17/07/2009
Papa et maman sont dans un bateau
Les Doinel , à première vue, constituent une famille comme les autres: le père, Marc, très sexy et gentiment voyou sur les bords,dirige une boîte de transport routier qui va être méchamment restructurée par des Hollandais. Nadine, la mère, s'efforce de remplir consciencieusement les fiches d'acquisition de ses élèves de maternelle . Charlie, la fille, a la tête dans ses séries de manga et le coeur à la dérive au collège, tandis que le petit dernier, Esteban, enfant précoce intellectuellement, s'efforce de supporter sans broncher les brimades de la cour de récréation de l'école primaire.
Chacun a donc ses problèmes mais personne n'en parle aux autres jusuqu'à ce que la photographie d'une yourte mongole dans un magazine ne viennent cristalliser tous leurs espoirs d'évasion, de nouvelle vie...
Avec le talent qu'on lui connaît, Marie-Aude Murail parvient à se glisser aussi bien dans la tête (et le coeur) d'un chef entreprise qui aurait pu "mal tourner", d'une instit sclérosée par les demandes de sa hiérarchie , d'une adolescente ou d'un gamin rêveur. Mais plus que le portrait d'une famille qui s'aime mais qui ne trouve plus le temps de se le dire, hâchée menu par la société de consommation, ce temps qui ne leur appartient plus (voir la liste d'activités de la mère le mercredi après-midi ou les appareils ménagers qui se détraquent à tour de rôel). Même l'école maternelle risque la déshumanisation, puis-qu'entre deux fiches d'évaluation, Marie Doinel, présentée comme une excellente instit, ne trouve plus le temps de s'intéresser à chacun de ses élèves et à leur personnalité naissante.
La restructuration de l'entreprise de transport , autrefois familiale, de transport est saisissante de vérité dans sa brutalité. Pas de vision édulcorée, pas d'angélisme, Marc Doinel nous est montré tiraillé entre sa volonté de sauver ses employés et de préserver sa dignité. Lui qui ne rentrait pas dans le moule de l'école a su donner sa chance à des êtres que la société avait définitivement catalogués et qui vont se trouver une nouvelle fois rejetés...
Malgré ce portrait très réaliste de la société violente dans laquelle nous vivons, l'auteure prend néanmoins le temps de dégager quelques îlots de tendresse et d'humour. Les mots sont là aussi pour alléger l'atmosphère même si les poèmes appris à l'école par Esteban sont eux aussi très sombres ...Pas de solution "miracle" pour résoudre les problèmes de chacun, il y a des dégâts collatéraux comme l'écrivent si bien les journaux, des dégâts mais aussi de l'espoir pour ceux qui savent saisir les opportunités et ne pas laisser les oeillères entraver leur chemin.Une TOTALE réussite qui dresse un portrait sans complaisance de notre société.
Papa et maman sont dans un bateau, Marie-Aude Murail, ecole des loisirs, collection medium, 294 pages saisissantes de vérité.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : marie-aude murail, mondialisation, crise, yourte mongole, cimetière des éléphants
13/07/2009
Petits pains au chocolat
Lou, adulescente de dix-huit ans, quitte Toulouse pour aller à Paris ,accessoirement pour suivre des cours de prépa d'été et principalement pour mener à bien son histoire d'amour avec un écrivain rencontré par l'intermédiaire de son blog. Le roman adopte d'ailleurs la forme du blog, nous dispensant au passage les commentaires acerbes de quelques visiteurs...
Premier roman,Petits pains au chocolat, ne nous épargne pas les travers de ce passage obligé : narcissisme exacerbé, complaisance parfois. On pense à Camille de Peretti ou pour les plus anciennes à la Muriel Cerf Des rois et des voleurs et toutes ces références se révèlent fort encombrantes ma foi pour apprécier à sa juste mesure ce roman acidulé et agaçant comme comme une pomme trop verte. De très jolis passages néanmoins, Roxane Duru possède un style imagé qui peut le pire, des passages quasiment incompréhensibles car trop allusifs, et le meilleur, des pages complètes qu'on a envie de noter tant elles sont justes.
Roxane Duru, Petits pains au chocolat. Stéphane Million éditeur.
Je découvre avec effarement que je devais faire suivre ce livre depuis presque un an... Sorry, Cuné !
L'avis d'Erzébeth, à qui j'aurais dû l'envoyer mais qui l'a trouvé ailleurs (ouf!)
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : roxane duru, adolescence, blog
09/07/2009
je voudrais tant que tu te souviennes
L'une, Mado, vit les yeux au ras du sol, traquant et photographiant les menues traces du temps.
L'autre, l'Indien, n'est jamais aussi à l'aise que sur les toits...
Entre les deux va se nouer une histoire d'amour en pointillés, celle prédite par Julide chargée de veiller sur Mado car "Elle est comme un verre qui se vide, par une brèche minuscule, une toute petite fêlure, et si tu ne prends pas soin de la remplir elle disparaîtra tout à fait."
