie pour les personnages, bobos sans rien vraiment d'attachant. Un constat en demi-teinte donc.
Parmi les dix milliers de choses, Julia Pierpont, traduit de l’anglais par Aline Azoulay- Pacvo, Stock 2016.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : julia pierpont
22/01/2016
Astres sans éclat
"Avoir une amie compliquait les choses."
Canada, Ontario, 1962. Quand Jori Clement, fille unique d'un couple aisé et progressiste, élit comme amie Brendra Bray, adolescente potelée et solitaire, la vie de cette dernière semble enfin acquérir un peu d'éclat.
Mais Brendra ne fait peut être que passer de l'emprise de sa mère dépressive , aux crises de colère violentes, à celle de cette amie délurée et pas aussi lisse qu'il n'y paraît.
Quarante ans plus tard, le vilain petit canard, devenue une auteure à succès sous le nom de Rae, revient sur les événements dramatiques survenus à cette époque.
Avec beaucoup de subtilité, KDMiller instille le doute et analyse les relations toxiques instaurées entre les différents personnages. 173 pages aiguisées.
Astres sans éclat, KD Miller, traduit de l'anglais (Canada) par Marie Frankland, Les Allusifs 2015
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : k.d miller, canada, adolescence
19/01/2016
La douleur porte un costume de plumes
"C'est ce que je fais, je lui offre des performances décousues , des trucs de corbeau. je crois qu'il a un peu l'impression d'être un chamane de Stonehenge qui entend l'esprit de l'oiseau. Moi ça me va tant que ça le fait tenir.)
Mégalithe !"
Un corbeau gigantesque investit le logis et la vie d'un jeune veuf et de ses deux enfants. Usant parfois d'un sabir déclamé en tirades rythmées (bravo au traducteur) ou de méthodes thérapeutiques inédites, le corvidé va insensiblement ramener les humains ,qu'il tarabuste et protège à la fois, du côté de la vie.
Le père n'est pas dupe du fait que "La frontière était mince entre mon imaginaire et le monde réel" et cette ambivalence est aussi marquée par les besoins qu'il affirme avec véhémence: ceux du quotidien , mais aussi ceux de la culture.
Le dérèglement de leur existence, leur souffrance mais aussi les éclats de rire et l'amour qui persistent malgré tout, l"ajustement constant "que lui a appris le corbeau, tout ceci est restitué avec délicatesse dans un roman choral court où se donne à entendre une voix parfois maladroite ,mais qui possède un style bien à elle, jouant avec la typographie et l'espace .
Une expérience à tenter !
La douleur porte un costume de plumes, Max Porter, traduit de l’anglais par Charles Recoursé, Seuil 2015, 121 pages et une ambiance étonnante.
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15/01/2016
Arrêtez-moi là !...en poche
La seule photo de Reda Kateb sur le bandeau de la réédition en poche peut-elle décider à acheter un livre ? Oui.
"Je suis un personnage dans une histoire à propos d'une illusion à laquelle chacun veut croire."
Chauffeur de taxi, le narrateur de ce roman va, suite à une série d'actes anodins qui se justifient tout à fait mais peuvent , dans une perspective biaisée, être interprétés autrement, se retrouver derrière les barreaux, accusé de l'enlèvement d'une enfant qu’il n'a jamais vue qu'en photo.
Dès lors, toute logique sera battue en brèche et l'impensable deviendra la normalité. Ainsi ,se retrouver dans le couloir de la mort deviendra un privilège et devenir ami avec un psychopathe sera source d'humour (noir, bien sûr !).
J'avais peur d'être agacée par la tension extrême de ce roman, mais Iain Levison s'y entend pour dénoncer l’absurdité d'un système judiciaire tout en ménageant quelques traits d'humour salvateurs. Il n'en reste pas moins que, quand un revirement s'amorce, ce n'est pas forcément pour les bonnes raisons. Et notre narrateur ne fait que tomber de Charybde en Scylla, aspirant en vain à ce que son existence retrouve un semblant de calme et de normalité !
à la fois hautement réjouissant et très inquiétant !
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : iain levison
14/01/2016
La doublure
"J'étais son épouse. Au début, j'appréciais ce rôle, j'évaluai le pouvoir qu'il renfermait, que les gens, pour une raison qui m'échappait, ne percevaient pas , et pourtant, il existait bel et bien.Voici un conseil : si vous voulez avoir accès à quelqu'un d'important, l'un des meilleurs moyens consiste à gagner les bonnes grâces de son épouse."
Dans l'avion qui les emmène en Finlande, où son époux, Joseph Castleman,va recevoir un prix couronnant sa carrière d'écrivain, son épouse, âgée de soixante-quatre ans, décide de le quitter.
Le trajet est l'occasion de revenir sur leur passé commun, et si les circonstances d eleur rencontre sont assez proches du cliché (la relation entre une étudiante et son professeur de littérature), on sent néanmoins que la narratrice ne nous dit pas tout.
Cette sensation va perdurer tout le long du récit et il faudra attendre la quasi fin du roman pour que les zones d'ombre soient éclaircies et que ce qui était quasiment sous notre nez depuis le début prenne sens, que ce dont on se doutait de plus en plus soit avéré.
Meg Wolitzer peint avec jubilation et ironie le microcosme des écrivains américains mâles des années 60 , ainsi que celui de leurs épouses. Si le roman peut donner dans son début une impression de déjà-lu, la suite s’avère nettement plus réjouissante car la femme de l' écrivain a beaucoup de révélations à faire et ce avec finesse et intelligence !
