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03/10/2017

Au pied de la lettre

"Mes parents avaient des jugements  si péremptoires et parfois si imbéciles (ça sautait aux oreilles, je vous jure) que ça m' appris à me méfier des jugements."

Barthélémy Martin est-il dépressif ? Pour le savoir, il ira consulter deux psychiatres qui, bien que frères, ont des méthodes très différentes. C’est finalement à un troisième psy qu'il confiera son histoire par lettres, brossant ainsi, par petites touches l'histoire d'un homme effacé depuis l'enfance qui va peu à peu s'émanciper dans sa vie amoureuse  et dans sa vie tout court.isabelle minière
Roman épistolaire émaillé de formules éclairantes, Au pied de la lettre nous convie dans un univers qui pourrait être morose, mais qui s'avère plein de fraîcheur. On entre en empathie avec ce personnage qui, falot, prend de plus en plus d'épaisseur dans ses modestes révoltes, pourtant très efficaces. Un roman qui donne le sourire.

Merci à Babelio et aux Éditions Serge Safran.

De la même autrice: clic, clic et reclic.

L'avis d'Antigone.isabelle minière

02/10/2017

Mon père, ma mère et Sheila

"Lorsque je suis témoin d'un élan de tendresse entre un père et son fils , je ne peux m’empêcher d'être surpris.Je marque un arrêt, ému de voir que cela se passe si naturellement."

D’abord ce qui frappe dans le roman d'Eric Romand, c'est la forme fragmentaire choisie. Des textes brefs, factuels, où le sous-texte en dit souvent plus que ce qui est énoncé. La peur, la honte ne seront clairement énoncés que bien plus tard dans le récit.eric romand
La forme ici mime le fonctionnement d'une famille dysfonctionnelle des années 70 (la mère a commis une mésalliance aux yeux de sa famille petite bourgeoise), où l' homosexualité du fils , qui se devine à travers son admiration pour l'idole d'alors, Sheila,  provoque "Le regard glacial de mon père et celui désespéré de ma mère" sans que des mots soient clairement posés sur ce que chacun devine. La mère n'arrive d'ailleurs même pas à prononcer sans se tromper le mot "Homosexuel".
C'est aussi tout une époque qui se donne à voir, les repas pantagruéliques de Noël en famille, où la mère s'inquiète de ne pas avoir assez à manger pour ses invités, ceux pris en regardant Danièle Gilbert et les chanteurs en playback qui font face aux aléas de l'émission.
On sourit, on est profondément ému quand au détour d'un texte se donne à voir la douleur d'une mère, ou celle d'un fils qui,suivant les conseils de sa thérapeute se prend dans ses  bras.
109 petites pages pour un roman puissant , tout en retenue et diablement émouvant.

Déniché à la médiathèque.

 Éditions Stock 2017

28/09/2017

Davis Bowie n'est pas mort

"J'ai l'impression de partir à la découverte d'un inconnu parfaitement familier, je reconnais tout, même  ce que je ne connais pas ."

Trois sœurs, Anne, Hélène( la narratrice) et Émilie, perdent leurs parents à un an d'intervalle. L'occasion d'analyser avec franchise, humour parfois acide mais aussi bienveillance, les relations complexes que les frangines entretenaient avec leurs parents.sonia david
Première partie: la mère, haute en couleurs, attirant les regards, les apôtres, et que la narratrice fait profession de ne pas aimer par "vantardise" mais elle s'étonne de "découvrir que l'on peut tout de même aimer quelqu'un que l'on aime pas."
Changement de registre pour le père dans la deuxième partie: "...papa est ma mère juive, mon parent légitime, ma pelote d'amour."
Mais c'est dans la dernière partie que la mort de David Bowie va paradoxalement rapprocher les sœurs et faire renaître leur sororité chaleureuse.
D'emblée,on entre de plain pied dans cette famille qui nous devient très proche. Le ton est enlevé, plein d'humour souvent vachard mais d'émotions aussi et les quinquas chargées de faire le tri des héritages familiaux nous ménagent bien des surprises dans leurs revirements émotionnels. Même si je fais partie des "enfants uniques terriblement à plaindre", je me suis immiscée le temps de cette lecture dans cette fratrie et l'identification a fonctionné à fond !

Antigone a aimé, Cuné, moins.sonia david

 

27/09/2017

Un homme doit mourir

"- Il y a des gens et des idées qui sont comme des larves dans l'écorce des beaux arbres."

