02/05/2018
Maternité
"Comme elle te semble loin, à présent, la Clara d'avant la grossesse avec ses certitudes et sa lucidité sans faille ! En mettant au monde cet enfant, tu as dangereusement dévié de ta trajectoire."
Clara planifie tout, excelle dans son travail mais beaucoup moins dans l'expression de ses sentiments. Quand elle décide de programmer sa première grossesse, laisse-t-elle vraiment parler son désir ?
Dotée d'un mari compréhensif, aimant et doué pour les mots (il enseigne le français et adore le théâtre), qui de surcroît fait office de médiateur entre Clara et ses parents quelque peu particuliers, la jeune femme a tout pour mener à bien sa grossesse et élever son bébé.
Mais,elle,qui veut à tout prix être une mère ordinaire, ne parvient pas dans sa volonté de contrôle pour juguler l'angoisse,à accepter l'aspect qu'elle qualifie de" sauvage" de sa fille : "De cette mère qu'elle entend posséder , elle revendique la pleine jouissance et non l'usufruit que tu lui accordes. Elle n'est que pulsion illimitée." Il faudra d'ailleurs attendre la page 375 pour connaître enfin le prénom de cette enfant que ses parents appellent "la petite tigresse".
Avec cette naissance,Clara se trouve reliée à une histoire transgénérationnelle perturbée qui la verse dans la dépression, lui fait côtoyer la violence, voire la folie.
Françoise Guérin aborde ici sans tabous des thèmes puissants et dérangeants liés à la Maternité. Sans rien édulcorer, elle nous propose ici une vision débarrassée de tous les clichés liés à ce thème et , ce faisant, tend aussi la main à ces milliers de femmes " [...]silencieuses, honteuses. Des milliers à ne rien oser révéler de la chute vertigineuse que constitue, pour vous, la maternité."
Un roman intense, qui charrie les pulsions mises à l’œuvre dans ce chamboulement physique, hormonal , émotionnel qu'est une naissance. Dévoré d'une traite et piqueté de marque-pages, tant les formules abondent dans ce texte et tant l'écriture est évocatrice (la description du nouveau-né rampant à la découverte de sa mère est exceptionnelle !).
Albin Michel 2018.
Beaucoup d'entre nous connaissaient déjà Françoise Guérin pour ces romans policiers mettant en scène Lanester
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30/04/2018
Un travail à finir
"Il n'était pas plus avancé sur son avenir, et en était réduit à mener en sous-marin une enquête qui n'en était pas une."
Qu'un pensionnaire d'une maison de retraite décède n'a rien d'étonnant. Mais que celui-ci ne possède pas de numéro de sécurité sociale, voilà qui attire l'attention de Lisa ( effectuant au sein des Épis bleus son service civique) et par-là même celle de son flic de père , le Lieutenant Andréani.
Ce dernier,usé par son travail mais toujours mu par la volonté sans faille de trouver un peu de justice, a dépassé les limites lors d'une intervention. Mis provisoirement sur la touche, il est contraint de rendre des comptes à une psy, chargée de l'évaluer. ce qui ne l'empêchera évidemment pas de mener l'enquête à sa façon.
D'emblée j'ai été ferrée par ce polar qui,s'il utilise des ressorts connus (faits historiques passés en lien avec les présent, par exemple),le fait avec beaucoup de fraîcheur et d'efficacité. Les personnages, y compris les secondaires, sont croqués à merveille, chacun avec leurs particularités, et on s'y attache très rapidement.
Dévoré d'une traite.A chaud, mon enthousiasme était vraiment très grand, à froid un peu moins, mais tout reste crédible et j'attends déjà avec impatience la suite annoncée.
Viviane Hamy 2018
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : eric todenne
19/04/2018
Je suis le genre de fille
"On en était à "investir". Le mot me coule des mains, c'est une suée, c'est impropre, j'en conclus que c'est sale."
Scandés par l'anaphore qui donne son titre au roman, les chapitres brossent le portrait impressionniste, drôle, souvent, agaçant parfois d'une femme divorcée, qui travaille et dont la fille est adolescente.
Trop accommodante, pour les uns, trop passive pour les autres, elle n'a pas une bonne image d'elle-même et peine à correspondre aux diktats de la société.
Elle rejoue la nuit les dialogues qu'elle aurait pu tenir "mais [son]imagination de perdante les fait tourner à [son] désavantage." Elle nous ressemble souvent et cet exercice de quasi autoflagellation pourrait tourner à vide si les derniers chapitres ne jetaient une ombre émouvante sur l'ensemble. Un roman qui me réconcilie avec l’œuvre de Nathalie Kuperman.