Julide quant à elle , soumise au poids des traditions de son pays, est promise à un jeune homme qu'elle n'aime pas et trouve souvent refuge chez Mado,chez qui elle ressent une autre forme d'étrangeté au monde.
Tout cela aurait pu baigner dans une poésie trop sentimentale pour moi si la deuxième partie du roman, rebattant les cartes, ne venait brusquement tout remettre en question et présenter un autre angle de vision, une réflexion plus profonde sur le temps, les sentiments, l'exil à soi même et aux autres...
Dominique Mainard, Je voudrais tant que tu te souviennes, 364 pages tendres mais aussi parfois cruelles. Folio
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : dominique mainard, amour, poésie, souvenir
02/07/2009
On s'est juste embrassés
Aïcha vit seule avec sa mère, au bord d'une cité dont elle fréquente l'établissement scolaire.Sa vie va basculer le jour où la rumeur se répand qu'elle a perdu son honneur. L'adolescente aura beau affirmer :On s'est juste embrassés, trop tard le mal est fait...
A partir de là vont ressurgir les interrogations d'Aïcha quant à ses origines, son père, sa famille maternelle; la volonté aussi de sortir du huis-clos étouffant avec une mère qui toujours dû faire face et se laisse lentement sombrer dans la dépression.
Interrogations sans fard aussi, mais tout en pudeur ,sur le désir de cette presque femme, qui ne sont pas sans évoquer celles posées par la narratrices de L'amant, roman de Marguerite Duras que la mère d'Aïcha offre à sa fille, comme un passage de relais, un viatique pour aborder sa vie de femme.
L'auteure n'idéalise pas son héroïne, n'en fait pas la porte-parole de toutes ces jeunes filles qui pourraient à sa suite affirmer:"Mais c'est seulement mon nom qui est arabe. Moi, je ne le suis pas.",mais sait nous la rendre à la fois présente et attachante. Cette narratrice toujours à la lisière (de la cité, de l'âge adulte, du désir...) nous renvoie à un âge où on se sent " trop encombrée de soi-même" avec un style tout en retenue et en émotion.Une belle découverte.
On s'est juste embrassés, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard, collection scripto, 155 pages beaucoup moins grises que la couverture.
Clarabel et Gawou ont aussi beaucoup aimé.
Pagesapages et Malice également.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : on s'est juste embrassés, isabelle pandazopoulos, rapport mère-fille, origines
29/06/2009
Echo
Les jumeaux les plus célèbres du PAF ont été assassinés et leurs cadavres mis en scène d'une manière particulièrement sadique et raffinée..Nombreux sont ceux susceptibles d'être notés sur la liste des suspects car les éphèbes de la télévision avaient pour habitude de descendre en flammes et en direct leurs invités ...
Aux manettes de l'enquête, un tandem improbable, le vieil ours revenu de tout, ou presque, le commandant Vivier , qui se fait mener par le bout du nez par la profileuse, à peine moins givrée que ses suspects, la belle Garance Hermosa.
L'enquête est efficace et bien menée, entrecoupée par des pages d'un journal intime où se lit une enfance fracassée (celle du tueur ?), on ne lâche pas une minute ce livre haletant.D'où vient alors ce sentiment de malaise qui m'a accompagnée dans cette lecture? Du milieu glauque dans lequel nous pataugeons allègremement ? Non, on ne s'attend quand même pas à une promenade de santé en ouvrant ce type d'ouvrage. Non, c'est Cuné et sa légendaire sagacité qui ont mis le doigt dessus: une pointe de vulgarité dans l'écriture qui déstabilise les suspects de Miss Garance mais aussi apparemment la lectrice effarouchée que je dois être dans un recoin secret.J'espère néanmoins déjà avoir la chance de lire de nouvelles aventures de Garance Hermosa , une femme comme je les aime !
Echo, Ingrid Desjours, Plon, 310 pages qu'on tourne sans s'arrêter.
Un grand merci à Cuné !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : echo, ingrid desjours, gemellité, télévision
26/06/2009
Sorti en poche !
Un très joli roman, billet ici.
06:08 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : camille de peretti, nous vieillirons ensemble
16/06/2009
Une confession
Pendant six ans l'éditrice Véronique de Bure a été très proche du philosophe catholique Jean Guitton. Après son décès, elle estime : "c'est bien dans un brouillard qu'il me semble voir avancer ma vie" et s'adresse donc à lui dans une quête identitaire où s'entrecroisent anecdotes sur le philosophe et récit d'une passion adultère avec un autre homme.
Même si l'auteure sait nous rendre attachante la figure de Jean Guitton, c'est davantage le style à la fois pudique et franc, souple et heurté qui a su ma séduire: "La réalité est malléable. On peut la tordre, la gondoler, la rendre plus lourde ou plus légère. Certains, les optimistes dont je ne suis pas, la pétrissent comme une boule de glaise , lui donnent les rondeurs qui lui manquent, une douceur qui la rend supportable, voire aimable. ils savent se faire du bien, ils prennent soin d'eux. Ma réalité est une pierre, un marbre dur et impitoyable; au lieu d'en gommer les apérités, je la taille à la serpe, j'en affûte le tranchant, j'en aiguise la lame, et tel un scalpel elle me griffe, me coupe, me cloue. Je saigne et mes blessures, que je n'ai de cesse de raviver , ne cicatrisent jamais."
