20/09/2011
Rien ne s'oppose à la nuit
"L'écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d'interroger la mémoire."
Plus que l'histoire de cette femme, très belle dès l'enfance, mais qui n'a jamais su s'ancrer dans l'existence car elle était bipolaire, c'est le rapport à l'écriture qui se donne à lire dans ce texte ouvertement autobiographique qui m'a intéressée.
L'écriture ici est un combat qui malmène physiquement Delphine de Vigan, ce n'est pas une entreprise de lissage qui prétend éclairer toutes les zones d'ombre, révéler la Vérité sur sa mère. Non, dans ce work in progress qui s'intercale avec le récit , l'auteure nous précise bien qu'il y a différentes versions, qu'il a fallu choisir, elle nous livre ses scrupules vis à vis des membres encore vivants de cette tribu hors-normes dont elle est issue.
Des pans entiers de l'histoire de l'auteure seront passés sous silence et c'est cela qui m'a plu. ça et l'extrême sensibilité qui domine ce texte emprunt de souffrance sans jamais tomber dans le pathos. On n'est ni dans l'hagiographie ni dans le règlement de compte mais dans une entreprise quasiment de salut familial: comment fonder une famille et avancer sans crainte avec un tel passé ?
à noter aussi une très jolie évocation des années 70.
Un grand merci à Clara !
L'avis de Mango
Qui d'autre ? :)
06:00 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : delphine de vigan
19/09/2011
La femme et l'ours
"Dès que je sais si c'est un teckel ou un tueur, je lui apprends la politesse."
Bix, le narrateur, donné comme double de l'auteur, se tient loin des bistrots de son jeune temps, (d'ailleurs il sort très peu de chez lui ) entre une femme névrosée souvent sur le point d'exploser et un enfant très sage qui sait mieux que son père affronter les sautes d'humeur féminines. Rien de bien folichon donc. Une dispute conjugale va mettre le feu aux poudres et faire retomber Bix dans ses travers. Commence alors une sorte de descente quasi aux enfers, où l'épopée de Bix va prendre comme points de repère une histoire incroyable arrivée à un SDF de sa connaissance (racontée dans un premier chapitre qu'il vaut mieux passer) et une légende pyrénéenne mettant en scène le fruit des amours d' une femme et un ours. Bix suivra-t-il la même trajectoire que le clochard ou sera-til aussi valeureux que le héros du conte ? Les repères sont pour le moins étranges en tout cas...
Les noms évocateurs de ses compagnes, rencontrées au fil des jours ,Milka Beauvisage (idiote au corps sublime) et Pompe Tout (échangiste insatiable),donnent le ton. Le narrateur est un libidineux qui perd de sa drôlerie sous les flots de whisky et de bière qu'il ne cesse d'ingurgiter. On s'englue peu à peu dans ce récit qui perd toute drôlerie (et pourtant le début est un pur régal !), on est sur le point de baîlller même, bref on s'ennuie vaguement. La fin est télescopée (on se demande bien ce que vient faire là cette touche de thriller) , on patauge dans le graveleux, on frôle le pathos, bref on mélange un peu toutes sortes de tonalités pour terminer de manière assez plate. Dommage.
La femme et l'ours, Philippe Jaenada , Grasset 2011,311 pages qui partent en eau de vaisselle.
06:00 Publié dans je ne regrette pas de les avoir juste empruntés, rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : philippe jaenada, schtroumpf grognon le retour
12/09/2011
Le premier été
"à partir de cet instant, je deviens sale et ignoble, je deviens une personne normale, je bascule du bon côté et je ne me le pardonnerai jamais."
Vider la demeure des grands-parents décédés, c'est aussi pour Catherine l'occasion de se rappeler un été particulier, celui de ses seize ans, d'évoquer un souvenir dont elle a honte. Un souvenir qu'elle n'a jamais partagé, même pas avec sa soeur aînée.
Commencé comme un évocation plutôt classique -la petite soeur qui se sent toujours déplacée par rapport à son aînée toujours en harmonie avec le monde , avec les autres-le roman prend bientôt une tournure nettement plus sensuelle et plus lourde de sens.
La description de l'éveil de la sexualité et de la sensualité est décrite d'une manière parfaite, à la fois non édulcorée et respectueuse. On vit cet été-charnière bruissant de chansons et d'insectes, étouffant, on est surpris par la révélation de la culpabilité possible de l'héroïne, ce qu'elle porte en elle et qui, on le devine à demi-mots, l'empêche d'aller de l'avant. La cruauté qui était de mise pour se faire accepter devient ainsi fardeau...
Un roman sensible et puissant qui confirme tout le talent et la sensibilité d'Anne Percin. à découvrir absolument.
163 pages , dont les dernières m'ont serré la gorge et mis la larme à l'oeil. Rouergue 2011.
06:00 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : anne percin
10/09/2011
Si peu d'endroits confortables ...en poche
"-Oui, j'aime bien l'hiver. C'est une saison où on peut se blottir contre les gens sans qu'ils te demandent pourquoi. Tu te blottis parce que tu as froid et les gens n'ont pas besoin de savoir que le courant d'air est à l'intérieur."