De la même autrice: clic ,clic et reclic.
le billet d'Aifelle qui vous mènera vers d'autres.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : nathalie kuperman
12/04/2018
Les vieux ne pleurent jamais...en poche
"C'était une forme de sagesse , sans doute, que proposait Janet, continuer de prétendre au titre, refuser ce jugement sur nous-mêmes que tant d'attitudes insidieuses envers nous relayaient pourtant."
Judith Hogen ne se satisfait pas des maigres occupations, stéréotypées et moutonnières, offertes aux personnes âgées aux États-Unis. Découvrant incidemment une photo ,notre héroïne décide qu'il est temps de renouer avec un passé français qu'elle voulait aboli.
Elle part alors pour son pays natal, là où habite l'homme de la photo.
Réflexion à la fois enjouée, acérée et pleine de bienveillance sur le temps et l'identité, Les vieux ne pleurent jamais est un roman où l'on retrouve avec plaisir le style précis, poétique et imagé de Céline Curiol.
Des scènes très très drôles- la visite de l'usine de glaces Ben & Jerry d'un troupeau de personnes âgées, cornaqué par une jeunette survoltée- est un morceau d'anthologie- alternent avec la découverte d'un parcours de vie dont nous découvrons au fur et à mesure les fêlures.
Si j'ai été moins enthousiasmée par la partie française, un peu convenue à mon goût, il n'en reste pas moins que Judith Hogen et sa fantasque voisine ont de la ressource !
Un bon moment de lecture ! 324 pages piquetées de marque-pages.
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline curiol
11/04/2018
A la place du coeur saison 3
"On cherche tous la même chose: un vivant à proximité, une âme à portée de la main, un baume à consommer sur place."
Le roman de Caumes, extrêmement autobiographique, vient de paraître. Il y relate ce que les saisons précédentes racontaient: ses réactions face aux attentats de novembre, son histoire d'amour avec Esther. Mais changer juste les prénoms des véritables protagonistes est-il suffisant ?
Esther réagit violemment à cet étalage de sa vie privée et quitte Caumes. Le voilà donc tiraillé entre une célébrité naissante (et encombrante) et sa volonté de reconquérir celle que l'écriture lui a fait perdre.
Toujours aussi à fleur de peau, Caumes nous embarque cette fois encore dans un maelstrom de sentiments et dans une actualité proche: les dernières élections présidentielles.
Un roman passionnant- qui se lit d'une traite- sur la jeunesse contemporaine.
Robert Laffont 2018.
Saison 1
saison 2
06:00 Publié dans Jeunesse, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : arnaud cathrine
09/04/2018
Le chagrin d'aimer
"- Je ne me résignerai jamais à avoir engendré un être aussi conventionnel que toi, dit-elle en égrenant un rire perlé et en montrant les dents."
Quelle personnalité que celle de la mère de Geneviève Brisac ! Petite fille gréco-arménienne, elle se marie, écrit des feuilletons pour la radio tout en fumant comme un sapeur, appelle les CRS mon chou, vole la vedette à sa fille lors d'un atelier d'écriture que cette dernière est censée animer ou s'exhibe en maillot de bains sur le trottoir d'un magasin alors qu'elle est déjà très âgée.
Oui, mais voilà, certaines femmes ne sont sans doute pas destinées à devenir mère et si elles le deviennent, ce n'est pas une sinécure pour leurs enfants...
Geneviève Brisac nous propose ici, sous forme de chapitres parfois courts, un portrait éclaté de sa mère. C'est vif, enlevé mais il y sourd parfois Le chagrin d'aimer qui donne son titre à l'ouvrage. à lire d'une traite ou à picorer.
Grasset 2018.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : geneviève brisac
06/04/2018
Tant bien que mal
"Je lui dois le petit peuple de mes cauchemars. Je lui dois une myriade de troubles obsessionnels.Je lui dois mon inaptitude chronique à la décision.Je lui dois des litre de sueur. Je lui dois des idées noires et quelques crise de nerfs."
Il n'en a parlé à personne. Pourtant ce petit garçon qui a accompagné l'homme à la boucle d'oreille dans la Mondeo blanche pour l'aider à retrouver son chat n'a pas oublié. Comment le pourrait-il ?
Quand vingt-trois ans après les faits, il reconnaît la voix de l homme, comment va-t-il réagir?
En 90 petits pages, Arnaud Dudek relate le parcours d'un renversement subtil et efficace de situation. Tout est suggéré et donc bien plus efficace et poignant. On suit, pas à pas, le récit de ce futur père et écrivain et on a le cœur serré.Tout est dense et pudique, parfaitement réussi dans le dosage de l'émotion.
En plus, dans "lignes de suite"comme d'hab', l'auteur nous donne des nouvelles, histoire de mieux maintenir le lien avec son lecteur. On peut le rassurer: il nous a bien fait tanguer. Une pure réussite qui file sur l'étagère des indispensables.