Boris, naturaliste, rédige des rapports de contre-expertise destinés à favoriser les projets industriels controversés . Le dernier en date ? Celui d'une installation d'unité de stockage de matières dangereuses dans une les Landes, là où vit une espèce rare de libellule.S'il a vendu son âme au diable, Boris entretient paradoxalement de bonnes relations avec Pépé, odonatologue passionné, opposant bien décidé à faire de cet endroit une Zone A Défendre.pascal dessaint
Un peu plus loin, une villa cossue défie la Nature et les lois littorales. Son propriétaire, homme d'argent et de pouvoir, y a convoqué deux de ses amis , tout aussi peu scrupuleux que lui.
Entrelaçant avec virtuosité les intrigues, Pascal Dessaint  fait la part belle à la Nature, sans pour autant négliger le côté noir de son roman. La tension monte au fur et à mesure que s'annonce une tempête et que se révèlent les enjeux.
Les personnages ne sont ici en rien caricaturaux. Complexes et riches d'humanité, ils s'interrogent sur les liens qu'entretiennent les hommes , les végétaux et les animaux, sur la nécessité  qui peut paraître dérisoire de préserver certaines espèces, constatent les vertus de la nature sur les tourments humains.
Un peu plus apaisé, l'auteur n'en perd pas pour autant son regard acéré, aussi prompt à identifier un oiseau qu'à dénoncer les hypocrisies de nos sociétés. Du grand Dessaint , tant par le style que par les réflexions qui émaillent le roman, sans jamais l'alourdir.

25/09/2017

Point cardinal

"Je suis dans une impasse. Comment réunir ma peau d'homme avec la femme que je suis à l’intérieur, ses formes, son esprit, ses désirs ?"

Laurent est heureux en couple avec Solange et leurs deux enfants. Pourtant si "Rien ne dépassait dans [leur] histoire", Laurent va tout faire éclater.leonor de récondo
En effet, il n'en peut plus de ne pas faire coïncider l'homme qu'on voit et la femme qu'il se sent être.
Ce qui est extrêmement intéressant dans le roman de Léonor de Récondo c'est qu'elle choisit de nous montrer les répercussions que cela entraîne non seulement pour son héros, mais au sein de sa famille - et les réactions seront  extrêmement différentes pour son fils et pour sa fille- et de ses collègues.
On pourrait reprocher au texte son manque d’aspérités, tout paraît aller de soi ou presque pour Laurent, mais la romancière a choisi de se situer au moment où le héros a atteint un point de non-retour . Reste à parcourir le  chemin vers le changement de sexe, parcours hérissé d'obstacles en France.
Léonor de Récondo traite avec sa délicatesse habituelle ce sujet  sensible et souligne que si Laurent veut devenir une femme, il m'en reste pas moins un père pour ses enfants et n'a pas perdu perdu ses sentiments pour son épouse. Il leur reste à inventer leur vie...

20/09/2017

En vrac...

*Une dose de douleur nécessaire, Victoire de Changy,

Premier roman, roman d'amour entre une jeune femme et un journaliste, marié, père de famille, ayant le double de l'âge de son amoureuse. Passion toxique qui se termine par un renversement de situation qui n'a pas su me séduire même si l'écriture est très (trop?) travaillée. Éditions Autrement 2017.victoire de changy,dominique resch

*Le monde entier dans ma classe, Dominique Resch

Dominique Resch le reconnaît lui-même, maintenant que ses élèves savent qu'il écrit des livres les mettant en scène, il est devenu difficile de distinguer les "bons mots" spontanés des autres. D'où le plaisir moindre à lire cet opus.
En outre, utiliser et mettre en scène les défauts, et erreurs de ses collègues (y compris les siens d'ailleurs) n'a pas la même saveur...

Éditions Autrement 2017.victoire de changy,dominique resch

18/09/2017

Summer

 "C'est donc ça. La réputation de ma famille, une fois de plus, l'image que nous donnons, de supériorité et de pouvoir."

Summer, dix-neuf ans, blonde, solaire, disparaît lors d'un pique-nique au bord d'un lac suisse. Vingt-cinq ans plus tard, son frère cadet, Benjamin, ne parvient plus à avancer dans la vie, bloqué qu'il est par le souvenir de cet été et par cette disparition inexpliquée.monica sabolo
"Et toujours en été" a-t-on envie de fredonner en lisant ce roman de Monica Sabolo tant l'impression de lumière prévaut dans ce texte. Pourtant, cette luminosité est contrebalancée par la métaphore filée de l'eau, à la surface certes brillante sous le soleil, mais dont les profondeurs  se révèlent bien plus troubles et boueuses.
Ainsi en est-il de la vie de cette famille à qui tout semble sourire, où la superbe Summer, tel un cygne blanc attire tous les regards, tandis que son cadet se vit davantage comme le vilain petit canard dont chacun pense peut être en secret que c'est lui qui aurait dû disparaître.
Aveuglé par la colère envers ses parents,  tout autant que par son amour pour Summer, Benjamin va remonter le fil du temps et mettre à jour tout ce qu'il avait occulté.
Roman poétique et entêtant, Summer distille au fil du texte des notations fugitives, comme autant d'indices qu'il faudra réagencer pour réinterpréter les fait a posteriori. Un texte qui a su me séduire, alors que j'avais beaucoup d'a priori en le commençant, craignant par-dessus tout que ce ne soit qu'un roman d'atmosphère et que je demeure frustrée par la fin. Rien de tel, bien au contraire.