Si peu d'endroits confortables, et tellement de manques, de douleurs, de tristesses. Paris n'est pas la Ville-Lumière où Joss espérait peindre, s'exilant loin de chez lui. Paris n'est que la ville triste et grise où Hannah erre en écrivant à la fille qu'elle aime et qui est partie, dans un carnet bleu qui déborde parfois sur les tables mais aussi sur tous les endroits où Hannah va laisser ce leit-motiv donnant son titre au roman , leit-motiv qu'elle ne va bientôt plus maîtriser.
Quand Hannah et Joss se rencontrent , chacun va essayer de réenchanter le monde pour l'autre mais leurs deux solitudes sauront-elles annuler l'absence de celle dont nous ne connaîtrons jamais le prénom ?
Alternant les points de vue, sécrétant une poésie à la fois douce et mélancolique, Si peu d'endroits confortables est un de ces textes un peu magique, qu'il faut prendre le temps de savourer pour se glisser dans son atmosphère si particulière. Une écriture qui prend le temps de réinventer le monde .
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : fanny salmeron
06/09/2011
Nu rouge
"Mais qu'est-ce que ça change à nos vies tous ces gens qui font de l'art ? "
Camille termine une thèse sur le peintre Edouard Pignon, et , pour mieux s'imprégner de son univers, elle part découvrir le Nord-Pas-de-Calais. Mais à sa vision préétablie va se substituer celle de Jean qui va lui faire découvrir la réalité des luttes sociales de cette région. Bouleversée, Camille décidera alors de s'engager à sa façon...
On ne regarde jamais que ce qu'on a envie de voir et la vision qu'a Frédéric Touchard de ma région ne m'a pas du tout parlé. Elle est pourtant très documentée -j'ai appris plein d'information passionnantes- mais mes terrils sont verdoyants et je ne me lasse pas de regarder la variété des nuances du ciel...J'ai par ailleurs été rebutée par tous ces mots en italiques et l'histoire d'amour languissante ne m'a pas non plus convaincue. A trop vouloir être didactique, on perd en émotion ce que l'on gagane en informations. Dommage...
Nu rouge, Frédéric Touchard, Arléa 2011.
Merci à News Book et aux éditions Arléa.
06:00 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : frédéric touchard, édouard pignon, nord
03/09/2011
Plage...en poche
Mais samedi existerait-il ?"
Une femme encore jeune attend sur une plage bretonne l'homme marié et en âge d'être son père qui a promis de la rejoindre dans une semaine.
"Encombrée par [ses] souvenirs", Anne observe les gens autour d'elle et leur comportement, leurs paroles font écho et la renvoient à sa situation de petite fille tiraillée entre un père, aimant mais volage, et une mère aigrie et mal aimante.Le temps de l'attente sera finalement celui de la réflexion et quoi qu'il arrive, Anne aura enfin grandi, se sera frottée aux autres et aura pris la mesure de ses possibilités.
Il ne se passe presque rien en apparence mais jamais le lecteur ne s'ennuie en suivant le parcours de cette femme en dormance qui va peu à peu explorer son univers mental et s'ouvrir aux autres, délaissant les romans , aux titres évocateurs, qu'elle avait emportés...
Le style, tout en précision de Marie Sizun accompagne cet éveil sans tambour ni trompettes mais avec beaucoup de délicatesse. Une très jolie découverte !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : marie sizun
02/09/2011
Les amandes amères
"C'pas moi, j'pleure, c'est mon coeur."
Fadila est "une femme lasse et révoltée qui se voit comme une vieille femme", "une femme déracinée", elle a quité le Maroc , et qui surtout ne sait ni lire ni écrire, ce qui lui complique bien évidemment la vie et la rend dépendante des autres.
à cette humiliation, s'ajoute la solitude d'une chambre minuscule où elle ne peut qu'angoisser. Tout ceci, Edith,maîtrisant parfaitement les mots car elle est interprète et traductrice ) qui l'emploie pour quelques heures de ménage, le découvrira petit à petit . Sur une impulsion, la française propose à Fadila de lui apprendre à lire et à écrire.
Mais la tâche est rude car d'une part on ne s'improvise pas formatrice et d'autre part parce que Fadila ne progresse pas de manière continue. Ce qui est acquis ne l'est jamais définitivement, et le caractère alternativement rude et plein de douceur de l'élève ne facilite pas les choses. Au fur et à mesure de leur relation, Edith reconstruit, petit à petit,le parcours d'une femme perpétuellement blessée, tandis qu'en parallèlle se constitue le récit d'une amitié chaotique, tour à tour rugueuse et cocasse ,car Fadila est surprenante à plus d'un égard !
Un roman qui brosse le portrait d'une femme digne que la vie n'a pas épargnée et qui ne dispose pas du pouvoir des mots pour échapper à l'inquiétude qui la taraude. Un récit sobre et plein d'humanité.