Un petit bonheur de lecture déjà paru sous le titre l'épouse en 2005 qui reparaît dans une nouvelle traduction aux éditions Rue Fromentin.
Du même auteur :
En poche, La position, où Meg Wolitzer envisage les répercussions sur une fratrie de la découverte d'un Kama-Sutra pour lequel leurs parents, en pleine vague de libération sexuelle, ont posé. La scène primitive est bien évidemment un choc et chaque membre de la famille en paiera le prix. L’alternance des points de vue ne nuit pas à la fluidité du récit, mais certains personnages sont mieux lotis que d'autres quant à l'analyse de leur évolution et c'est un peu dommage.
Et Les intéressants, bon gros roman de 564 pages, où je ne me suis pas ennuyée une minute. Une analyse fine des liens d'amitié et de leur évolution au fil du temps, entre des personnes, ayant parfois de grandes différences de niveau social
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : meg wolitzer
09/01/2016
J'aimerais tant que tu sois là...en poche
"Devenir le propriétaire de l'exact opposé de cette ferme profondément enracinée."
Jake a troqué la ferme familiale du Devon contre un parc de caravanes sur l'île de Wight, qu'il administre de manière plutôt débonnaire. L'instigatrice de ce changement radical ? Ellie, à qui il était promis depuis l'enfance.
Pourtant, cette vie en apparence plus douce semble avoir viré à l'aigre : Jake se retrouve seul avec un fusil à attendre l'hypothétique retour de sa femme.
Le roman de Graham Swift possède le rythme placide des vaches et son personnage principal en a l'apparence rustique. Mais s'il mâche et remâche-comme les bovidés- les événements passés, c'est pour les analyser avec une finesse quasi chirurgicale. Les relations familiales, les non-dits, les jalousies tues mais vivaces, tout ceci constitue la matière de cette rumination qu'il faut prendre le temps de savourer.
Un roman qui analyse aussi l'évolution des campagnes anglaises et la disparition de tout un pan de sa population. très subtil et prenant.
06:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : graham swift
05/01/2016
Le pique-nique des orphelins
"Elles aimaient trop Dot, et pour ce péché elle leur menait la vie dure."
Ironie du sort, c'est en emmenant ses enfants aux festivités organisées en faveur des orphelins que leur mère abandonne Karl, Mary et le nouveau-né, préférant s'envoler au sens propre du terme , dans un biplan piloté par un aviateur acrobate.
Nous en sommes en 1932, la dépression sévit encore aux États-Unis et les aînés, vite séparés de leur petit frère n'ont qu'une solution: se rendre chez leur tante, bouchère dans le Dakota du Nord. Seule Mary y parviendra, Karl préférant se réfugier dans le train de marchandises qui repartira sans sa sœur.
Personnalité riche et complexe, Mary parviendra vite à se forer une place dans la famille de sa tante, au grand déplaisir de sa cousine, Sita.
Sur une période de quarante ans, Louise Erdrich, dont c'est ici le second roman (dans une nouvelle traduction), utilise la forme du roman choral pour peindre une fresque familiale faisant la part belle aux femmes.Mary, Sita ou leur amie commune Celestine, ont le chic pour affronter les épreuves de la vie avec originalité et courage. Elles se trouvent souvent embarquées dans des situations improbables , parfois cocasses, parfois tragiques, mais dont elles se tirent toujours avec panache.
L'écriture magnifique et l'inventivité narrative de l'auteure font de ce récit une petite merveille à (re) découvrir sans plus attendre !
Le pique-nique des orphelins, Louise Erdrich, traduit de l’américain par Isabelle Reinharez, Albin Michel 2015, 468 pages lumineuses dévorées d'une traite mais en traînant sur la fin pour ne pas quitter trop vite les personnages!
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : louise erdrich
04/01/2016
Le prétendant
"Est-ce que j'aurais dû devenir actrice ? Avec mon talent pour la dissimulation et l'imitation ? "
Les sociaux-démocrates viennent de perdre les élections.Le Premier ministre a donc perdu son poste mais entend bien demeurer numéro1 du Parti, ce que lui conteste bien évidemment le numéro 2, un technocrate intelligent, mais dénué de chaleur humaine, Gert Jacobsen.
Le harcèlement et les violences qu'il exerce à l'encontre de son épouse depuis trente ans risque néanmoins de lui mettre des bâtons dans les roues .à moins que ce ne soit la jeune, jolie et intelligente attachée parlementaire qu'il vient de désigner, Yasemin, d'origine kurdo-turque, envers qui il se montre de plus en plus pressant.
Ces trois intrigues sont menées avec brio par l'auteure, ancienne journaliste politique danoise qui se montre sans concession envers la futilité des motivations de certains hommes politiques.Elle est par contre beaucoup plus bienveillante envers ses personnages féminins et très nuancée. C'est la première fois que je lis un roman aussi solidement documenté sur le violence faite aux femmes, et ce quelque soit leur milieu social. Linda, la femme battue n'est en rien une femme faible , elle se rebelle mais est totalement manipulée, totalement sous l'emprise de son mari , tandis que son entourage feint de ne rien voir.
Quant à Yasemin, elle est encouragée dans ses études par sa famille, mais en butte avec les traditions dans lesquelles se réfugient ses parents.
Deux magnifiques portraits de femmes et un roman qui se dévore d'une traite .Une" brique" délectable de 718 pages.
Peut se lire indépendamment du premier volume (clic) de la trilogie ayant inspiré la série Borgen.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hanne-virbeke holst