Summer, Monica Sabolo, JC Lattès 2017, 316 pages troublantes.

 

Lu dans le cadre du grand prix des Lectrices de Elle.

11/09/2017

Notre vie dans les forêts

"Ils nous traitent comme du bétail, je me suis dit. Ils nous infantilisent au point qu'ils ne nous avertissent pas de la procédure, même pas quand il s'agit de nos corps ! De mon corps !"

Après un essai sur une peintre allemande, revoici Marie Darrieussecq aux commandes d'une dystopie se déroulant dans un futur très proche, voire ayant peut être même déjà commencé.marie darrieusecq
Marie est psychologue, spécialisée dans le traitement des traumatismes, mais elle doute de plus en plus de l'efficacité des méthodes qu'elle applique. Tandis que dans son cabinet elle s'efforce de soigner, autour d'elle la société se délite et les libertés rétrécissent dangereusement. Mais un de ses patients va lui donner la possibilité de se rejoindre une bande d'humains et de clones libérés qui vivent au cœur des forêts.
Comme dans  Truismes, la narratrice est empêchée dans son corps et se hâte de rédiger son histoire car la mort rôde. Mais là où le premier roman de l'écrivaine prenait son temps pour nous décrire les changements de la société,  Notre vie dans les forêts est beaucoup plus court (189 pages) et le sentiment d’urgence encore plus grand.
Il y est beaucoup question de corps, augmenté par des implants et dont on change les organes comme autant de pièces de rechange si on est très riche. Le  langage tient également une place importante, tout comme les clones dont la narratrice analyse avec finesse les interactions avec les humains.
Un roman surprenant, constellé de marque-pages.

Notre vie dans les forêts, Marie Darrieussecq, P.O.L 2017.

08/09/2017

Un écrivain, un vrai ...en poche

"La littérature était enfin à la portée de tous et reflétait la réalité."

Coachée par une épouse ambitieuse, Gary Montaigu a décroché le Booker Prize. Dans la foulée, il accepte d'être la vedette d'une émission de téléréalité. L'occasion selon lui de démocratiser la littérature. Mais flirter avec la médiocrité ambiante est-il compatible avec les idéaux de l'écrivain ?pia petersen
Dénonçant une société de faux semblants, où tout est cadré, scénarisé, où la folie de l'écrivain n'a plus droit de cité Un écrivain, un vrai adopte un style simple et efficace . Pia Petersen sonde les coeurs et les reins de ses personnages, dont aucun n'est vraiment sympathique, avec acuité et pertinence. L'intrigue avance tambour battant vers un final inéluctable. Une vision sans concession du monde de la littérature contemporaine. On frémit d'avance si un tel projet de téléréalité venait à voir le jour...

 

Un écrivain, un vrai, Pia Petersen, Actes Sud 2013, 215 pages piquetées de marque-pages. Actes Sud 2017

05/09/2017

La maladroite...en poche

"...et je me souviens que je me suis dit, Diana aura quand même eu droit à ce que maman pleure pour elle."

"Quand j'ai vu l’avis de recherche, j'ai su qu'il était trop tard." . Ainsi s'exprime dès la première ligne l'une des institutrices de Diana, celle qui avait donné l'alerte, dressant la liste des meurtrissures, blessures diverses que la petite fille expliquait à chaque fois soigneusement.
Tous ceux qui ont côtoyé Diana, huit ans, ont tenté ou non d'intervenir, prennent ici la parole, à l'exception notable de ses parents, et ces paroles distillent un profond malaise.
En effet, si chacun, professionnel, ou non, sent bien que les récits des parents et celui de Diana concordent trop bien, s'il y a suspicion de maltraitance, la rigidité du cadre institutionnel, le fait que les parents soient "soudés comme les mécanismes d'une machine, et la machine marchait toute seule", sans oublier "le nœud d'énergie, de résistance, dans ce petit corps sur cette chaise", rien ne  peut  freiner la tragédie qui se met en marche , quasiment dès la naissance de l'enfant.411P-S7-qvL._AC_US218_.jpg
La grande force du premier roman d'Alexandre Seurat est de ne jamais tomber dans le pathos, de ne jamais accuser qui que ce soit et surtout de donner la parole d'une manière qui sonne très juste à des personnes extrêmement différentes. La situation n'est jamais envisagée de manière sordide, voire méprisante. Tout est dans l'ambiguïté et dans la difficulté  que ressentent les différents témoins à poser des mots justes sur une situation qui se dérobe.
On lit ce roman d'une traite, la gorge serrée,car, même si on en devine l'issue, on ne peut s'empêcher d'espérer, et il entre en nous "par petits éclats, comme une multitude d'échardes dans la peau" avant de nous laisser groggy.

à lire et relire, un premier roman qui file droit sur l'étagère des indispensables.

 

La maladroite, Alexandre Seurat, Éditions du Rouergue 2015