Les amandes amères, Laurence Cossé, Gallimard 2011, 219 pages profondément émouvantes.
06:00 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : laurence cossé, analphabétisme, illéttrisme
01/09/2011
Et rester vivant
"Avoir vingt-deux ans , apparemment une malédiction temporaire."
Le narrateur, très jeune, a d'abord perdu dans un accident de voiture, sa mère et son frère. Au début du roman, il vient de perdre son père et, à vingt-deux ans, décide de partir , sur la foi d'une chanson, visiter la côte ouest des États-Unis en compagnie de son ex et de son meilleur ami. Improbable triangle et improbable voyage pour se débarrasser d'un héritage à la fois pécuniaire et émotionnel trop encombrant.
Le préambule du roman nous informe du très fort aspect autofictionnel du texte et quand j'ai lu l'entretien croisé entre Laurence tardieu et Delphine de Vigan dans le Monde du 19 août 2011, j'ai enfin pu mettre le doigt sur ce qui explique que je sois restée totalement extérieure au roman de Jean-Philippe Blondel :
"Quand on part d'un matériau autobiographique, on se pose sans cesse la question -et Delphine de Vigan se la pose aussi : est-ce que cela peut faire un livrb ? Est-ce que les autres peuvent y entrer ? la condition , c'est justement ce combat mot à mot. Sinon, ils sont face à une matière figée et restent en dehors. Oui, il fait que le combat se fasse matière vivante pour que les autres puissent y entrer." (Laurence Tardieu).
A trop vouloir éviter le pathos d'une situation extrêmement violente, à coups de phrases juxtaposées qui tiennent le lecteur à distance, Blondel a raté son coup avec moi. J'ai lu ce roman sans déplaisir jusqu'au bout mais en restant totalement en dehors.
Et rester vivant, Jean-Philippe Blondel, Buchet-Chastel 2011.
06:04 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : jean-philippe blondel
27/08/2011
Ce que je sais de Vera Candida...en poche
"Ne te prends pas pour un tremblement de terre."
Est-il besoin encore de résumer l'histoire de ces trois générations de femmes, chacune d'elles enfantant sans pouvoir révéler le nom du père ? Si ces personnages sont hauts en couleurs, le lieu dans lequel se déroule l'action est tout autant remarquable: une île, Vatapuna, où se dresse un rêve inachevé de marbre, au sommet d'un immense escalier, comme une pyramide maya menant à un autel sacrificiel...
Seule Vera Candida brisera la fatalité et osera rejoindre le continent,quelque part en Amérique du Sud, devinons-nous. Là, elle rencontrera une sorte de chevalier blanc qui tentera d'apprivoiser celle qui se donne des allures d'amazone.On craint le pire en commençant ce roman: l'exotisme de pacotille, les grosses coutures du conte annoncé, mais Véronique Ovaldé s'empare avec jubilation de son décor tropical et de sa faune pour mieux explorer "les territoires du secret et de la dissimulation dont elle [connaît] bien les contours et les lois.", à l'instar de son héroïne.Ses personnages ne sont jamais caricaturaux et on s'immerge avec bonheur dans ce récit qui brasse à la fois le réalisme (la condition faite aux femmes) et le fantastique qui se vit ici d'une manière tout à fait anodine. On s'attache à ces heroïnes tour à tour victimes et rebelles et on ne peut plus les lâcher. un enchantement au sens fort du terme.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : véronique ovaldé
26/08/2011
Un avenir
"Quittez cet endroit, me direz-vous , mais j'ai laissé passer le moment où c'était encore possible, a dit la femme, dans la plupart des cas, nous laissons passer ce moment."
Paul, malgré un "rhume colossal" parcourt les 300 kilomètres le séparant de la demeure familiale, pour vérifier qu'un robinet a bien été purgé. C'est en effet le prétexte qu'a trouvé son frère Odd- qui lui a annoncé par courrier qu'il disparaissait pour un certain temps- pour le faire revenir à la maison .
Bientôt la neige va bloquer Paul qui aura ainsi tout le loisir de revenir sur son passé et de reconstituer progressivement l'histoire de sa famille, une famille haute en couleurs !
"Cascade narrative" annonce la quatrième de couverture et c'est tout à fait cela. On se retrouve embarqué dans un récit où les identités se constituent par petites touches, souvent par paires qu'on devine potentiellement interchangeables, où les destins se jouent à peu de choses, évoluent de manière surprenante et où les lieux et les moyens de transport (parfois saugrenus) jouent un rôle essentiel ...La boucle sera bouclée mais nous serons entre temps passés des paysages alpestres enneigés aux terrasses monégasques sans oublier un petit détour par la Malaisie.
Il faut accepter de perdre ses repères pour embarquer dans le récit de Paul et le laisser décanter pour mieux le savourer.
Un avenir, Véronique Bizot, Actes Sud 2011, 104 pages déroutantes et savoureuses.
L'avis de Mélopée
06:00 Publié dans rentrée 2011, romans français | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : véronique bizot