Il y a là une volonté de se reconstruire qui a su tout à la fois me toucher et me fasciner. Nécessité de passer du réconfort moral offert autrefois par Guitton "car vous aviez ce don merveilleux d'élever l'esprit de votre interlocuteur" aux bras de cet amant qui la fait vivre avec intensité même si elle ne l'aime pas vraiment car "le véritable amour n'est pas toujours fait de chair et de sang".
L'avis de Laure.
Une confession, Véronique de Bure, Stock, 201 pages précieuses.(Je n'ai pas copié sur Laure, le même adjectif m'est venu :))
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : une confession, véronique de bure
11/06/2009
Le pouce d'un autre
Après nous avoir fait sourire avec Les Poules, ému avec Pédiluve et bénitier (pas de billet), Dominique Resch récidive avec Le pouce d'un autre.
Après l'enfance et l'adolescence voici l'entrée dans lâge adulte, le premier boulot (surveillant d'internat), les études (un peu) , les amis (beaucoup). Et les amours. mais évidemment le tout passé à la moulinette reschienne, une moulinette joyeuse et iconoclaste. C'est "toute une faune étrange, entre deux modes, punk sur le retour, ex baba-cool pas encore new wawe et skin en attente d'un nouvel élan, tous désespérément plongés dans le magazine Actuel" qui évolue sous nos yeux.
Sans compter un inénarrable Patrice , tout droit sorti d'une chanson de Thomas Fersen"A la fois éléphant rose avec ses gros sabots et ami fragile, sous-équipé pour avancer dans la vie (...) un oiseau tombé du nid, ou de nulle part, auquel on s'attache", un ami un peu bizarre, qui a l'habitude de vivre nu, ce qui voudra un souvenir inoubliable à deux témoins de Jéhovah (et de grands éclats de rire au lecteur !).
C'est tendre et chaleureux, on retrouve avec beaucoup de plaisir le style de l'amoureux des mots Dominique Resch, qui sait les faire sonner comme personne et on passe un excellent moment entre rêve d'Amérique latine et réalité nancéenne.
Le pouce d'un autre, Dominique Resch, Editions Anota, 161 pages douces et pétillantes.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : le pouce d'un autre, dominique resch, le pire c'est l'immobilité
19/05/2009
"Je ne suis plus qu'un occupant du monde."
C'est à une expérience étrange que nous convie Olivia Rosenthal dans son texte On n'est pas là pour disparaître : écrire sue la maladie de A.; Comprendre Alzheimer. D'autant que l'auteure l'annonce d'emblée : écrire sur cette maladie est voué à l'échec.
Partant d'un fait-divers tragique: Un malade, Monsieur T. atteint de cette dégénérescence a poignardé sa femmee de cinq coups de couteaux, Olivia Rosenthal mêle réflexions, exercices qui interpellent le lecteur, informations sur la biographie d'Alzheimer, ainsi que son histoire personnelle à elle.
Une écriture qui va au plus près de nos peurs et de nos sensations et dont les "blancs" permettent de mimer ce qui est affirmé dans cette phrase:
"Je suis constitué de fragments très distincts et séparés les uns des autres par de grands vides."
A tenter.
Olivia Rosenthal, on n'est pas là pour disparaître, Folio, 234 pages qui interrogent.
L'avis de Laure
Celui d'Antigone
de Lily
De la bibliothèque du dolmen
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : on n'est pas là pour disparaître, olivia rosenthal, alzheimer, mémoire
07/05/2009
"Je voulais vivre, moi."
Après La mère horizontale où s'exprimait la fille mourante, c'est au tour d'Emma la "mauvaise mère" assumée de prendre la parole aux derniers jours de sa vie.
S'adressant à sa fille disparue,Emma déclare: "Je fouille, je brasse et je déterre les éléments pour le procès que tu ne m'as pas fait." Et d'expliquer pourquoi, prise d'une frénésie de plaisir,"mon désir dévorant de jouir hors des consignes" elle a abandonné ses premiers enfants pour se livrer aux plaisirs de la chair , en bonne baby-boomer qu'elle était.
Evidemment, ce personnage ne peut que paraître antipathique de prime abord mais sa franchise sans fard finit non pas par emporter l'adhésion du lecteur mais du moins par lui inspirer un certain "respect" pour cette femme qui affirme: "En fouillant, en te racontant ce que j'exhume, je viens à ta rencontre, je te tends la main."
Et qu'on m'emporte s'exclame la mourante, qui, même battue par la maladie, fait preuve de sursauts de son énergie indomptable.
Un roman où l'on retrouve avec plaisir l'écriture à la fois fine et puissante de Carole Zalberg.
Et qu'on m'emporte, Carole Zalberg, Albin Michel, 131 pages frémissantes.
Le blog de l'auteure
06:05 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : carole zalberg, et qu'on m'emporte, famille de femmes