Alma Éditeur 2018.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : arnaud dudek
05/04/2018
La femme murée
"Disons qu'elle fait un avec sa construction. Qu'elle a autant le bâti dans le corps que le bâti est elle. Une double carapace. Elle n'a jamais fait la différence entre sa constitution et sa construction. C'est peut être une maladie..."
Marginale, "méconnue, méprisée, incomprise.[...] Orpheline tout court", telle est Jeanne Devidal (1908-2008).
Surnommée la folle de Saint Lunaire, elle bâtit inlassablement une maison faite de bric et de broc qui débordait sur la route et abritait un tilleul en ses murs.
Si cette passion bâtisseuse n'est pas sans évoquer celle d'un facteur Cheval, Fabienne Juhel nous immerge dans la pensée de cette femme qui n'a pas du tout les mêmes motivations que le créateur du palais idéal.
L'auteure édifie, chapitre après chapitre, les différents éléments de cette construction atypique. Elle est pleine d'empathie pour cette femme qui se dit en contact avec ceux qu'elle appelle "les Invisibles" , ce qui lui vaudra plusieurs séjours en hôpital psychiatrique , électrochocs à la clé. Ce qui nous apparaît d'autant plus intolérable quand on apprend le passé de celle qui fut une résistante torturée par les Allemands durant laSeconde guerre mondiale.
C'est par une série de coïncidences que Fabienne Juhel a eu connaissance de cette"Sisyphe femelle des temps modernes" qui ne possédait même pas une pierre tombale à son nom. Mais nul doute que cette rencontre par-delà le temps était inévitable tant l'auteure de La femme murée , avec son style sensible et poétique ,a su nous rendre proche et inoubliable Jeanne Devidal. Un texte dont on pourrait corner toutes les pages tant l'écriture est belle et poignant le personnage de Jeanne dont le destin est emblématique de tant de femmes courageuses, marginales que la société s'employa à faire céder.
Un texte qui file, bien évidemment, sur l'étagère des indispensables.
le Rouergue 2018
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : fabienne juhel
15/03/2018
Pouvoirs magiques...en poche
"Ce qui n'apparaît pas sur les photos, ce sont ces choses vues et entendues chaque jour, qui n'impriment aucune pellicule mais pénètrent le fond de l'âme et s'y déposent, la tapissent."
Née à la fin des années 60, Cécile nous raconte sa vie, celle d'une fille souriante (cela exaspère certains), joyeuse, pleine de vie et d'entrain. Il y a les parents, hauts en couleurs, issus de milieux sociaux différents leur union chaotique, la grande sœur Catherine, admirée par Cécile mais qui va progressivement s'éloigner de sa cadette au grand désarroi de celle-ci. Les rôles que nous imposent insensiblement la famille, la société, mais toujours cette volonté de rompre, de faire un écart pour mieux se retrouver.
Cécile Reyboz nous livre ici une autobiographie voilée (au sens où un roue peut l'être), jamais ennuyeuse, toujours savoureuse (la description de sa remise du prix de la Closerie des Lilas est hilarante!), qui évite tous les écueils du genre et nous entraîne à sa suite entre émotion et pudeur dans une lecture effrénée ! Dévoré d'une traite !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : cécile reyboz
09/03/2018
Un avenir...en poche
"Quittez cet endroit, me direz-vous , mais j'ai laissé passer le moment où c'était encore possible, a dit la femme, dans la plupart des cas, nous laissons passer ce moment."
Paul, malgré un "rhume colossal" parcourt les 300 kilomètres le séparant de la demeure familiale, pour vérifier qu'un robinet a bien été purgé. C'est en effet le prétexte qu'a trouvé son frère Odd- qui lui a annoncé par courrier qu'il disparaissait pour un certain temps- pour le faire revenir à la maison .
Bientôt la neige va bloquer Paul qui aura ainsi tout le loisir de revenir sur son passé et de reconstituer progressivement l'histoire de sa famille, une famille haute en couleurs !
"Cascade narrative" annonce la quatrième de couverture et c'est tout à fait cela. On se retrouve embarqué dans un récit où les identités se constituent par petites touches, souvent par paires qu'on devine potentiellement interchangeables, où les destins se jouent à peu de choses, évoluent de manière surprenante et où les lieux et les moyens de transport (parfois saugrenus) jouent un rôle essentiel ...La boucle sera bouclée mais nous serons entre temps passés des paysages alpestres enneigés aux terrasses monégasques sans oublier un petit détour par la Malaisie.
Il faut accepter de perdre ses repères pour embarquer dans le récit de Paul et le laisser décanter pour mieux le savourer.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : véronique bizot